Je poursuis ma lecture du message de Benoît XVI à Assise et je lis ces quelques phrases, qui déplacent nettement la question des rapports entre religion et violence:
Si une typologie fondamentale de violence est aujourd’hui motivée religieusement, mettant ainsi les religions face à la question de leur nature et nous contraignant tous à une purification, une seconde typologie de violence, à l’aspect multiforme, a une motivation exactement opposée : c’est la conséquence de l’absence de Dieu, de sa négation et de la perte d’humanité qui va de pair avec cela. Les ennemis de la religion – comme nous l’avons dit – voient en elle une source première de violence dans l’histoire de l’humanité et exigent alors la disparition de la religion. Mais le « non » à Dieu a produit de la cruauté et une violence sans mesure, qui a été possible seulement parce que l’homme ne reconnaissait plus aucune norme et aucun juge au-dessus de lui, mais il se prenait lui-même seulement comme norme. Les horreurs des camps de concentration montrent en toute clarté les conséquences de l’absence de Dieu.
Certains lecteurs m’avaient pris à partie parce que je m’interrogeais à propos la violence légitime. J’en profite pour dire ici que, comme tout le monde, je serais évidemment ravi de vivre dans un monde sans violence. Que j’attends, autant que ces lecteurs, le monde absolument pur de toute violence dans lequel nous vivrons, si Dieu veut, après notre mort. Mais que je constate que je vis dans un monde où, de fait, il existe des violences. Et que, parmi ces violences, certaines sont légitimes (comme la légitime défense, qui n’est pas une invention de votre serviteur, mais une réalité de la loi naturelle; ou comme la sainte colère de Notre-Seigneur chassant les marchands du Temple), et d’autres non. Je le maintiens. Je doute que Benoît XVI soit en désaccord avec cela. Je doute même que mes détracteurs soient réellement en désaccord avec cela. En tout cas, j’attends sereinement le contradicteur qui m’expliquera que toute violence est, par le fait même, illégitime – et qui me l’expliquera avec l’autorité de la Tradition et du Magistère catholiques. Il est possible que certaines tendances du bouddhisme soient absolument non-violentes, mais je suis bien certain que le catholicisme n’est pas aussi ignorant de la nature humaine.
Mais il y a, au moins, un domaine où je crois (j’espère) que nous serons tous d’accord: la reconnaissance du fait que le caractère non-religieux, voire anti-religieux, d’une idéologie n’est pas franchement une garantie de son caractère non-violent. Et même que, comme le dit le Pape, une idéologie marquée par l’absence de Dieu est aussi marquée par la violence fanatique, dépourvue de toute mesure.
NB: soit dit en passant, cette critique de la violence anti-religieuse donne des perspectives intéressantes sur l’actualité récente. Je ne voudrais évidemment pas faire dire à Benoît XVI ce qu’il ne veut pas dire, mais je constate que son discours s’applique à merveille à la contestation de certaine pièce de théâtre par des jeunes catholiques à Paris. On a beaucoup dit, à cette occasion, que la violence n’était pas une réponse à l’insulte anti-chrétienne. C’est sans doute vrai. Encore qu’il ne soit pas franchement évident que la récitation du chapelet soit une démonstration effrayante de violence (ni même le jet d’oeufs frais, qui me semble plutôt ressortir à la blague de potache, peut-être de mauvais goût, mais pas bien méchante). Mais, en tout cas, on a bien peu noté que la première violence était la violence a-religieuse ou anti-religieuse du dramaturge qui faisait envoyer des grenades ou des matières fécales sur le visage de Notre-Seigneur.
Voici une méditation du saint Père qui va vous intéresse :
« …la non-violence chrétienne, qui ne consiste pas à se résigner au mal – selon une fausse interprétation du “tendre l’autre joue” (cf. Lc 6, 29) – mais à répondre au mal par le bien (cf. Rm 12, 17-21), en brisant ainsi le cercle vicieux de l’injustice. On comprend alors que la non-violence pour les chrétiens n’est pas un simple comportement tactique, mais bien une manière d’être de la personne, l’attitude de celui qui est tellement convaincu de l’amour de Dieu et de sa puissance qu’il n’a pas peur d’affronter le mal avec les seules armes de l’amour et de la vérité. L’amour de l’ennemi constitue le noyau de la “révolution chrétienne”, une révolution qui n’est pas basée sur des stratégies de pouvoir économique, politique ou médiatique. La révolution de l’amour, un amour qui ne s’appuie pas en définitive sur les capacités humaines, mais qui est don de Dieu et s’obtient en faisant confiance uniquement et sans réserve à sa bonté miséricordieuse. Voilà la nouveauté de l’Évangile, qui change le monde sans faire de bruit. Voilà l’héroïsme des “petits” qui croient en l’amour de Dieu et le répandent, même au prix de leur vie. »
Méditation de Luc (VI, 27) par le pape à l’Angélus du dimanche 19 février 2007