L’une des principales caractéristiques de l’ambiance feutrée de la très chique avenue de Breteuil est que la voix de ses occupants est de plus en plus transparente. Même sur les thèmes d’environnement et d’immigration, le message se calque de manière impressionnante sur le discours commun. On n’indispose pas. On fuit le conflit. On noie tout germe de tension dans la marmite d’un dialogue qui n’est qu’endormissement.
Quand soudainement, un vent de panique a soufflé sur la Conférence des évêques français. Quelques têtes mitrées ont cru pouvoir se débarrasser du bâillon que leur imposait le carcan somnifère des structures administratives de l’épiscopat. Il faut dire que la figure même du Christ était bafouée, dans plusieurs spectacles clairement haineux envers la religion. Fallait-il se terrer dans le silence des apôtres lors de la Crucifixion ? L’un a eu la force de dénoncer « les secrètes officines », l’autre a dit refuser de voir « banaliser » les actes s’attaquant au Christianisme. Le plus courageux a soutenu ouvertement tous les jeunes qui étaient interpellés pour avoir témoigné de leur foi en priant devant les théâtres. C’était là se dresser de manière inimaginable contre les lois de la République et risquer de briser le consensus progressivement construit par quatre décennies d’inaction devant la progression de l’avortement comme de la sécularisation des consciences. C’était mépriser ce qui était devenu la nouvelle maxime de cet épiscopat : « Tu ménageras le monde de tout ton cœur, de toute ton âme, et tu abhorreras le traditionalisme plus que tout ».
Puis, plus rien. Plus de réponse. Plus de soutien d’évêque. Sans doute quelques échanges bien acides en coulisse. En revanche, l’intervention sans détour du cardinal archevêque de Paris : « violence », « groupuscule », « idiots sympathiques », les mots les plus méprisants étaient lâchés. La lame avait tranché. La peur bleue de voir tout le mouvement traditionaliste si savamment divisé il y a vingt cinq-ans se reconstruire avec l’appui des chrétiens d’Orient, c’en était trop. Il fallait à tout prix freiner l’érosion de ces jeunes des paroisses diocésaines, lesquels, remplis d’idéaux, voyaient plus de courage en considérant des prêtres à genoux dans les caniveaux qui disaient « Prions ! » qu’en observant des clercs installés dans leurs canapés pour affirmer : « Dialoguons ! »
Mais la lame était tombée trop tard. Même en appelant à la rescousse un vicaire versaillais, aussi charismatique fut-il, le mouvement de fond avait opéré. Les interrogations avaient germé. Le Christ nous invite-t-il à braver la foule comme Véronique, à prier au pied de la croix comme l’apôtre fidèle, à chasser les marchands du Temple comme le Fils de Dieu, ou bien à se terrer comme les apôtres, à dialoguer comme Eve avec le serpent ou à se laver les mains comme Ponce Pilate ? Chacun saura relire son catéchisme. En ce moment, c’est toute la jeune génération qui est en train d’ouvrir les yeux. Les échos le confirment.
Car le dialogue invoqué par ces nouveaux communicants, qui tentent de faire croire qu’ils se distinguent de la pastorale de l’enfouissement, quel est-il ? L’abbé Grosjean et ses acolytes, a posé dans Le Monde quelques jalons : «la société … doit réinventer son rapport au sacré» ; «[la question de la responsabilité de l’artiste] doit être posée et discutée clairement» ; «Cet amour [de Jésus] doit être respecté». Mais quelle est la nature de ce «doit» qui revient si souvent? Les auteurs semblent l’entendre comme une obligation morale («nous devons accepter de renouer un vrai dialogue … autour de la question de la foi.»). Problème : la société ne l’entend pas de cette oreille. Des dizaines d’abonnés au Monde ont commenté cette tribune, presque tous dans le même sens :
- … cette chronique … ne renvoie à aucune autre universalité que l’ancienne vision d’un catholicisme “hégémonique”
- Je n’ignore pas le fait religieux. Mais pourquoi m’obliger à dialoguer avec des gens qui croient en des fariboles?
- le christianisme nous fait depuis si longtemps la morale (et pas toujours avec tolérance), qu’on ne voit pas pourquoi on n’aurait pas le droit de lui répondre comme bon nous semble
- Merci encore aux humanistes de la Renaissance, à Voltaire, à la République enfin, qui nous ont permis de confiner ces personnages dans leurs sacristies.
- Les religieux ont une fâcheuse tendance à s’imaginer que la croyance est autre chose qu’une opinion, et que donc le respect de la religion s’impose à tous, y compris ceux qui ne croient pas.
Les auteurs de cette tribune ont-ils bien pris la mesure de la situation ? Les professionnels de la Culture ne partagent pas du tout l’opinion de l’abbé Grosjean quand il écrit qu’«il est urgent de reparler ensemble de la question de Dieu». Il s’en moque, jusqu’à chier dessus. Pardon, mais c’est bien le cas. Alors, que proposes l’abbé Grosjean face au spectacle Gologota Picnic ? On a bien compris qu’il ne voulait ni se taire ni manifester (puisque manifester est, selon lui, déjà une forme de violence). Dialoguer ? Mais avec qui ? Les membres de Civitas ont déjà dialogué avec le poète aux hamburger Ribes. Ils savent à qui ils ont affaire. A un “artiste” qui ne respecte rien.