La très sérieuse Documentation catholique, qui publie en France une partie des textes pontificaux consacre le dossier de son dernier numéro (n° 2476) aux « Questions liturgiques contemporaines ». L’introduction à ce dossier est signée de Mgr Jordan, archevêque de Reims, à travers la publication de son homélie du 9 août dernier. Un article est par ailleurs consacré à la forme extraordinaire du rite romain sous le titre « L’ancien et le nouveau rituel liturgique romain peuvent-ils coexister sans conséquences ? » Pour écrire cet article d’une page et demie, ils se sont mis à deux puisque les auteurs sont Joris Geldhof et Arnaud-Join-Lambert, professeurs de liturgie à l’université catholique de Louvain. Cet article doit être considéré comme important puisqu’il a déjà été publié dans La Croix en septembre de cette année.
La question posée en titre de l’article est très révélatrice. D’abord que ces professeurs de liturgie n’ont pas l’air d’avoir enregistré que le motu proprio Summorum Pontificum de 2007 avait introduit une nouvelle formulation, qui n’est pas juste un jeu de mots, mais qui révèle l’esprit du législateur. Officiellement, dans l’Église aujourd’hui, on ne parle plus de deux rites, mais de deux formes d’un même rite. Par ailleurs, le législateur reconnaît que la forme extraordinaire n’a jamais été officiellement abrogée. Elle est donc par conséquent toujours actuelle. Parler d’ancien rite ne convient pas. Quand les auteurs écrivent : « le motu proprio facilitant l’ancien rite », ils se trompent de texte. Summorum Pontificum ne facilite pas l’utilisation de l’ancien rite (sic), ce que faisait avant lui Ecclesia Dei Adflicata. Il explicite clairement qu’il s’agit d’un rite de l’Église toujours en vigueur :
Le Missel romain promulgué par Paul VI est l’expression ordinaire de la « lex orandi » de l’Église catholique de rite latin. Le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité par le bienheureux Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même « lex orandi » de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la « lex orandi » de l’Église n’induisent aucune division de la « lex credendi » de l’Église ; ce sont en effet deux mises en œuvre de l’unique rite romain.
Les auteurs se trompent donc encore quand ils parlent « d’ancien rite ». Il s’agit d’une forme « vénérable et antique », mais pas ancien, en tous les cas, pas ancien au sens d’inactuel.
Mais, au-delà de cette querelle, il faut prêter attention au fond de l’article. En résumé, les auteurs estiment que, puisque la lex orandi des deux formes est différente, la lex credendi l’est aussi. Pour reprendre leur vocabulaire « les déplacements théologiques ne sont pas négligeables ». C’est exactement ce que dit la Fraternité Saint-Pie X, avec des conclusions évidemment contraires. Pour cerner ce « déplacement », les auteurs entendent répondre à « trois contre-vérités présentes dans les milieux traditionalistes ». On notera que la généralité permet le flou et le flou permet de faire passer n’importe quoi.
1°) Pour les auteurs, il n’a pas vrai que la réforme liturgique soit le fruit d’une poignée d’intellectuels. Pour preuve, Pie XII parlait du mouvement liturgique comme du « passage du Saint-Esprit dans son Église ». La réforme n’est pas née de rien et donc n’est pas le fruit d’un travail uniquement de spécialiste. Les auteurs renvoient donc au fait que « n’importe quelle étude dépassionnée établit sans difficulté la continuité entre le mouvement liturgique né au début du XXe siècle » et la réforme. Outre le fait qu’ils caricaturent les arguments de leurs adversaires (dont un certain cardinal Ratzinger qui n’était pas traditionaliste et qui est aujourd’hui Pape) les auteurs n’apportent eux-mêmes aucun argument, aucun fait, aucune donnée scientifique.
2°) Pour les auteurs, les traditionalistes voient dans la mise en œuvre de la réforme liturgique des « erreurs et des abus ». Pour eux, puisqu’il n’y a aucune étude scientifique sur le sujet, on ne peut conclure dans ce sens. Tel Ponce Pilate parlant de la vérité, ils se demandent d’ailleurs « qu’est-ce qu’un abus dans ce domaine ? » Et de conclure : « le renouveau liturgique a été et reste source de progrès pour la vie de la grande majorité des catholiques ». On a juste envie de leur demander où se trouve l’étude scientifique qui permettra de prouver cette pétition de principe ?…
3°) Pour les auteurs, ce qu’ils persistent à appeler, « la restauration de la forme ancienne », conduit à des « incidences théologiques ». Et de ressortir – en s’y mettant à deux ! – les habituels couplets sur la participation active, la proclamation biblique enrichie ou le retour à une anthropologie médiévale dans le rituel du mariage, etc.
En fin d’article, les auteurs se dévoilent.C’est bien le motu proprio et son texte d’application qu’ils contestent. Des professeurs de liturgie contre le Pape ? Le fait n’est pas surprenant. Mais existe-t-il des études scientifiques sur le sujet ? Quant à Bayard Presse, éditeur de La Documentation catholique, ce n’est que l’éditeur de La Croix… Une fois de plus…