Dans sa dernière lettre, l’association Paix liturgique publie la traduction d’un texte paru sur le blog de l’archidiocèse de Washington. Ce texte a vu le
jour à l’occasion de la messe traditionnelle célébrée dans la Basilique de l’Immaculée Conception, à Washington, pour le cinquième anniversaire de l’élection au souverain pontificat de Benoît
XVI, le samedi 24 avril, en présence de plus de 3500 personnes. Paix liturgique (ICI) propose un commentaire à lire absolument pour
comprendre l’intérêt et l’importance du texte traduit que l’on trouvera ci-dessous.
« Pourquoi célébrer la messe en latin ?
Samedi 24 avril – Aujourd’hui, à 12h30, en la Basilique du Sanctuaire national de l’Immaculée Conception, une grand-messe pontificale solennelle sera célébrée selon
la forme extraordinaire du rite romain.
Que ceux qui ne sont pas familiers avec le jargon ecclésiastique de la phrase précédente me laissent le leur décoder. La “forme extraordinaire” de la messe est la
forme de la messe telle qu’elle était célébrée jusqu’en 1965, quand les changements liturgiques survinrent pour aboutir à la messe comme on la connaît à présent.
Avant cette date, la messe était célébrée exclusivement en latin mis à part l’homélie (et parfois les lectures) en langue vernaculaire. Le célébrant était orienté
comme l’assistance, ce que certains ont décrit de façon erronée comme “tournant le dos aux fidèles”. Dire qu’il s’agit d’une “grand-messe solennelle” signifie que toutes les rubriques de la
célébration sont observées. Il y a de l’encens, des porteurs de cierge en plus et la plupart des prières et des lectures sont chantées. Le célébrant est également assisté d’un diacre et d’un
sous-diacre. Dire qu’il s’agit d’une messe pontificale signifie qu’elle est célébrée par un évêque et compte deux diacres supplémentaires et un prêtre assistant. Monseigneur Edward Slattery, de
Tulsa, est le célébrant aujourd’hui.
Quelques questions sont souvent soulevées par ceux qui ne sont pas familiers des splendeurs de la liturgie latine ou n’en mesurent pas la valeur sous cette
forme.
1 – Pourquoi prier en latin, dans un langage inhabituel pour les fidèles ?
En termes simples, prier en latin c’est prier dans le langage sacré de l’Église. C’est un trait commun de nombreuses cultures dans l’histoire que de prier dans une
langue différente de celle de tous les jours. La prière liturgique nous rapproche du paradis, un monde à part de celui qui nous entoure. Dans de nombreuses cultures, l’usage d’une langue
particulière ou plus ancienne est un moyen de souligner cet aspect.
À l’époque de Jésus, les servants de la synagogue et du Temple utilisaient l’hébreu ancien. Jésus et ses contemporains ne parlaient plus hébreu mais araméen dans
leur vie quotidienne. Cependant, quand ils priaient, ils utilisaient spontanément les prières anciennes qui étaient en hébreu. Dans l’Église primitive, on constate l’emploi du grec pour la
liturgie alors que de nombreuses personnes parlaient latin dans l’Empire. Pour beaucoup le latin n’était pas approprié pour la liturgie parce que selon eux celle-ci avait besoin d’une langue plus
soutenue que celle parlée par le peuple. Au Vème siècle cependant, le latin fut introduit dans la liturgie en Occident au moment où il devenait une langue plus vénérable jusqu’à finalement
remplacer le grec (à part quelques survivances comme le Kyrie). Il demeura la langue de l’adoration divine jusqu’en 1965 quand les langues locales furent autorisées. Cependant l’intention de
l’Église n’était pas que le latin disparaisse entièrement comme cela a été grandement le cas. Le latin demeure pour l’Église le langage officiel du culte.
Pourquoi prier en latin ? Pourquoi pas ? C’est pour nous une langue sacrée qui répond à l’instinct qui nous fait considérer la liturgie comme un monde à part qui
nous porte au Ciel. Prier en vernaculaire n’est pas une erreur mais, à dire la vérité, ce n’est pas l’habitude au regard de l’histoire.
