Mgr Raffin, évêque de Metz, vient de faire parler de lui à propos de ses déclarations sur les fidèles attachés à la forme extraordinaire du rite romain. Maximilien Bernard, toujours bien informé sur son blog Perepiscopus rapporte des propos
effectivement choquants recueillis par Le Républicain Lorrain :
« Que pensez-vous de ceux qui fréquentent la messe en latin, à Metz-Plantières, le dimanche ?
Ce sont des catholiques plutôt jeunes qui, dans leur majorité, ne sont pas Mosellans. Il y a beaucoup de militaires, de jeunes familles, qui ont demandé à
profiter des possibilités offertes par Benoît XVI d’assister à une messe en latin selon l’ancien rite. La règle est qu’ils doivent constituer un groupe stable aux effectifs pas dérisoires. En
réalité, c’est un groupe stable, en dehors des vacances scolaires où ils partent… Ce n’est pas grand-chose en soi.
Vous irez les voir ?
Je n’y vais pas et je n’ai pas l’intention d’y aller.
Comment les appelez-vous ? Traditionalistes ? Néo-traditionalistes ?
[…] ce sont essentiellement des jeunes qui idéalisent un passé qu’ils n’ont pas connu. Moi, je pense qu’ils se trompent de siècle. »
On pourrait s’étonner d’une telle position qui va jusqu’au refus de rencontrer les fidèles en question et qui réduit la liturgie à une question de positionnement
psychologique dans le temps. Mgr Raffin n’est pourtant pas ce que l’on peut qualifier d’évêque progressiste, même s’il laisse faire des choses plus que suspectes dans son diocèse. Au sein de la
Conférence épiscopale, ce dominicain, licencié en théologie, ancien professeur et père-maître au Saulchoir, évêque depuis 1987, est considéré comme un « conservateur ». Il est favorable
à une application assez stricte de la réforme du missel de 1969 et c’est à ce titre qu’il ne supporte pas (le mot est faible) la messe dite de saint Pie V, qui empêche selon lui une bonne
application du concile Vatican II.
La pensée de Mgr Raffin a été exprimée clairement dans un texte paru dans un livre qui a fait assez peu de bruit, bien que la postface de cet ouvrage fut écrite par
le cardinal Ratzinger. En 2002, l’hebdomadaire L’Homme Nouveau, de tendance conservatrice et conciliaire, publiait une enquête sur le livre du cardinal Ratzinger, L’Esprit de la
liturgie, paru l’année précédente. Pendant un an, l’hebdomadaire, naguère dirigé par Marcel Clément, avait donné la parole à des personnalités religieuses leur demandant comment il recevait
les propositions liturgiques de celui qui était alors le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Voici un extrait – éclairant, me semble-t-il – des réflexions de Mgr de
Metz :
« Dans son allocution à la Plenaria à laquelle je faisais à l’instant référence, le Saint-Père (il s’agit de Jean-Paul II, note de Christophe Saint-Placide)
signale que « dans le Missel romain, dit de saint Pie V, comme en diverses liturgies orientales, figurent de très belles prières par lesquelles le prêtre exprime le plus profond sentiment
d’humilité et de respect en présence des saints mystères : elles révèlent la substance même de toute liturgie ».
Ces propos incontestables de Jean-Paul II réjouissent ceux qui, comme le cardinal Ratzinger, font volontiers l’apologie de la liturgie tridentine. Comment peut-on
être catholique authentique en méconnaissant les richesses du Missel tridentin ? Je suis le premier à vénérer le Missel qui a soutenu ma piété d’adolescent et de jeune et je garde le Missel Dom
Lefebvre de ma profession de foi comme une précieuse relique. Mais à ressasser les mérites du Missel tridentin on risque d’oublier la plus grande plénitude que nous a apportée le Missel romain
dit de Paul VI dans lequel ce grand pape a pris d’ailleurs soin de faire insérer in fine la « præparatio ad missam » et la « gratiarum actio post missam » que vise probablement le Pape Jean-Paul
II dans son allocution à la Plenaria.
N’en déplaise aux partisans de la liturgie tridentine, je suis heureux de la disparition des prières d’« offertoire » dont je suis en mesure de démontrer le
caractère hétéroclite et qui ne forment un ensemble cohérent que dans la tête de ceux qui ignorent la formation de l’« offertoire » du missel tridentin. Ces prières ont été introduites vers la
fin du XIIe siècle, alors que l’on ne se contentait plus d’un rite simple, mais elles ne font nullement partie du rite romain originel. En célébrant la messe selon le rite dominicain les
premières années de mon sacerdoce, j’ai dit avec piété l’unique formulaire d’offertoire que comportait le rite dominicain « Suscipe sancta Trinitas hanc oblationem quem tibi offero in memoriam
Passionis Domini nostri Iesu Christi… », tout en étant conscient de son imperfection théologique. Tout comme la prière romaine « Suscipe, sancta Pater », la formule dominicaine conduisait à
attribuer aux simples oblats une vertu qu’ils n’ont pas. La formule actuelle « Benedictus es, Domine, Deus universi », qui s’inspire des bénédictions juives sans doute utilisées par Jésus à la
dernière Cène, est autrement plus juste ; elle comporte d’ailleurs un double « offerimus », plus conforme aux habitudes du rite romain qui utilise la première personne du pluriel, alors que la
formule romaine comme la formule dominicaine emploie le singulier (« offero »).
Dans l’actuel Missel, la prière eucharistique n° 1 du canon romain que j’utilise pour ma part autant que les trois autres me donne de ce texte vénérable une version
expurgée de ses additions postérieures comme celles d’Alcuin. Quant à la prière eucharistique n° 2, il n’est pas nécessaire d’être grand historien de la liturgie pour savoir qu’elle reprend
l’essentiel de la Tradition apostolique de saint Hippolyte de Rome vers 215 et qu’elle est donc antérieure au canon romain. Par ailleurs, est-il nécessaire de le souligner, la richesse
eucologique de l’actuel Missel romain est sans comparaison supérieure à celle que propose le Missel de saint Pie V.
En ouvrant la porte aux langues vivantes dans la liturgie, Sacrosanctum Concilium confiait aux conférences épiscopales d’une même région linguistique le soin
d’approuver la traduction et de la faire ensuite ratifier par le Siège apostolique (n° 36, 3 et 4). Il semble qu’à l’heure actuelle le Saint-Siège veuille intervenir davantage. Il est vrai que
certaines traductions, notamment de textes appartenant à l’Ordo Missæ, laissent à désirer, par exemple la traduction française de l’« Orate Frates », du « Libera » qui fait suite au Pater, du «
Beati qui ad cenam Agni vocati sunt ». Dans son allocution à la Plenaria du 21 septembre, le Pape exhorte « les évêques et la Congrégation à mettre tous leurs soins à ce que les traductions
liturgiques soient fidèles à l’original des éditions typiques respectives en langue latine. Une traduction ne constitue pas, en fait, un exercice de créativité, mais un engagement scrupuleux à
conserver le sens originel, sans y opérer de transformations, omissions ou ajouts ». En réclamant de bonnes versions latines, le Saint-Père comme le cardinal, tout en respectant la lettre du
Concile, ne vont-ils pas à l’encontre de l’indispensable inculturation de la liturgie que recommandait la Lettre apostolique du 4 décembre 1988 pour le 25e anniversaire de la Constitution
conciliaire Sacrosanctum Concilium ? »