Parler de droit au respect de la vie suppose un certain nombre de remarques préalables, car il est le droit de base, le droit source duquel tout découle. Encore faut-il savoir ce que signifie droit, ce que signifie vie.
Le droit est intimement lié à la justice en ceci que la justice est ce qui est dû à qui cela est dû. Toute la question est donc de savoir ce qui est dû et en vertu de quoi. En d’autres termes si la justice est la norme du droit quelle est la source de la justice ? La majorité ? Cela revient donc à poser le rapport de force comme source du droit. Ce qui suppose que le droit est relatif et ne repose sur aucune vérité objective. Serait-ce alors celui à qui la justice est due ? Cela revient à regarder le destinataire de la justice, à savoir les êtres pour qui le droit est considéré. Ce qui suppose un droit relatif et individuel propre à chaque être (qu’il soit humain, animal, végétal ou inanimé). Comment alors juxtaposer des droits individuels dans une communauté qui doit vivre ensemble ? Cela revient à poser l’alternative d’un droit universel qui serait ce qui est dû à chacun et à tous ou à l’opposé la délimitation des droits individuels propres à chacun, dans l’esprit de « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres » Le droit des uns, s’il est strictement individuel, serait alors limité par le droit des autres. Ce qui revient à dire que la liberté est impossible. Elle est réduite à la somme des permis et interdits. Le droit n’est plus ce qui est dû, mais ce qui est autorisé. Nous sommes à l’opposé de la justice.
Si le droit n’est pas ontologique, c’est-à-dire s’il ne repose pas sur ce qui est dû à l’Homme, alors il est relatif et par là contraire à la justice et à la liberté. Le droit est la condition même du bien commun, tandis que les droits sont l’expression de l’intérêt général.
Qu’en est-il ensuite de la vie ? Il existe de multiples définitions du terme, mais toutes ont en commun l’idée de dynamisme interne. La vie est un mouvement dynamique qui comme tel passe d’un moment 1 à un moment 2, dans le sens du déploiement de soi. Il y a dans la vie l’idée d’un « plus d’être », ce que nous pourrions appeler croissance, développement. Une pierre existe mais ne vit pas. Une plante existe et vit selon un dynamisme interne (qu’Aristote appelle l’âme végétale). Un animal est (c’est-à-dire existe selon le mode propre à son espèce) doté d’une vie animale, d’une âme animale, liée à un corps animal. L’être humain est lui aussi corps et âme, mais selon les principes de son espèce. Il y a plusieurs formes de vie, plusieurs degrés de complexité et de perfection, mais des constantes demeurent. Aucun être vivant ne s’est donné la vie, aucun, fut il doué d’intelligence, comme l’homme, n’a décidé de vivre. La vie se reçoit. C’est un don de géniteurs qui eux mêmes l’ont reçu et ainsi de suite en amont jusqu’à trouver celui qui n’a jamais reçu la vie mais qui la possède. Celui qu’Aristote appelle le premier moteur immobile. Premier parce qu’il est la source, moteur parce qu’il donne la vie aux vivants, immobile parce qu’en lui la vie n’est pas une dynamique qui conduit d’un instant T1 à un instant T2. Le vivant est celui qui reçoit la vie d’un autre et donc participe à cette vie d’un autre. Avant tout autre chose, la vie est un souffle dynamique qui se déploie à l’intérieur même d’un être. Cette vie plus justement appelée âme, parce qu’elle anime, est reçue et se transmet de génération en génération. Elle n’appartient à personne (autre qu’à celui qui la possède en plénitude) en même temps qu’elle fait partie de chaque personne de façon essentielle (c’est-à-dire que sans elle la personne ne serait pas). Cette vie, principe dynamique, est en même temps propre à chaque règne (animal, végétal, minéral) selon la spécificité (même racine qu’espèce) de chacun et à l’intérieur de ces règnes selon les espèces.
C’est parce qu’elle est essentielle et reçue que la vie ne peut être retirée sans détruire l’être qu’il soit humain ou végétal. Et c’est en cela qu’elle est un droit, c’est-à-dire qu’elle est due à l’être. Mais la vie, comme essentielle et « vitale » ne suffit pas à qualifier ce droit. En vertu de quoi l’homme pourrait-il en effet tuer un animal pour se nourrir ? De quel droit manger des plantes qui ont reçu, tout comme l’homme, la vie ? En vertu du rapport de force ? Parce que l’Homme est l’espèce qui a su le mieux se développer et s’imposer aux autres ? Dans ce cas, les écologistes qui préfèrent la fin de l’humanité pour sauver le monde n’ont tort actuellement que parce qu’ils sont minoritaires. Serait-ce simplement parce que l’Homme a une dignité et une fin supérieures ? Cette dignité serait-elle plus haute à cause de son intelligence ? Que dire alors des trisomiques ? Qui peut hiérarchiser les dignités et ordonner les espèces entre elles sinon celui qui en est l’auteur ? C’est un des nombreux drames de l’humanisme athée. Si la dignité humaine ne s’enracine pas dans la transcendance, alors elle ne peut que s’inscrire dans le relativisme et donc le rapport de force. C’est toute la difficulté de défendre la vie dans un monde sans Dieu.
Ainsi donc, le droit au rerspect de la vie est LE droit fondamental source de tous les autres droits puisqu’il repose sur la dignité humaine. Ce qui est dû est ce qui est nécessaire à l’homme pour la vie, c’est-à-dire pour permettre, favoriser et ne pas entraver ce déploiement. Il répond à la question qu’est ce qui est bon pour l’Homme, elle-même découlant d’une vision anthropologique claire : qui est l’Homme ?
Article donné pour l’Institut éthique et politique Montalembert en 2013, mais que l’actualité rend toujours actuel malheureusement.