2 – Pourquoi le célébrant n’est-il pas face à nous et « nous tourne-t-il le dos » ?
C’est une description totalement erronée que de dire que le prêtre nous tourne le dos. Ce qui se passe en réalité c’est que le célébrant et l’assistance regardent
dans la même direction. Ils regardent Dieu. Au centre de chaque autel se trouve un crucifix. Le prêtre dit la messe face à lui. Les fidèles et lui sont tournés vers le Seigneur.
Dans l’Église antique, non seulement on était tourné vers la Croix mais aussi vers l’est pour prier. Un texte ancien écrit vers l’an 250, la Didascalie des Apôtres
indique : «Vous devez prier vers l’est, parce que, comme vous savez, l’Écriture dit ‘date laudem Deo qui ascendit in caelum caeli ad orientem’ (psaume 67, 34)». Au fil des siècles, il ne fut pas
toujours possible d’orienter (littéralement : « tourner vers l’est », NdT) les églises afin que tout le monde puisse prier face à l’est. Le crucifix sur l’autel représentait alors l’est et le
Seigneur. Chacun était donc tourné vers le Seigneur pour prier. L’idée de se faire face les uns les autres pour prier est très moderne et est inconnue à l’Église avant 1965. La réponse est donc
que le célébrant fait face au Seigneur pour prier et nous aussi.
Pourquoi l’essentiel de la messe est-il murmuré ?
Tout n’est pas murmuré mais une grande part de la prière eucharistique l’est. Historiquement la récitation à voix basse de la prière eucharistique (ou Canon) s’est
développée dans les milieux monastiques où il n’était pas rare que plus d’une liturgie à la fois soit célébrée en même temps sur différents autels. À cette époque les prêtres ne concélébraient
pas comme c’est fréquent aujourd’hui. Chaque prêtre devait célébrer sa propre messe. Dans les monastères, où de nombreux prêtres pouvaient résider, de nombreuses célébrations pouvaient se
dérouler simultanément. Afin de ne pas s’interrompre les uns les autres, les prêtres célébraient donc en silence avec un servant d’autel. Cette pratique s’est poursuivie à l’époque
moderne.
Au fil du temps, ce silence monastique fut assimilé comme un silence sacré. Le chuchotement des prières a été considéré comme un signe du caractère sacré des
prières qui « ne devraient pas » être proclamées à voix haute (d’autres considérations théologiques ont aussi influencées ce silence mais elles sont trop complexes pour être exposées rapidement).
En fin de compte, le respect d’un silence sacré devint aussi la norme dans les églises paroissiales. Les fidèles savaient bien qu’il ne s’agissait pas de les ignorer ou de rendre leur
participation plus difficile mais simplement d’observer un temps de silence sacré. Les gens s’agenouillaient et priaient tandis que le prêtre priait en leur nom.
Dans les siècles passés, à mesure que progressait l’alphabétisation, il devint habituel de fournir aux laïcs des missels et de les encourager à suivre la messe à
leur aide. Dans les années 40 et 50, ces missels devinrent répandus parmi les fidèles. Dans les années 50 quelques expériences de micros ou de prêtres élevant la voix pour aider les fidèles à se
repérer ont été tentées. Ces « messes dialoguées » étaient plus populaires dans certains endroits que dans d’autres. Le silence sacré restait prisé par beaucoup et l’adaptation aux nouvelles
expériences n’était pas toujours accueillie avec ferveur selon les endroits.
Aujourd’hui, avec le retour à certains endroits de la célébration de la messe traditionnelle en latin (appelée officiellement « forme extraordinaire »), ce silence
sacré est de nouveau mis en évidence et cela intrigue ceux qui n’y sont pas habitués. Heureusement, l’histoire peut aider à mieux en comprendre le sens. Une nouvelle fois se pose la question du
ton sur lequel le prêtre devrait réciter le Canon (la prière eucharistique) lors de ces messes. Il y a différentes opinions mais un large consensus veut que le prêtre le prononce à voix très
basse. »