Après plusieurs décennies passées clairement à gauche, la présidence du cardinal André Vingt-Trois, à la tête de la CEF, a occasionné un recentrage (nous n’irons pas jusqu’à parler de droitisation) de l’épiscopat. Ainsi, Laurent Dandrieu écrit dans Valeurs Actuelles :
“[…] Quand Mgr Vingt-Trois fut élu à la tête de la Conférence épiscopale, en 2007, ce ton ferme n’était pas une évidence, tant parce que l’Église de France, dans les dernières décennies, nous avait habitués à une certaine discrétion dont elle ne sortait guère que pour critiquer les politiques de restriction migratoire, que parce que l’archevêque de Paris apparaissait comme une personnalité réservée. Mais en portant à leur tête celui qui fut longtemps le bras droit du cardinal Lustiger, il semble que les évêques français aient voulu se réconcilier avec la conception de l’épiscopat, plus offensive, qu’incarnait celui-ci. Et Mgr Vingt-Trois a révélé, à l’usage, un tempérament volontiers combatif.
De fait, s’appuyant sur la montée en puissance d’un jeune clergé plus “identitaire”, ses deux mandats auront présidé à un repositionnement d’une Église de France qui apparaît maintenant largement “décomplexée”. Le tournant à cet égard aura été son implication dans le débat sur la loi de bioéthique, entre 2009 et 2011. La réaction ferme de l’Église face à des oeuvres d’art blasphématoires, en 2011, aura été une autre étape décisive de cette mue — même si elle aura pu apparaître sur ce sujet à la remorque de mouvements traditionalistes.
Ayant retenu la leçon pour le projet de loi sur le mariage gay, Mgr Vingt-Trois aura soin, en revanche, d’intervenir très en amont, demandant à tous les diocèses de France de faire lire une prière pour la famille, le 15 août 2012. Le nouveau statut de l’école catholique, qui donne plus de place aux évêques, s’inscrit aussi dans ce mouvement de réaffirmation de l’identité catholique.
Cette combativité nouvelle aura eu l’effet secondaire de considérablement réchauffer les relations entre Rome et une Église de France volontiers perçue comme frondeuse. Peu en cour au début du pontificat de Benoît XVI, Mgr Vingt-Trois aura pu noter, lors des visites ad limina rendues au pape par les évêques français à l’automne 2012, que la “voie française” mise en oeuvre par l’Église dans le débat sur le mariage homosexuel avait notablement changé l’atmosphère. Le succès de la visite de Benoît XVI en France, en septembre 2008, qui aura notamment fourni l’occasion au pape, avec sa conférence au Collège des Bernardins, de l’un des temps forts de son pontificat, avait déjà préparé ce meilleur climat.
Plus combative, plus sûre d’elle-même, l’Église de France que “lègue” Mgr Vingt-Trois à Mgr Pontier n’est évidemment pas sans faiblesses : outre la crise persistante des vocations, une situation financière critique, la difficile question de la réorganisation territoriale, une nouvelle évangélisation qui reste trop souvent un slogan et un conservatisme épiscopal qui peine à laisser toute sa place à la diversité des sensibilités pastorales ou liturgiques ; ou encore une certaine distance vis-à-vis des médias, qui empêche l’Église de France de mettre sur pied une politique de communication digne de ce nom.”
Il reste à savoir si l’élection de Mgr Pontier signe la fin de ce recentrage et un retour “à gauche”. Laurent Dandrieu estime toutefois :
“Deux éléments plaident malgré tout pour une certaine continuité. Tout d’abord, Mgr Vingt-Trois, tant du fait de son poids médiatique que d’un certain primat de l’archevêché de Paris, gardera une parole qui compte. Ensuite, sa présidence a vu décroître le “centralisme démocratique” qui donnait à la CEF le quasi-monopole de la parole épiscopale : le débat sur le mariage gay a montré à quel point les évêques de France sont désormais prompts à multiplier les prises de position. Il y a fort à parier que le successeur de Mgr Vingt-Trois restera fidèle à sa conception minimaliste de la CEF, qu’il voyait, dit un bon connaisseur de l’Église, « moins comme le siège central d’une entreprise dont les diocèses seraient les humbles succursales, que comme une structure de coordination au service des diocèses ».”
Selon certains, la personnalité effacée de Mgr Pontier (bon nombre de journalistes et même de catholiques ignoraient de quel diocèse il était issu lorsque son élection a été annoncée) a pesé dans le choix des évêques. Le cardinal André Vingt-Trois aurait ainsi préféré que lui succède un épiscope sans aura médiatique, afin de ne pas lui faire d’ombre. L’archevêque de Paris garde ainsi son rôle primordial au sein de l’Eglise de France, qu’il soit président de la CEF ou non.