Autre extrait du discours du cardinal. Je regrette qu’il mélange sagesse grecque et révélation judéo-chrétienne avec la philosophie des Lumières, laquelle s’oppose aux deux racines précédentes et est à la source de la modernité dont nous subissons les conséquences :
“Ainsi, se confirme peu à peu que la conception de la dignité humaine qui découle en même temps de la sagesse grecque, de la révélation judéo-chrétienne et de la philosophie des Lumières n’est plus reconnue chez nous comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique. L’espérance chrétienne est de moins en moins reconnue comme une référence commune et, comme toujours, ce sont les plus petits qui en font les frais. C’est un profond changement d’abord pour les chrétiens eux-mêmes. Vouloir suivre le Christ nous inscrit inéluctablement dans une différence sociale et culturelle que nous devons assumer. Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme. Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes de nos comportements. La suite du Christ ne s’accommode plus d’un vague conformisme social. Elle relève d’un choix délibéré qui nous marque dans notre différence.
Cette fracture se manifeste aussi dans les intentions de légiférer sur la laïcité. Nous avions déjà exprimé notre perplexité devant les projets de loi limitant la liberté individuelle dans l’habillement ou les signes distinctifs des religions. Autant il est compréhensible que la vie commune, notamment dans les entreprises, soit régie par des règles de cohabitation pacifique, autant il serait dommageable pour la cohésion sociale de stigmatiser les personnes attachées à une religion et à sa pratique, spécialement les juifs et les musulmans. Dans ce domaine, les mesures coercitives provoquent plus de repliement et de fermeture que de tolérance et d’ouverture. Faut-il voir un signe inquiétant dans le fait que, à ce jour, aucun des cultes connus en France n’a été consulté ni même contacté sur ces sujets et qu’aucun n’est associé au travail préparatoire ?
C’est dans ce contexte général que nous devons réfléchir aux conditions de la nouvelle évangélisation. Pour vivre dans notre différence sans nous laisser tromper et tenter par les protections trompeuses d’une organisation en ghetto ou en contre-culture, nous sommes appelés à approfondir notre enracinement dans le Christ et les conséquences qui en découlent pour chacune de nos existences. À quoi bon combattre pour la sauvegarde du mariage hétérosexuel stable et construit au bénéfice de l’éducation des enfants, si nos propres pratiques rendent peu crédible la viabilité de ce modèle ? À quoi bon nous battre pour défendre la dignité des embryons humains, si les chrétiens eux-mêmes tolèrent l’avortement dans leur propre vie ? À quoi bon nous battre contre l’euthanasie si nous n’accompagnons pas humainement nos frères en fin de vie ? Ce ne sont ni les théories ni les philosophes qui peuvent convaincre de la justesse de notre position. C’est l’exemple vécu que nous donnons qui sera l’attestation du bien-fondé des principes.
La mobilisation impressionnante de nos concitoyens contre le projet de loi autorisant le mariage des personnes de même sexe a été un bel exemple de l’écho que notre point de vue pouvait avoir dans les préoccupations de tous. Au-delà des sondages prédigérés, l’expression des préoccupations profondes rencontre une inquiétude réelle sur l’avenir qui se prépare. Réduire ces manifestations à une manie confessionnelle rétrograde et homophobe ne correspond évidemment pas à ce que tout le monde a pu constater.
Nous savons bien que les alertes que nous formulons devant des risques que l’on impose à la société sans aucune application du principe de précaution ne sont pas toujours comprises ni acceptées. Mais nous ne pouvons pas rester muets devant les périls. Comment se taire quand nous voyons les plus fragiles de notre société menacés ? Les enfants et les adolescents formatés au libertarisme sexuel, les embryons instrumentalisés dans des recherches au mépris des derniers résultats internationaux, des personnes en fin de vie dévalorisées dans leurs handicaps et leur souffrance et encouragées au suicide assisté, les lenteurs ou les incohérences de la prise en charge des demandeurs d’emploi, des familles dans la misère soumises aux rigueurs des expulsions sans alternative, les camps de roms démantelés en nombre croissant, etc.
La pointe du combat que nous avons à mener n’est pas une lutte idéologique ou politique. Elle est une conversion permanente pour que nos pratiques soient conformes à ce que nous disons : plus que de dénoncer, il s’agit de s’impliquer positivement dans les actions qui peuvent changer la situation à long terme. Il s’agit de nous laisser nous-mêmes évangéliser par la bonne nouvelle dont nous sommes les témoins. Alors, l’écart qui doit apparaître entre notre manière de vivre et les conformismes de la société ne pourra pas être perçu comme un jugement pharisien, mais comme un espace d’appel et comme une espérance. Nous pouvons nous souvenir de l’épître de Pierre que nous avons lue dernièrement à l’Office des Lectures : « Ayez une belle conduite parmi les païens, afin que, sur le point même où ils vous calomnient comme malfaiteurs, ils soient éclairés par vos bonnes œuvres et glorifient Dieu au jour de sa venue. » (I P. 2, 12).“
Qui a écrit ce beau texte, on ne nous le dit pas ?
C’est vrai que la notion de dignité humaine étudiée au long des textes des papes (depuis par ex. léon XIII) montre une nette inflexion laïque après 1960 et rejoint celle antique dès lors qu’elle s’appuie sur la liberté de conscience (y compris dans l’erreur : Dignitatis Humanae)..
La première mention de la “dignitas” antique explicitement éthique vient de Giovanni Pico della Mirandola (1463-1494) dans son ouvrage “DE LA DIGNITÉ DE L’HOMME”. Quand les libertins ont voulu utiliser cette notion à partir des années 1950-60 ils l’ont mise à toutes les sauces à tort et à travers au point qu’un travail de doctorant l’a dénoncé. Puis vers 2000 plus rien, le droit positif n’a plus eu besoin de se baser sur la dignité en tant que réalité car sa définition est trop “spirituelle” (le droits de l’Homme du Conseil de l’Europe de 1998 ne mentionnent plus cette notion) et celle de dignité laïque est trop utilitaire pour être un fondement, un principe. Par exemple comment dire que c’est la dignité humaine qui fonde le droit des homosexuels – qui possèdent la dignité humaine – à faire fabriquer un enfant pour l’adopter ?