Suite à une série de sinistres faits divers (dont le plus récent concerne le suicide d’une collégienne de 12 ans), le ministère de l’Éducation a décidé de faire campagne contre le “harcèlement à l’école”, qui toucherait environ un enfant sur dix du primaire au collège (voir l’article du point). Ce grave problème du harcèlement contribue à faire de l’école une zone de non-droit et révèle, parmi d’autres symptômes, le malaise de la violence et de l’incivilité qui gangrène nombre d’établissements.
Cela fait longtemps que se pose le problème de la violence et de l’incivilité à l’école (état des lieux). Une situation qui, loin de se résorber, s’aggrave au fur et à mesure des années. Certains acteurs de l’éducation s’empressent de mettre ces problèmes sur le compte des suppressions de postes. Il est vrai que les classes sont souvent surchargées, et les surveillants sont souvent en sous-nombre pour un travail de plus en plus important (il est significatif à cet égard que l’appellation officielle du surveillant soit désormais celle d’assistant d’éducation, sa vocation n’étant plus seulement de surveiller mais bien de contribuer à l’éducation d’adolescents en manque de repères et auxquels les règles élémentaires du savoir-vivre font cruellement défaut). Mais le problème majeur auquel ne s’attaque que trop peu le ministère, c’est celui du laxisme et de la démission des acteurs de l’éducation vis-à-vis de leur responsabilité.
Travaillant moi-même dans deux établissements scolaires (collèges publics) de types très différents, je peux observer en immersion leur fonctionnement et leurs dysfonctionnements. Dans les deux cas, les élèves perturbateurs, récalcitrants face à l’autorité, adoptent le même genre de comportements et commettent le même genre de délits (se bagarrer, insulter un professeur, sécher les cours, fumer du cannabis, etc). Mais tandis que dans l’un (situé dans les beaux quartiers de la capitale), l’autorité s’exerce avec fermeté et réactivité, dans l’autre (moins favorisé, situé à la périphérie) règne parmi les élèves un grand sentiment d’impunité, justifié par une administration laxiste qui rechigne à réagir, à sanctionner, et préfère “dialoguer” ou attendre que cela passe… Or, ce que je constate, de toute évidence, c ‘est que la sévérité permet d’instaurer une ambiance agréable, propice aux études, à la cordialité, à un rapport assaini entre élèves et adultes. La sévérité exercée avec justesse, loin de traumatiser les élèves, contribue à leur développement et à leur bien-être au sein de l’établissement, dans un climat de confiance et d’encadrement, tandis qu’à l’inverse, le laxisme et l’absence de réactivité produit une ambiance délétère, où le respect ne se gagne qu’à travers de perpétuels rapports de force, où les problèmes de harcèlement, de violence, d’absentéisme et d’incivilité font le lot quotidien des professeurs et des “assistants d’éducation”. Le CPE (“conseiller principal d’éducation”, nouveau nom donné à l’ancien “surveillant général”, comme s’il s’agissait finalement, non plus de s’assurer de la discipline de l’élève, mais de le “conseiller”, voire d’être à “son service”) et les proviseurs (principal et adjoints) ont un rôle majeur à jouer dans la garantie de l’ordre et de la discipline. Ils n’ont pas vocation à être “sympas” (comme je l’entends à propos du CPE de l’établissement laxiste), ni à être “à l’écoute” de l’élève. Ils ont vocation à inspirer une certaine crainte, une parole d’austérité, l’intransigeance de l’adulte en charge de faire respecter le réglement intérieur. Sans quoi tout est permis.
Il existe sur internet un “observatoire du laxisme à l’école” (voir le site), comportant des textes rédigés par des professeurs. Leur fatigue et leur colère est parfaitement légitime. La relation de l’adulte à l’adolescent ne devrait pas se caractériser par le “dialogue” mais par l’autorité, nécessaire à la transmission. Les adolescents n’ont pas à être les interlocuteurs des enseignants : ce sont leurs élèves, c’est-à-dire censés recevoir de leur part l’héritage du savoir et de la culture. Il est sidérant de devoir rappeler que l’éducation n’est pas une affaire d’échange et de réciprocité, mais d’abord une affaire de discipline, qui requiert la rigueur et l’obéissance de l’élève, suivant le schème d’une relation foncièrement inégalitaire et non-démocratique. Les pédagogues ont pour mission de remettre ces valeurs de la transmission à l’endroit, du moins tant qu’on espère retrouver un jour un système scolaire viable et cohérent, propre à accomplir sa fonction. L’élève a des droits, mais surtout des devoirs : ceux de la politesse et de la déférence envers l’adulte, de se contraindre à l’effort, de travailler en silence. Ces considérations sonnent comme des évidences, et il convient pourtant de les replacer au centre du débat. Il faut également que les parents en prennent clairement conscience. Les téléphones portables et autres lecteur “ipad” machin-choses qui envahissent les cours de récréation et malheureusement jusqu’aux salles de classe donnent l’idée d’une grave déficience au niveau de l’éducation parentale. Comment un collégien pourri-gâté pourrait-il comprendre la nécessité du travail, quand il a déjà tout ce qui lui fait plaisir (consoles de jeux vidéos, télévision dans sa chambre, internet sur son téléphone dernier cri, etc) ? Les mots d’ordre de l’adolescent deviennent ceux de la société de consommation : “je veux”, “j’ai envie”. Soumis (comme ses parents ?) à l’impératif de la jouissance immédiate et de l’avoir au détriment du savoir. Ces ustensiles encombrants devraient être strictement interdits au sein des établissements (ce qui est très loin d’être le cas, souvent à la demande des parents eux-mêmes qui vont jusqu’à faire sonner le portable de leurs enfants en plein cours).
Beaucoup de choses restent à dire. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet gravissime du laxisme qui pourrit notre système scolaire, suite à ces quelques remarques introductives. C’est une refondation radicale du système scolaire qu’il devient urgent d’opérer. A cet égard, un retour aux sources de la catastrophe peut être salutaire. On conseillera pour l’occasion de lire l’excellent ouvrage de Jean de Viguerie, Les Pédagogues, récemment publié aux éditions du Cerf (voir ici), duquel on retiendra la notion d’utopie pédagogique, qui serait un héritage de la pensée des Lumières, et dont les problèmes actuels dénoncent le cuisant échec.