La fin de la note épiscopale fait référence à la situation française, en regard de la loi de 1905 :
III. Point de vue de la loi française
Ce point et le plus important eu égard à la particularité de l’Église en France. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation de l’Église et de l’État, complétée par la loi du 2 janvier 1907 « concernant l’exercice public des cultes établissent ce qu’on appelle la « Loi de Séparation » selon laquelle « les édifices affectés à l’exercice du culte… continueront, à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de la religion. » Ces deux textes ont donné lieu à une jurisprudence et une interprétation doctrinale constantes dont les principes sont clairement établis et formulés. Il faut noter entre autre :
· L’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1912. Celui-ci stipule qu’en cas de conflit entre deux prêtres pour l’occupation d’une église catholique « l’attribution de celle-ci doit être exclusivement réservée à celui qui se soumet aux règles d’organisation générale du culte dont il se propose d’assurer l’exercice, notamment à celles de la hiérarchie ecclésiastique, et qui demeure en communion avec son évêque.
· L’arrêt du conseil d’État du 14 février 1913. Celui-ci précise qu’une association se trouvant dans l’impossibilité de s’assurer le concours d’un ministre du culte régulièrement désigné et en communion avec la hiérarchie ne peut être affectataire d’un édifice du culte jusqu’alors destiné à l’exercice régulier du culte catholique.
L’affectation n’appartient pas aux fidèles et ministres du culte, affectataires de l’édifice. Celle-ci est voulue par la loi. Les autorités administratives sont garants de cette affectation. Nous soulignons les trois propositions qui se dégagent de cette loi et sa jurisprudence :
· Les églises, chapelles ou tout autre lieu de culte, sont propriétés de l’État (cathédrale) ou des communes et font l’objet d’une affectation à l’exercice du culte catholique qui est exclusive et perpétuelle.
· Cette affectation va nécessairement aux ministres du culte et aux fidèles établis par la hiérarchie ecclésiastique et « en communion » avec celle-ci ;
· Le respect de l’affectation cultuelle s’impose aux autorités civiles et aux ministres du culte dans l’utilisation qu’ils font de l’église.
Les conséquences de cette législation sont extrêmement importantes : seul l’évêque diocésain, nommé par le Saint Père, peut nommer le curé ou le responsable ecclésiastique d’un édifice affecté au culte et construit avant 1905. Ce prêtre doit être « en communion » avec la hiérarchie de l’Église catholique. Seul ce prêtre est légitime affectataire au regard de la loi française. Celle-ci a en conséquence jugé que les membres de la Fraternité Saint-Pie X occupant par la force les églises de Port-Marly (diocèse de Versailles) et de Saint-Nicolas du Chardonnet (diocèse de Paris) sont en situation illégale ; elle a demandé leur expulsion. La reconnaissance canonique par l’Église catholique de la Fraternité Saint-Pie X et la levée de la « suspens a divinis » des prêtres desservant illégitimement des églises occupées par la force ne suffisent pas à rendre ces prêtres affectataires légaux de leur église. Ils doivent de plus être nommés par l’évêque diocésain. Un maire d’une commune (ou un préfet pour les cathédrales) ne peut confier une église catholique à un prêtre de la Fraternité Saint-Pie X même si celle-ci est reconnue par l’Église catholique. En effet ce prêtre ne serait toujours pas nommé par l’évêque diocésain. De même un maire – pas plus qu’un évêque – ne peut confier une église à une association qui n’assurerait pas le concours d’un ministre du culte nommé par l’évêque et en communion avec la hiérarchie. Cela est valable quel que soit l’état de l’église. L’affectation est perpétuelle. La désaffection de droit résulte d’une décision de la Puissance publique (décret du Conseil d’État) qui ne peut la prononcer que dans des conditions précises comprenant comme élément essentiel un acte de l’évêque légitime. Une église désaffectée de fait (incendie, abandon, etc.) reste de droit affectée au culte catholique ; son affectataire doit correspondre aux qualités requises décrites plus haut. Par ailleurs, la Loi de Séparation interdit que tout édifice public soit affecté à quelque culte que ce soit (et par conséquent au culte catholique) hormis ceux déjà affectés au culte avant le 2 février 1907 (art. 5 de la loi). Ainsi donc aucun bâtiment municipal ou appartenant à l’État ne peut désormais être affecté à quelque culte que ce soit. Aucun pouvoir public ne peut, sans violer la Loi de Séparation, attribuer un édifice public à des membres de la Fraternité Saint-Pie X pour l’exercice du culte, même si celle-ci était reconnue par l’Église. Seul l’évêque diocésain peut confier un édifice affecté au culte catholique à une congrégation religieuse ou aux membres d’une prélature en communion avec Rome. L’absence de consentement de l’évêque diocésain suffirait à rendre invalide aux yeux de la loi civile l’occupation abusive d’un tel édifice même légitimée a posteriori. Cette constante application de la Loi de Séparation garantit la stabilité de la présence catholique en France. Toute infraction à la loi française remettrait en cause cet équilibre et serait la porte ouverte à tous les abus : utilisation d’églises à d’autre fins que le culte catholique, fins profanes pouvant même être contraires à celui-ci. Les arguments juridiques des partisans de Mgr Lefebvre remettent en cause « l’affectation perpétuelle et irrévocable » au culte catholique du patrimoine chrétien de la France. Ces arguments apportent un concours inespéré aux courants les plus laïcs et parfois antireligieux qui tentent de s’approprier ce patrimoine sous couvert de fins culturelles. Ces arguments s’appuient sur une nouvelle interprétation de la Loi de Séparation. Il serait dramatique pour l’Église catholique en notre pays que la hiérarchie semble si peu que ce soit s’y rallier.
L’affaire de l’église St Eloi, à Bordeaux, fait un peu figure d’exemple : avant sa reconnaissance officielle, l’abbé Philippe Laguérie avait obtenu de la mairie l’affectation de cette église, laissée à l’abandon, en échange d’une remise en état à ses frais (et surtout de ses fidèles). Le cardinal Ricard avait contesté, par principe, cette décision municipale en justice : il ne voulait pas que la commune puisse léguer des biens ecclésiastiques sans son accord (sinon, rien ne s’opposerait à ce que la mairie confie une église vide à des musulmans…). Le cardinal a gagné en justice… et a laissé l’abbé Laguérie maître des lieux.
Mais dans ce texte plus haut, on sent que nos évêques faisaient comprendre à Rome que, même en cas d’accord, la Fraternité Saint Pie X n’obtiendrait pas d’église (alors que bon nombre sont aujourd’hui vides). Elle ne pourrait plus se développer. On voit actuellement la difficulté qu’ont les instituts reconnus (la Fraternité Saint-Pierre a une chapelle minuscule à Versailles alors qu’elle y draine plus de fidèles que dans bon nombre de paroisses). Cette menace, qui date de 1988, et qui semble avoir convaincu Mgr Lefebvre de dénoncer sa signature sur l’accord passé avec le Cardinal Ratzinger, est à relativiser aujourd’hui. L’unité de nos évêques sur cette question n’est plus de mise et il se pourrait que certains évêques accueillent volontiers les prêtres de la Fraternité Saint Pie X. Il est certain en revanche que d’autres feront encore du blocage. Mais nous y sommes bien habitués.
Il reste à savoir si, au vu de ces blocages réels, la Fraternité Saint Pie X est aujourd’hui prête à signer un accord canonique avec Rome. (fin)