L’affaire de Thiberville fait couler de l’encre. Une encre surprenante parfois, et une encre franchement mauvaise.
Au rayon des surprises, l’article de Jean Mercier dans La Vie. Jean Mercier s’est rendu à Thiberville dimanche dernier. Il a fait son
travail de journaliste. Sans partager forcément toute son analyse, il faut avouer qu’il est honnête. Il l’avait prouvé déjà dans un article sur les « néo-tradis » qui rendait compte de
l’assemblée de RéuniCatho à Versailles. Dans son article sur Thiberville, il tente de montrer les points forts et faibles de chaque partie en présence. Je reproduis ci-dessous les conclusions de
son article, en vous invitant à le lire dans son intégralité sur le site de La Vie :
« Et l’avenir ? Le diocèse d’Evreux semble engagé dans un conflit qui sera dur et probablement long. D’un point de vue canonique, l’évêque d’Evreux est
dans son droit, et l’abbé Michel est dans son tort puisqu’il a promis obéissance à l’évêque d’Evreux et à ses successeurs le jour de son ordination. Sa solidarité avec les opposants lors de la
messe de l’Epiphanie laisse peu d’illusion sur sa volonté de dialoguer avec l’évêque ou ses représentants. Mais d’un point de vue tactique, la position du prêtre rebelle et de ses ouailles reste
forte, pour trois raisons.
Primo, l’élément psycho-affectif. L’abbé Michel a les locaux avec lui, de façon écrasante, et le soutien que ceux-ci lui manifeste est sincère et viscéral.
D’autres facteurs entrent en jeu. Par exemple, la révocation du curé est perçue comme un oukase venu du centre du département, et choque des populations rurales déjà malmenées par les évolutions
de la modernité qui pénalisent le milieu rural.
La décision de Mgr Nourrichard n’apparaît pas seulement incompréhensible (on ne change pas une équipe qui gagne), mais aussi comme une humiliation collective
dans la mesure où le prêtre se retrouve désormais sans ministère. Il apparaît comme jeté au rebut. Une situation que les catholiques thibervillais interprètent comme une punition d’autant plus
injuste que la paroisse est très vivante, à la différence du pôle ecclésial où le diocèse les rattache désormais, dont le denier du culte a chuté de 45% entre 2007 et 2008, soit la plus forte
baisse de tous les secteurs du diocèse.
Leur nouveau curé, Jean Vivien, se situe aux antipodes de la sensibilité traditionnelle de l’abbé Michel, ce qui aggrave le ressentiment, même si le diocèse a
pris soin de maintenir la messe traditionnelle le dimanche, qui sera dite par un autre prêtre du diocèse. « Le Père Vivien n’est pas l’homme de la situation, face à des gens aussi blessés et
attachés à la sensibilité traditionnelle », confie ainsi un observateur.
Secundo, le facteur statégique. L’abbé Michel est fort du soutien de plusieurs maires du canton, dont celui de M. Guy Paris, maire de Thiberville, qui souhaite
continuer à mettre le presbytère à la disposition du prêtre révoqué. Ce qui signifierait que celui-ci pourrait continuer à résider sur place et à exercer sa vie sacerdotale, comme il l’a déjà
annoncé. Dans cette configuration, le ministère du nouveau curé, le Père Vivien, déjà considéré comme un “ennemi” pour son peu de goût pour l’option traditionnelle, semble compromis.
Il n’est pas à exclure que s’installe donc une double vie liturgique et sacramentelle, l’une officielle et l’autre officieuse. Par ailleurs, le nerf de la
guerre – l’argent – ne risque pas de manquer au prêtre, les fidèles pouvant décider de reporter leurs dons sur la personne de l’abbé Michel et de cesser de verser le denier du culte.
Tertio, la dimension idéologique. Pragmatique, le Père Francis Michel appliquait jusqu’à aujourd’hui de façon habile la coexistence des deux formes du rite sous
son clocher, incarnant l’esprit voulu par Benoît XVI dans son Motu Proprio Summorum Pontificum de 2007, à savoir une mutuelle fécondation des deux formes de la messe. Même si le diocèse ne
souhaite pas déplacer le débat sur le terrain idéologique, ses opposants ne se priveront pas de faire valoir cette dimension auprès des instances romaines. Ils ont déjà engagé une action auprès
de la Commission Ecclesia Dei, au Vatican.
