Lors de son homélie à Orléans pour la solennité de Sainte Jeanne d’Arc, le 8 mai, le Cardinal Ricard a parlé politique et bien commun. Extraits :
Nous sommes à une époque où l’enjeu du politique a besoin d’être revisité. En effet, pour un certain nombre de nos contemporains, le politique, quand il ne se confond pas avec le seul jeu des ambitions personnelles ou avec la recherche d’intérêts privés, semble se réduire à une simple gestion bureaucratique, administrative ou économique de notre société. Or, on ne peut conduire un groupe humain que si on lui offre des perspectives, que si on lui présente un idéal qui soit lui-même tissé de valeurs mobilisatrices. Comment, en effet, promouvoir durablement le bien commun dans une société marquée par la défense d’intérêts catégoriels ou personnels si l’on n’est pas habité par une éthique aussi exigeante que réaliste ? On sent bien d’ailleurs que l’aventure de l’édification de l’union des peuples d’Europe demande plus que l’extension d’une libre économie de marché ou que des concertations socio-économiques. Elle a besoin d’idéal, d’élan, de vision dynamisante, en un mot de souffle prophétique. Seul un tel souffle peut faire bouger les pesanteurs, mettre du jeu dans des conditionnements qui paraissaient inéluctables, ouvrir de manière inattendue une nouvelle page de l’avenir. C’est là, me semble-t-il, tout l’apport à la gouvernance de nos sociétés des valeurs spirituelles, comprises au sens le plus large du terme. […] C’est aussi l’apport profondément original de Jeanne d’Arc que nous fêtons aujourd’hui. Jeanne n’a pas été qu’une guerrière. En elle, nous voyons l’efficacité des forces de l’esprit. Elle a fait bouger l’histoire. Je voudrais méditer quelques instants avec vous ce matin sur ce prophétisme de Jeanne d’Arc. […]
Mais il ne suffit pas au prophète de parler, il faut aussi que sa vie s’accorde avec ses paroles. Il y a une logique de vie. On ne peut témoigner d’un idéal sans chercher à l’incarner dans sa propre existence. Jeanne ne fait pas que parler au nom de Dieu. Elle vit sa foi dans le quotidien. Elle témoigne ainsi d’une confiance simple et profonde. Les docteurs de Poitiers qui l’examinent diront au roi Charles VII : « qu’en elle on ne trouve point de mal mais seulement bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplicité. » Elle aime prier, se recueillir, écouter ses voix. Elle désire participer à la messe et a faim du pain eucharistique. Ses compagnons rapportent : « Elle nous disait souvent : « Si nous pouvions ouïr messe, nous ferions bien ». Elle se confesse fréquemment. […]
La mission de Jeanne fut courte. Tout juste deux ans. Elle a pourtant laissé un profond sillon dans notre histoire. Sa foi sous-tend son témoignage prophétique. Elle vient nous rappeler qu’il est beau de se battre pour un idéal, que le respect du droit prime la force et que Dieu se sert souvent de moyens faibles pour frayer les voies de son Royaume. Paul disait aux Corinthiens : « Ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse s’enorgueillir devant Dieu. » (1 Cor 1, 27-29). Jeanne en est un merveilleux exemple. Puisse sa vie être pour nous source de confiance, d’inspiration, d’engagement et d’espérance. Que Dieu suscite aujourd’hui parmi nous les prophètes et les témoins d’espérance dont nous avons besoin !