Grande figure dominicaine, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, écrivain, journaliste, cinéaste, le Père Raymond-Léopold Bruckberger fut aussi un homme qui prit ses distances avec ses vœux de religieux tout en restant un défenseur de l’Église et de sa tradition. À ma connaissance, il n’existait pas de biographie de cet homme à part. Une lacune que viennent de combler les éditions du Cerf en publiant le livre de Bernard et Bernadette Chovelon.
Sous le titre Bruckberger, l’enfant terrible, les auteurs offrent donc un aperçu de la vie cahotique du dominicain ainsi que de ses nombreux engagements. Ce travail est intéressant en ce qu’il ne cache rien des zones d’ombre de l’homme, mais il manque de références et même d’un simple index qui aurait grandement aidé le lecteur. L’éditeur est conscient des limites de cet ouvrage si l’on en croit son avertissement, mais alors pourquoi avoir publié le livre en l’état ?
Sur la question qui nous intéresse, le livre ne cache pas la défense de la messe latine et grégorienne par le Père Bruck, mais sans vraiment approfondir la question, à part l’évocation de l’amour du latin. Rien n’est dit non plus de la collaboration de Bruck à La Pensée catholique, par exemple, ou de la réédition de certains de ses livres chez DMM. Ses liens avec le milieu traditionaliste ne sont pas évoqués et l’on ne saura rien, par exemple, du bel hommage qu’il rendit, lui le gaulliste, à Jean Madiran pour le numéro 300 d’Itinéraires. On aimerait en savoir plus dans ce domaine, mais les auteurs sont restés malheureusement à la surface des choses. Il ne reste plus qu’à espérer d’autres travaux sur cet enfant terrible de l’Église de France.
288 pages, 20€.
Voici la présentation de l’éditeur :
Qui sait ce que cache certains destins d’hommes d’Église et ce qui est à l’origine de leurs écarts, de leurs provocations ou de leur grandeur ?
Dominicain, le père Raymond-Léopold Bruckberger a été une figure à la fois emblématique et caricaturale de son Ordre. Il a consacré sa vie à prêcher, à témoigner de l’Évangile et de la liberté dans des milieux souvent éloignés de l’Église et sous des formes diverses : rencontres, prédications, très nombreux ouvrages, chroniques dans la presse, sans oublier le cinéma (« Les Anges du péché », « Le Dialogue des carmélites »).
Très engagé dans les événements de l’histoire, il s’est trouvé présent au côté du général de Gaulle à la Libération, après avoir soutenu, au risque de sa vie, les résistants cachés en Provence et avant d’aider, peu après, sous les huées d’une foule prête à le lyncher, certains condamnés à mort pour collaboration. Comment cet homme si ardent, si attaché au Christ, à l’Église et à son Ordre, a-t-il pu, à la fois, manifester tant d’agressivité à l’égard des responsables de l’Église de France dans la période postconciliaire, mettre alors ses supérieurs en porte à faux, et exposer sur la place publique ses égarements personnels ? Peut-être l’expérience douloureuse de l’enfant Léopold Bruckberger a-t-elle profondément et durablement marqué sa personnalité : traité de « Boche » et d’« ennemi » dans la cour de l’école à Murat en 1914, parce que son père est autrichien, il assiste quelques semaines plus tard à l’arrestation de ce dernier qui laisse derrière lui, sans un sou, son épouse et ses cinq enfants, dont la vie prit alors définitivement « les couleurs de la misère ».
Cette biographie ne tait rien des attitudes et des propos provocateurs du religieux dominicain. Mais la tonalité de l’ouvrage est plutôt respectueuse et compréhensive à son égard. Souhaitons qu’elle suscite des études plus poussées sur cette figure séduisante et irritante du XXe siècle religieux.