Dans Présent de ce vendredi 16 octobre, Jean Madiran consacre
un important article au dernier tome de la correspondance Journet/Maritain. Il y relève une curieuse anomalie qui concerne directement l’histoire de la réception et de la contestation du missel
de Paul VI. Nous reproduisons ci-dessous des extraits importants de cet article, à lire avec attention.
« Correspondance Journet-Maritain
Le mystère du tome VI
Le sixième et dernier volume de cette correspondance va jusqu’à 1973, date de la mort de Maritain. La promulgation par Paul VI d’une nouvelle messe contestée
est du 3 avril 1969.
Le mystère consiste dans le fait qu’à l’exception unique d’une brève allusion au fameux article 7 dans une lettre de Journet du 11 décembre 1969, ni l’un ni
l’autre des deux correspondants ne parle de cette nouvelle messe. Comme s’ils n’en avaient rien dit entre eux.
Est-ce croyable ?
Si l’on y regarde de près, on observe qu’il n’y a aucun échange de lettres entre celle du 11 décembre 1969 et celle du 24 juin 1970. Même sur l’article 7 auquel
Journet venait de faire allusion, il n’y aurait donc eu aucune réaction de Maritain. Ainsi, au moment pourtant où la messe de Paul VI entre en vigueur comme désormais obligatoire, il y a un grand
trou vide, un trou de six mois dans leur correspondance.
Ce trou est-il naturel, ou doit-on le soupçonner artificiel ?
Et plus jamais après ce trou, il ne sera question entre eux de la messe. Ils en avaient abondamment parlé avant 1969. Au cours des années 1965-1968, de grands
bouleversements s’étaient imposés un peu partout dans la liturgie, provoquant l’indignation, l’inquiétude, la douleur explicites (mais non pas publiques) de l’un et de l’autre. Quelques exemples.
Maritain trouve inepte, insupportable, hétérodoxe la traduction française de l’ordinaire de la messe : « J’aimerais mieux mourir, écrit-il, que de faire sortir de ma bouche ce de même nature
» (à la place du consubstantiel dans le Credo), c’est une « formule hérétique ». La communion dans la main et « à la queue leu leu » est « une chose insupportable ». Ainsi s’exprime Maritain à
maintes reprises, refusant « l’obéissance à des commissions anonymes » qui veulent « créer des changements irréversibles » comme « les changements si graves dans la liturgie » ; « la crise est
aussi grave, ou davantage, que celle de l’arianisme », elle « menace les fondements de la foi ».
Et Jugnet (il faut certainement lire Journet, ndlr du blog) :
« La messe qui a pour effet de mettre Sa présence corporelle [de Jésus] au milieu de nous semble avoir dans certaines églises l’effet de la rejeter à côté (20
et 21 novembre 1967, deux ans avant la messe nouvelle). « Sur tous les plans c’est l’inquiétude : exégèse, œcuménisme, liturgie, catéchétique etc. » (7 mars 1969.)
Le 8 août 1966, Maritain écrit à Jugnet (même remarque que précédemment, ndlr du blog) que pour faire face à la crise majeure que traverse l’Eglise,
l’urgent est de se battre sur la liturgie (plutôt que sur la doctrine « à quoi la masse des fidèles n’a guère accès »). Et à partir de 1969, il n’aurait plus accordé d’importance à la liturgie
?
Dans ces années 1965-1969, Maritain et Jugnet (même remarque que précédemment, ndlr du blog) estiment tous deux que cette crise dévastatrice dans
l’Eglise va, pour un temps peut-être long, quasiment tout emporter, et que la tâche nécessaire est de constituer de « petits ilôts » de pensée et de vie chrétiennes.
On doit donc supposer que, mystérieusement, leurs lettres sur le remplacement de la messe ancienne par la nouvelle ont été toutes égarées, ou bien toutes
supprimées.
Les éditeurs ont cru bon d’ajouter de leur cru, en appendice 14 et final, un texte ultérieur de Journet, repris d’une publication posthume dans la revue
Nova et vetera de janvier-mars 1977 (Journet est mort en 1975). Il n’y a pas d’appendice semblable pour Maritain. La publication posthume est présentée et encadrée par le commentaire d’un certain
cardinal Cottier qui, dans ce volume VI paru en janvier 2009, s’est cru autorisé à exhumer à propos du cardinal Ottaviani une contre-vérité calomnieuse, écrasée en 1970 de manière si décisive que
plus personne n’avait osé la reprendre pendant trente-sept ans, jusqu’à la bévue de Mgr Rifan et en 2008 l’étourderie de Christophe Geffroy. Un appendice 14 aussi suspect ne lève pas la
suspicion, il l’augmente.