Suivant la mode de la série “bref” diffusée sur canal +, dont le principe est de présenter des situations de la vie courante remixées sur le mode rapide et humoristique, certains catholiques rentrent dans le jeu et proposent leurs propres parodies : “ Bref † j’ai relancé ma vie spirituelle” :
Le concept marche très bien et la vidéo connait un succès certain (35 000 vues sur dailymotion). Le rythme est haletant, rapide, et humoristique. Cela produit effectivement une délectation.
Je ne veux pas faire mon rabat-joie, mais seulement demander ce que cela cela signifie, qu’est-ce que cela dévoile de notre société, tout en ré-engageant la place de l’Eglise dans cette même société. Je l’écris comme je le pense, essayant de trouver le point-distance convenable du discernement critique.
La dialectique proprement évangélique de l’”être-du-monde” et du “ne pas être-du-monde”, paradoxe fondateur, fragile équilibre que l’Eglise s’est toujours efforcée de maintenir, est engagé ici, ou du moins peut servir de grille d’interprétation pour analyser les choses de plus haut, au-dessus de l’activité frénétique des médias, des images, de la télévision, des clips, des vidéos youtube et dailymotion, de twitter et de facebook. Logique agissante de l’image accélérée, dans laquelle le clip en question s’insère parfaitement. Alors que l’Eglise se présente justement comme un contre-pouvoir à cette puissance frénétique de l’accélération des images. La prévalence de l’activité sur la passivité, du mouvement sur l’arrêt, telle que nous la propose la série “bref”, est interrogée par l’Eglise. Là est son rôle, et elle prend toujours le contre-coup des glissades – rappeler l’arrêt face au mouvement de glissade dans l’hétéro-mobilité que nous vivons aujourd’hui. Le mimétisme généralisé vers le rapide, dont René Girard s’est fait le phénoménologue, devrait nous rendre visible l’inverse – tel le film sur les chartreux : le Grand silence , éminent exemple, tout à fait contre-procédural.
Tenter de se rendre visible à travers le processus d’accélération de l’image n’est peut-être pas le meilleur moyen. Car ce qui devient invisible, finalement, c’est l’image, et le message, à travers ce flot d’images, et de messages. Inversement, ce qui devient visible, c’est ce qui n’est pas enchâssé dans cette mise-en-mouvement généralisée. Rendre visible l’Eglise passe donc par encore plus de contre-visibilité.
Alors oui, c’est un excellent moyen de toucher les masses, d’introduire au coeur de ce mouvement accéléré, de cette absence de frein à l’exhibition de la pulsion, quelque pointes de la vie évangélique, qui est toute entière faite de grâce, de silence, de retirement et de contemplation, mais attention à ne pas l’y réduire. À ne pas vendre son âme au diable du “monde-artifice”.