Un recueil d’homélies de Benoit XVI est à paraître très prochainement
L’extrait qui suit est tiré de l’introduction du livre, écrite par le cardinal Gerhard L. Müller, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, qui supervise l’édition des œuvres complètes de Ratzinger.
À l’occasion de l’anniversaire de l’ordination sacerdotale du futur Benoît XVI, le cardinal raconte l’indomptable résistance opposée par celui-ci à l’offensive des disciples de Luther.
Sacerdoce catholique et tentation protestante
par Gerhard L. Müller
Le concile Vatican II a cherché à ouvrir une nouvelle voie vers la véritable compréhension de ce qu’est le sacerdoce. Alors comment se fait-il que, au lendemain du concile, l’Église se soit trouvée confrontée à une crise à propos de cette identité du sacerdoce qui, du point de vue historique, ne peut être comparée qu’aux conséquences de la Réforme protestante du XVIe siècle ?
Je pense à la crise concernant la doctrine du sacerdoce qui a eu lieu pendant la Réforme protestante, une crise au niveau dogmatique, dont le résultat a été que le prêtre été réduit à n’être qu’un simple représentant de la communauté, par élimination de la différence essentielle entre le sacerdoce ordonné et celui qui est commun à tous les fidèles. Et puis je pense à la crise existentielle et spirituelle qui a eu lieu au cours de la seconde moitié du XXe siècle et qui a éclaté, au point de vue chronologique, après le concile Vatican II – mais certainement pas à cause de ce concile – et dont nous subissons encore aujourd’hui les conséquences.
Joseph Ratzinger montre avec beaucoup de finesse que lorsque le fondement dogmatique du sacerdoce catholique disparaît, non seulement la source à laquelle on peut efficacement abreuver une vie à la suite du Christ se tarit, mais que l’on voit également disparaître la motivation qui permet d’accéder à une compréhension raisonnable non seulement de la renonciation au mariage en vue du royaume des cieux (cf. Mt 19, 12), mais aussi du célibat en tant que signe eschatologique du monde de Dieu qui adviendra, un signe à vivre avec la force du Saint-Esprit, dans la joie et la certitude.
Si la relation symbolique qui appartient à la nature du sacrement est occultée, le célibat sacerdotal devient le résidu d’un passé hostile à l’essence physique de l’homme et il est critiqué et combattu comme étant la cause unique de la pénurie de prêtres. Sans oublier que disparaît également ce fait évident, pour le magistère et pour la pratique de l’Église, que le sacrement de l’Ordre doit être administré uniquement à des hommes. Un ministère conçu en termes fonctionnels, au sein de l’Église, risque d’être soupçonné de légitimer une domination, alors que, au contraire, il devrait être fondé et limité dans un sens démocratique.
La crise du sacerdoce dans le monde occidental, au cours des dernières décennies, est également le résultat d’une confusion radicale de l’identité chrétienne face à une philosophie qui transfère à l’intérieur du monde le sens le plus profond et le terme ultime de l’Histoire et de toute existence humaine, les privant ainsi de l’horizon transcendant et de la perspective eschatologique.
Tout attendre de Dieu et fonder toute notre vie sur Dieu, qui en Jésus-Christ nous a tout donné : voilà la logique – la seule possible – d’un choix de vie qui, dans le don total de soi-même, se met en chemin sur les traces de Jésus-Christ, en participant à sa mission de Sauveur du monde, mission qu’il accomplit dans la souffrance et sur la croix, et qu’il a révélée de manière incontestable à travers sa Résurrection des morts.
Toutefois il faut également noter la présence, à la racine de cette crise du sacerdoce, des facteurs intra-ecclésiaux. Comme il le montre dans ses premières interventions, Joseph Ratzinger possède dès le début une vive sensibilité lui permettant de percevoir tout de suite ces secousses annonciatrices du tremblement de terre : et cela surtout dans l’ouverture, de la part de très nombreux milieux catholiques, à l’exégèse protestante qui était en vogue dans les années Cinquante et Soixante du siècle dernier.
