Une cour d’appel du Massachusetts a annulé mardi la décision d’une juge qui avait ordonné la stérilisation forcée d’une femme schizophrène, actuellement enceinte de plus de cinq ou six mois, en même temps qu’elle donnait son feu vert pour l’avortement demandé par la famille pour leur fille qui s’y était opposée. La cour a estimé que la décision de la faire stériliser n’était demandée par personne et qu’elle résulte d’une initiative personnelle de la juge des affaires familiales, Christina L. Harms. Cela a dû être un des derniers jugements de celle-ci puisqu’elle est désormais à la retraite.
Le jugement de la cour d’appel est en ligne sous sa forme provisoire ici.
L’affaire fait grand bruit aux Etats-Unis dans la mesure où il s’agit, en tout état de cause, de rendre possible un avortement sur une malade mentale sans son consentement, point qui, lui, n’est pas contesté par la cour d’appel.
« Mary Moe », 32 ans, souffre de plusieurs maladies mentales : schizophrénie ou désordre schizo-affectif et trouble bipolaire. Son état de grossesse, était-il avancé, exigeait d’interrompre son traitement médical pour ne pas nuire à l’enfant à naître, avec des conséquences négatives sur le comportement de la jeune femme qui risquait de devenir encore plus déséquilibré ; toutefois, selon la cour d’appel, le psychiatre qui connaissait l’état de grossesse de « Mary Moe » avait estimé que « le risque associé à l’administration de médicaments à cette patiente est bien plus petit que celui lié à l’arrêt de leur administration ».
En tout cas ses parents avaient initialement réclamé au juge Harms de les établir comme gardiens (tuteurs) temporaires de leur fille afin de pouvoir se substituer à elle pour toute décision concernant sa grossesse sur laquelle ils entendaient faire constater qu’elle était « incompétente » à prendre quelque décision que ce soit. Et ainsi, obtenir le droit de demander qu’un avortement soit pratiqué sur « Mary Moe ».
« Incompétente » et schizophrénique, celle-ci est à l’évidence fortement perturbée par son état mais elle s’exprime clairement, et ce qu’elle exprime, c’est son refus absolu de l’avortement.
« Je ne ferais pas cela », a-t-elle déclaré au cours d’une audience de première instance – où elle avait également affirmé qu’elle n’était pas enceinte, qu’elle avait déjà rencontré le juge Harms (c’était inexact) et qu’elle avait déjà donné le jour à une petite fille prénommée Nancy, ce qui n’est pas davantage exact. Quoique…
Ce qui est vrai, c’est que « Mary Moe » est déjà mère d’un petit garçon, que ses parents à elle élèvent. Et qu’avant de donner le jour à ce garçon, elle avait déjà subi un avortement.
Et c’est là que l’affaire devient encore plus emblématique. Au vu des faits rapportés par le jugement, on se pose en effet des questions : on y apprend en effet que « Mary Moe » a subi sa première psychose aiguë à la suite de cet avortement. Après quoi elle croyait toujours que les gens la dévisageaient et disaient qu’elle avait tué son bébé. Selon le rapport du gardien qui lui a été assigné pour les besoins de la procédure, elle devient agitée et émotive lorsqu’elle part de sa grossesse qui s’est achevée par un avortement. Elle refuse tout soin et tout examen obstétrique.
Autrement dit – mais le jugement ne l’affirme pas – les plus graves désordres mentaux dont souffre « Mary Moe » pourraient bien être liés à un syndrome post-avortement… En tout cas, la question mérite d’être posée. Lui imposer un nouvel avortement, dans ce contexte, ne serait alors pas seulement criminel pour le bébé qu’elle attend, mais dramatique pour elle.
D’autant que « Mary Moe » se dit « très catholique » et répète qu’elle est contre l’avortement et ne voudrait jamais en subir un… A quoi ses parents répondent qu’elle n’est pas une « catholique active ».
Quoi qu’il en soit son « gardien ad litem » avait conclu en première instance que si « Mary Moe » était compétente pour prendre une décision à propos de son état elle aurait choisi de ne pas subir un avortement.
Sans entendre la jeune femme, précise l’arrêt d’appel, le juge Harms décidait que les éclaircissements apportés par le gardien n’étaient pas déterminants, ajoutant que si « Moe » était « compétente », elle « ne choisirait pas d’avoir des troubles délirants » et qu’elle « opterait donc pour l’avortement de manière à recevoir des médicaments qui ne lui pouvaient pas lui être administrés en raison de leurs effets sur le fœtus ». Le juge, rapporte encore l’arrêt d’appel, « désigna les parents de “Moe” comme co-gardiens et décida que celle-ci pouvait être “encouragée, soudoyée, ou même attirée… par ruse” dans un hôpital où elle serait sédatée pour subir l’avortement ». Le juge ajoutait de sa propre initiative que tout établissement de soins pratiquant ledit avortement devait stériliser « Mary Moe » afin « d’éviter que cette pénible situation ne se répète à l’avenir ».
La cour d’appel a estimé, citant la jurisprudence, que le droit de porter ou de concevoir un enfant est si personnel qu’il doit être « étendu à toute personne même incompétente ». Les juges ont estimé qu’en n’informant pas « Mary Moe » du projet de la faire stériliser et en ne donnant aucun détail écrit quant aux motifs de sa décision, le premier juge l’a privée de son droit. Cette partie du jugement a donc été annulée.
En revanche, les juges d’appel ont estimé qu’il était bien possible que « Mary Moe » soit incompétente pour prendre une décision à propos de sa grossesse, sur le seul fondement qu’elle niait sa grossesse. Et si c’est le cas, il appartiendrait au juge de rechercher à sa place quelle décision elle aurait prise si elle était compétente, et de la respecter, même si elle était imprudente ou stupide.
L’ordre de pratiquer l’avortement sur la jeune femme a donc été annulé, l’affaire est renvoyée devant un autre juge afin de permettre de mieux connaître les circonstances concrètes et la volonté réelle de « Mary Moe », ainsi que l’éventuelle viabilité de l ‘enfant qu’elle porte, la protection de la santé de la jeune femme étant confiée à ses parents en tant que gardiens. Mais les juges d’appel ont lourdement insisté sur les droits des personnes souffrant de maladie mentale dans le domaine de la procréation et ont souligné qu’il s’agit avant tout de savoir ce que « Mary Moe » souhaite – et ça, c’est assez clair.
Selon des spécialistes cités par le Boston Globe, cette affaire pourrait bien être une sorte de pointe de l’iceberg parmi des cas concernant des femmes enceintes et souffrant de maladie mentale, soulignant que dans ce cas précis les juges étaient allés très loin dans la protection des droits de la jeune femme.