L’histoire s’est déroulée en Belgique, au début de cette année. Un vieil homme a été « soigné » à l’hôpital Saint-Jean de Brugge et en est mort. Dans la presse belge, on parle d’euthanasie forcée.
Lieve Vande Putte – elle-même médecin – raconte comment son père, naguère professeur réputé et respecté en théologie, mathématiques, philosophie, avait sombré dans une démence qui s’était aggravée au point de rendre nécessaire son placement dans une institution, puis dans la section fermée de l’établissement. A 83 ans, il était très entouré par sa famille mais souffrait de grave dépression qui lui donnait des idées suicidaires.
La dernière fois où Lieve a vu son père, c’est le 28 décembre dernier. Juste avant de partir aux sports d’hiver, elle était venue lui rendre visite. Ensemble, ils étaient descendus à la chapelle, avaient écouté du grégorien ; le vieil homme avait même chanté.
A son retour de vacances, une petite semaine plus tard, Lieve a trouvé son père très changé, refusant les soins, sujet à des hallucinations de plus en plus pénibles. On le transféra vers la section psychogériatrique pour rechercher la cause de ce changement ; mais surtout, on l’abreuva de sédatifs (midazolam, utilisé en soins palliatifs) et de Halopéridol (contre les hallucinations). Le lundi 10 janvier, s’étant rendue au chevet de son père avec sa mère, Lieve le trouve isolé dans une chambre, attaché au lit par un ceinture, les membres entravés, portant une couche, souffrant d’apnées induites par le midazolam. Mais conscient… Le personnel soigant annonça qu’il allait être placé sous perfusion : en fait, pour administrer des doses encore plus fortes de sédatifs et d’antipsychotiques. Dès le mardi, on y ajouta de la morphine.
Ne comprenant pas pourquoi il avait été aussi profondément sédaté, Lieve est allée se plaindre au gériatre ; le mercredi, une infirmière en soins palliatifs allait effectivement diminuer les doses – au grand dam d’un responsable du service. On expliqua même à la famille que les visites étaient désormais déconseillées puisqu’elles le stimulaient trop. « C’est alors (raconte Lieve) qu’il est devenu évident pour moi que mon père ne survivrait pas au traitement. C’est logique : administrez-moi un cocktail de Halopéridol, de midazolam et de morphine – moi non plus, je ne survivrais pas plus d’une semaine. » De fait, le père de Lieve allait rapidement quitter cette vie…
Il est convenu de ne pas qualifier un telle affaire d’« euthanasie ». Il n’empêche que la mort n’est pas survenue en raison de la maladie dont souffrait le vieil homme, mais par l’effet des médicaments qui lui ont été administrés. Et sans que personne – ni le malade, ni ses proches – n’ait eu à s’exprimer sur cette « sédation palliative », comme on dit.
Cela fait longtemps que la manière dont s’estompe la frontière entre euthanasie et « sédation palliative » me semble être le cheval de Troie du lobby de la « mort choisie ». Frontière difficile à tracer : il n’est pas moralement condamnable de donner des doses de médicaments fortes afin de soulager une douleur insupportable, au risque de hâter la survenue de la mort, un peu ou même un peu beaucoup. Mais la sédation palliative consiste aussi à endormir profondément le patient, à ne plus l’alimenter, et à attendre que la mort s’ensuive. Et dans ce cas, il s’agira d’un homicide : la mort étant recherchée comme conséquence des actes médicaux et des abstentions.
Pour Wim Distelmans, professeur de médecine palliative à l’Université libre de Bruxelles, cette pratique est désormais « quotidienne » en Belgique, comme il l’explique ici. Dans le cas de Lieve Vande Putte, personne n’avait songé à avertir la famille que le cocktail administré à son père aurait pour conséquence la mort… Et Distelmans explique que le terme de « sédation palliative » est souvent utilisé de manière trompeuse :
« On endort le patient, parce qu’il souffre de manière insupportable. On démarre la sédation, sans que le patient ou sa famille n’en sachent rien ; sans qu’ils aient le choix. La sédation s’installe alors dans la durée, on augmente les doses, en espérant sans le dire que le patient mourra. Mais alors il ne s’agit plus de sédation, mais d’une manière de mettre fin à la vie. Ce n’est pas non plus une euthanasie, qui elle est appliquée à la demande du patient. »
Le Pr Wil Distelmans estime que ce genre d’affaires se produit régulièrement, et s’insurge contre le fait qu’elles relèvent du « paternalisme » des médecins qui ne songent pas à « respecter les souhaits du patient et de sa famille ».
Il me semble pourtant que le principal problème n’est pas là : il est dans la mise à mort – fût-elle lente – du malade.