John Allen est un bon journaliste qui travaille dans un mauvais journal : le National Catholic Reporter (NCR). Mais la réciproque n’est pas pour autant vraie : ce qui caractérise un bon journal, c’est de n’avoir pas de mauvais journalistes… John Allen a pu se tromper, dans le passé, sur ses analyses. À la mort de Jean-Paul II, il n’avait pas dans sa liste des “papables” le cardinal… Joseph Ratzinger ! Dois-je avouer aujourd’hui qui si mon candidat était le cardinal Ratzinger, je ne croyais pas son élection possible lors du précédent conclave ? Voilà, c’est dit, comme quoi ont peut tous se tromper…
Mais John Allen possède un sérieux avantage sur votre serviteur : il est à Rome ! Il connaît très bien l’institution, ses protagonistes et tous les observateurs locaux de l’Église, ses confrères journalistes. Dans son papier de ce matin, qui vient d’être mis en ligne, il insiste sur une chose qui est devenue évidente à tous, aux cardinaux comme aux journalistes religieux, de droite, du centre ou de gauche : la “gouvernance” de l’Église et la réforme de la Curie sont au centre des discussions des congrégations générales et seront au centre des travaux du conclave. La seule question à laquelle personne ne peut encore répondre, ni les cardinaux ni les journalistes, c’est quel est le cardinal qui saura, voudra et pourra, comme Pape, mener cette réforme… Sur le choix, les avis divergent, mais le conclave n’est pas encore ouvert, les congrégations générales se poursuivent, pour ne rien dire des colloques des cardinaux entre eux… Work in Progress comme on dit aux États-Unis !
Ce qui est, si je puis dire, “amusant” c’est qu’alors qu’on a prié les cardinaux américains de garder le silence et de supprimer leur points de presse – où d’ailleurs ils ne trahissaient pas les colloques de congrégations générales, mais offraient leurs analyses d’une teneur plutôt générales et très éloignées du sensationnalisme –, d’autres cardinaux continuent à lâcher des informations internes sous couvert d’anonymat… Allen signale, par exemple, le sentiment exprimé par certains cardinaux : si Benoît XVI avait pu bénéficier d’un meilleur soutien “administratif” (entendons curial…), peut-être ne se serait-il pas senti obligé d’abdiquer… Mardi, un autre cardinal, toujours sous couvert d’anonymat, confiait à Allen qu’il était intervenu lors des congrégations générales et avait demandé si les cardinaux avaient fait tout leur possible pour aider Benoît XVI… En clair, pour coordonner les efforts des ratzinguériens de la Curie ! Une interrogation que se posent de nombreux cardinaux “résidentiels”, ceux qui ne sont pas à demeure au Vatican, dès lors qu’arrivant à Rome ils y furent “salués” par l’explosion de la campagne médiatique sur le “réseau homosexuel” du Vatican qui serait dans le rapport dans trois cardinaux chargés d’enquêter sur l’affaire des fuites, le Vatileaks… De quoi refroidir les plus belles ardeurs. Il faut comprendre que ce monde d’embrouilles et de ragots, d’enfumages et de règlements de compte, de croche-pieds et de savonnage de planche qui est souvent le quotidien romain ne se passe plus en vase clos, mais est immédiatement connu aux quatre coins de la planète comme le serait la chute de la bourse de Tokyo ou l’attribution de l’Oscar du meilleur acteur… Et se mettre à la place d’un cardinal archevêque d’une grande Église locale à New York, Manille, Sydney ou Lyon, voire de l’évêque d’un diocèse plus modeste, apprenant par la presse une “grosse affaire” romaine et pressé par les médias locaux de la commenter sur le champ alors qu’il en est à peu près totalement ignorant… On comprend dès lors que le mot d’ordre des cardinaux “résidentiels” électeurs soit la réforme de la Curie romaine…
Mais qu’entendre exactement par « réforme de la Curie romaine » ? Allen croit pouvoir la synthétiser en trois points que j’ai traduits :
● Transparence. En interne, [les partisans de la réforme] veulent une Curie qui soit plus transparente sur la logique de ses décisions et sur ceux qui les prennent. En externe, ils attendent du Vatican [le mot Saint-Siège serait plus approprié] un meilleur travail de communication vis-à-vis du monde extérieur, un peu plus de jugeote sur la manière de s’adresser aux médias.
● Responsabilité. Les cardinaux veulent que la bonne personne soit à la bonne place, et qu’elle soit tenue pour responsable en cas de mauvais résultats. (En privé beaucoup de cardinaux admettent que ce n’était pas le point fort de Benoît XVI, notant qu’il a maintenu son secrétaire d’État, le cardinal Tarcisio Bertone, alors que depuis longtemps nombre d’entre eux étaient convaincus qu’il avait dépassé sa date de péremption).
● Modernisation. Les cardinaux veulent une Curie qui soit plus en harmonie avec les critères de gestion des affaires du XXIe siècle, ce qui comprend la capacité de gérer les affaires en temps opportun. Le cardinal Francis George [archevêque] de Chicago avait par exemple déclaré à NCR lors d’un entretien que l’Église ne pouvait plus se permettre sa traditionnelle allure de tortue parce qu’on est devenu « moins patient et que le monde avance plus vit qu’autrefois ».
Ces analyses d’Allen sont évidemment marquées du sceau “américain”, mais, pour autant, sont-elle irrecevables ? That’s the question…