La révocation de l’abbé Michel pourrait apparaître ainsi comme un refus diocésain de soutenir la synthèse de type “Réforme de la réforme” qu’avait mise en œuvre
l’abbé Michel et qui est l’un des axes du pontificat. »
L’autre bonne surprise vient de Denis Crouan, qui tente, lui aussi, une analyse des
« forces » de chaque partie. Il pose la question de l’obéissance et de la désobéissance. Qui est dans son droit de l’évêque ou du prêtre ? Lui aussi répond en trois points dont
voici des extraits :
« Le premier est d’un fidèle laïc: “Il est bien certain que rien ne changera tant que les prêtres désavoués ne se manifesteront pas davantage pour refuser
fermement certaines orientations pastorales qui n’ont aucune raison d’être et qui, parfois même, n’ont aucune légitimité. Il ne s’agit pas de “ruer dans les brancards” de façon ouverte et
maladroite, mais de faire savoir à qui de droit que certaines directives prises au niveau d’un diocèse ne sauraient être acceptées et mises en oeuvre. »
« Le deuxième point de vue est celui du P. Louis Bouyer, le théologien bien connu (+2004): “L’obéissance dans l’Eglise est certainement fondamentale, mais
cette obéissance doit être éclairée: c’est une obéissance filiale, une obéissance de la foi. L’obéissance [des fidèles] aux évêques, au Pape, au concile ne doit pas être passive mais
véritablement illuminée par la foi, et le premier devoir de toute la hiérarchie est de la leur communiquer et de l’entretenir. Lorsqu’il y a des défaillances individuelles ou même collectives de
la part de ceux qui dans l’Eglise sont responsables avant tout de la foi, ce n’est pas du tout une infidélité de la part des fidèles mais au contraire une marque de fidélité de critiquer et de ne
pas accepter ce qu’enseigne tel prêtre ou même tel évêque ou un groupe d’évêques, lorsqu’il est clair que cela est en contradiction avec ce que le Pape, les conciles, et toute la tradition des
évêques jusqu’à nous ont enseigné. »
« Le troisième et dernier point de vue est celui d’un Evêque, Mgr Giovanni d’Ercole. Sa réponse à la question posée ici est claire: “Il faut regarder
l’Eglise avec deux yeux. Un oeil sur le Pape, l’autre sur l’évêque et le curé. Si l’évêque et le curé disent la même chose que le Pape, c’est l’unité. Or le manque d’unité fait un très grand mal
à l’Eglise. Si l’évêque ne dit pas la même chose que le Pape, cela me donne un strabisme; alors je regarde le Pape.” »
Conclusion de Denis Crouan :
« A Thiberville, les fidèles sont majoritairement certains que l’Abbé Michel et le Pape disent la même chose. Mais pour ce qui est du Pape et de Mgr
Nourrichard… »
À côté des ces analyses qui tentent une approche équilibrée, l’article de La Croix – mais est-ce une surprise ? – ne tient vraiment pas la route. La
conclusion de l’article est un exemple de la pensée de ce journal, porte-parole officieux de l’épiscopat :
« L’étape suivante serait infiniment plus grave : l’évêque pourrait demander à Rome la suspense du prêtre,
sanction pénale, cette fois. Mais le prêtre peut lui aussi faire appel à Rome, ce que le P. Michel s’apprête à effectuer. Certains prêtres, proches des milieux tradionalistes, invoquent ainsi de
plus en plus, une légitimité romaine supérieure à celle de leurs évêques. Oubliant que les évêques ont été nommés par le pape. »
Une véritable pièce d’anthologie. Si justement les évêques ont été nommés par le pape – la grande découverte ! –, il faut
qu’ils agissent en communion de pensée avec le Pape. Or, l’abbé Michel applique le Motu proprio à la lettre. Il est dans l’esprit du Saint-Père qui entreprend une réforme de la réforme.
Justement, dans l’article de La Croix, Mgr d’Évreux déclare qu’il applique lui aussi le Motu Proprio en sa bonne ville d’Évreux : « Je suis tombé dans une embuscade »,
explique l’évêque, qui rappelle qu’il applique déjà le Motu proprio, avec une célébration le dimanche, à Évreux même, selon le missel de saint Pie V. « Ce diocèse est compliqué », explique-t-il
encore, faisant allusion au passé tourmenté de l’ancien épiscopat de Mgr Gaillot : « j’essaie de faire la communion entre les excès de part et d’autre ». Seulement, cette messe est célébrée
une fois par mois alors que l’abbé Michel la célèbre chaque dimanche, ce qui paraît logique au regard du précepte dominical. Et son application très mesurée à Évreux du Motu Proprio paraît encore
à Mgr Nourrichard être un excès qu’il oppose à celui de Mgr Gaillot.
Vous avez dit communion avec le Saint-Père ?