Bien souvent, du côté catholique, on n’a pas pris conscience des conceptions pleines de préjugés qui étaient sous-jacentes à l’exégèse issue de la Réforme. Et c’est ainsi que s’est abattue sur l’Église catholique (et sur l’Église orthodoxe) la fureur de la critique qui s’en prenait au sacerdoce ministériel en présumant que celui-ci était dépourvu de fondement biblique.
Le sacerdoce sacramentel, complètement orienté vers le sacrifice eucharistique – comme cela avait été affirmé au concile de Trente –ne paraissait pas, à première vue, reposer sur des fondements bibliques, que ce soit au point de vue de la terminologie ou en ce qui concerne les prérogatives particulières du prêtre par rapport aux laïcs, spécialement pour ce qui touche au pouvoir de consacrer. La critique radicale dont le culte faisait l’objet – et avec elle le dépassement, vers lequel on tendait, d’un sacerdoce limitant la prétendue fonction de médiation – a semblé faire perdre du terrain à une médiation sacerdotale au sein de l’Église.
La Réforme a attaqué le sacerdoce sacramentel parce que, prétendait-elle, celui-ci rendait discutable l’unicité du sacerdoce suprême de Jésus-Christ (sur la base de la Lettre aux Hébreux) et qu’il marginalisait le sacerdoce universel de tous les fidèles (d’après 1 P 2, 5). À cette critique est venue s’ajouter, en dernier lieu, l’idée moderne d’autonomie du sujet, avec la pratique individualiste qui en découle, celle-ci portant un regard soupçonneux sur n’importe quelle manifestation d’autorité.
Quelle conception théologique en est née ?
D’une part on faisait remarquer que Jésus, d’un point de vue sociologico-religieux, n’était pas un prêtre ayant des fonctions cultuelles et que, par conséquent – pour utiliser une formulation anachronique – c’était un laïc.
D’autre part, étant donné que, dans le Nouveau Testament, en ce qui concerne les services et les ministères, ce n’est pas du tout une terminologie sacrée qui est employée, mais bien des dénominations considérées comme profanes, il a semblé que l’on pouvait considérer comme inadéquate la transformation – dans l’Église des origines, à partir du IIIe siècle – de ceux qui exerçaient de simples “fonctions” au sein des communautés, en détenteurs abusifs d’un nouveau sacerdoce cultuel.
À son tour, Joseph Ratzinger soumet la critique historique empreinte de théologie protestante à un examen critique détaillé et il le fait en distinguant les préjugés philosophiques et théologiques de l’utilisation de la méthode historique. En agissant ainsi, il parvient à montrer que, grâce aux acquis de l’exégèse biblique moderne et à une analyse précise du développement historico-dogmatique, on peut parvenir de manière assez fondée aux affirmations dogmatiques émises surtout aux conciles de Florence, de Trente et Vatican II.
Ce que Jésus signifie pour la relation entre Dieu et tous les hommes et toute la création– et donc la reconnaissance du Christ comme Rédempteur et Médiateur universel de salut, qui est développée dans la Lettre aux Hébreux à travers la catégorie de “Grand Prêtre” (Archiereus) – n’a jamais dépendu, comme condition, de son appartenance au sacerdoce lévitique.
Le fondement de l’être et de la mission de Jésus réside plutôt dans le fait qu’il provient du Père, de cette maison et de ce temple où il demeure et où il doit rester (cf. Lc 2, 49). C’est la divinité du Verbe qui fait de Jésus, dans la nature humaine qu’il a prise, le seul et le vrai Maître, Pasteur, Prêtre, Médiateur et Rédempteur.
C’est au moyen de l’appel qu’il lance aux Douze qu’il les fait participer à sa consécration et à sa mission. Ils sont le point de départ de ce groupe d’apôtres qui inscrivent la mission de l’Église dans l’Histoire en tant que dimension essentielle de la nature ecclésiale. Ceux-ci transmettent leur pouvoir aux chefs et aux pasteurs de l’Église universelle et particulière, et ceux-ci agissent aux niveaux local et supra-local.
Traduction française par Antoine de Guitaut, Paris, France.
Source Belgicatho