Recevant ce matin Correspondance européenne du professeur Roberto De Mattei, j’ai été très intéressé par la présentation d’un livre qui m’avait échappé, consacré à une figure peu connue et qui fut le fondateur de L’Homme Nouveau. Comme beaucoup certainement, je pensais que Marcel Clément était à l’origine de ce journal catholique. Or, Yves Chiron dans un livre paru récemment nous apprend qu’il n’en est rien. Voici un extrait de l’article de Correspondance européenne :
La décadence doctrinale qui s’est manifestée après le Concile Vatican II n’a pas épargné l’historiographie catholique ; et ceci vaut notamment pour ces figures de prêtres et de laïcs militants du pré-Concile, qui sont désormais considérés comme « dépassés », « plus du tout actuels » ou inutiles. De fait, ils ont été marginalisés, réinterprétés et écartés par la Nouvelle Théologie. On trouve parmi ces figures le nom d’un excellent prêtre mariste, dont la première biographie historique a dû attendre plus d’un demi-siècle avant de paraître (cf. Y. Chiron, Le Père Fillère ou la passion de l’Unité, préface d’Émile Poulat – Editions de l’Homme Nouveau, Paris 2011, p. 175, 19 euros).
Selon le grand spécialiste du fait religieux contemporain qu’est Émile Poulat : « Plus de soixante ans après sa mort accidentelle, le Père Marcellin Fillère (1900-1949), religieux mariste, professeur à l’Institut Catholique de Paris, reste, pour ceux qui l’ont connu, une figure inoubliable et, en toute hypothèse, exceptionnelle » (p. 5). Défini par Yves Chiron comme « prêtre d’abord, professeur de philosophie, orateur, dialecticien redouté, théoricien de la pédagogie, pédagogue en action, homme de presse », il a été certainement « une personnalité marquante de l’Église des années 1930-1940 » (p. 13).
Entré au noviciat en 1917, il se forme à la théologie à Rome auprès de l’Université dominicaine de saint Thomas d’Aquin, sous l’égide du père Garrigou-Lagrange (avec des professeurs importants comme Hugon et Browne) ; ce dernier le définira plus tard comme l’un de ses « meilleurs élèves » (p. 23). Ordonné à Rome en 1924, il deviendra enseignant de philosophie à Paris, dispensant des cours à la fois traditionnels par le contenu (le père était thomiste convaincu) et très ouverts par la méthode (il admettait un certain débat avec les élèves et utilisait souvent des auteurs modernes comme Bergson). Mais ce n’est pas là sa grandeur véritable. A partir des années 1920 et jusqu’à sa mort prématurée, il dirigea des colonies pour enfants, des camps de vacances et autres activités de ce genre où il excella de manière tout à fait éclatante. « La Cité des Jeunes – nous dit Yves Chiron – a été, en matière de loisirs et de formation, la réalisation la plus durable et la plus célèbre du P. Fillère » (p. 30). (…)
Une autre forme particulière d’apostolat : l’organisation de meetings de jeunes et d’adultes, comme celui du 28 octobre 1934 en l’honneur du Christ-Roi quand, sous l’impulsion du Père mais aussi le soutien de nombreux curés et évêques « plusieurs milliers d’enfants et d’adolescents venus de Paris et des banlieues se réunirent » à la Mutualité (cf. p. 40-44). (…) Sa « passion pour l’Unité », comme l’a définie Chiron, doit être bien comprise : elle ne concerne pas, du moins pas directement, les Chrétiens non-catholiques. Elle avait pour but de resserrer les liens entre les Catholiques de différents horizons sociaux, culturels et associatifs. L’Action Catholique s’était beaucoup spécialisée durant les années de pontificat de Pie XI (A.C. des paysans, A.C. des ouvriers, A.C. des étudiants, etc.). Le Père Fillère considérait que cette trop grande spécialisation affaiblissait l’apostolat, surtout face aux communistes qui formaient quant à eux un bloc impressionnant et dangereux. Dans son zèle « inconscient » le bon Père arrivait, pendant ces années dites de guerre froide, à se faire inviter avec des laïcs bien formés, aux Congrès des « rouges », comme il le fit le 7 février 1946 à Beaumont-sur-Oise où « le P. Fillère […] avait contredit » un député communiste (cf. p. 88-89). De par ses méthodes d’apostolat, notamment auprès de la jeunesse, à cause de son anti-communisme militant (il écrira en 1949 Le Parti communiste démasqué), et de ses succès, ce prêtre devait être très aimé, et très critiqué aussi. Dans les milieux catholiques, il eut le soutien du cardinal Verdier, Ordinaire de Paris, du Nonce en France, Mgr Roncalli, de nombreux prélats, et de ses supérieurs religieux ; ses opposants furent : le père de Lubac, le père Daniélou, François Mauriac et Emmanuel Mounier.
En 1946 paraîtra un nouveau bimensuel, qui existe encore, “L’Homme Nouveau”, dont le Père Fillère fut le fondateur et l’âme. Le P. Fillère est mort au cours d’un camp de jeunes organisé dans les Landes, « victime d’une embolie ou d’un arrêt cardiaque, victime, en fait, de son hyperactivité » (p. 113). (F. C.)