Je découvre dans la Documentation catholique du 17 octobre un texte de l’abbé Christian Salenson, ancien directeur du Séminaire d’Avignon, actuel Directeur de l’Institut de Science et de Théologie des Religions de Marseille (photo). Il nous parle de l’islam, conçu comme une voie vers Dieu ! L’abbé Salenson évoque le père Christian de Chergé, moine trappiste de Tibihirine, assassiné en 1996 :
Par expérience personnelle, il sait que l’islam est une voie susceptible d’accompagner des hommes et des femmes sur le chemin vers Dieu. Le concile Vatican II le confirme dans cette opinion. L’Église ne «rejette rien de ce qui est vrai» dans les autres religions, mais les considère avec «un respect sincère», y reconnaissant «des rayons de la vérité», de l’unique vérité qui est le Christ. Ce qui interdit toute attitude de rejet. Quant à l’islam, l’Église s’engage plus encore parlant à son propos d’une «réelle estime», mentionnant qu’après le judaïsme, cette religion a une place de choix car, selon Lumen Gentium, la constitution dogmatique sur l’Église, «avec nous les musulmans adorent le Dieu unique et miséricordieux». […] L’Église serait bien en peine de dire aujourd’hui quelle est précisément la place de l’islam dans le dessein de Dieu, mais elle est tout autant dans l’incapacité de rejeter a priori cette tradition religieuse.
La place de l’islam dans le dessein de Dieu constitue pour Christian de Chergé une quête inlassable qui lui fait écrire dans son testament qu’évidemment certains vont le trouver naïf ou idéaliste mais que pour lui le jour de sa mort «sera enfin apaisée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai s’il plait à Dieu plonger mon regard dans celui du Père pour y contempler ses enfants de l’islam, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de sa passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences…». Dans le sein du Père, les musulmans restent «ses enfants de l’islam». Ils sont fils du Père non pas en dépit de leur appartenance religieuse mais en étant croyants de l’islam.
Il se trouve dans une posture selon laquelle, dans la foi, il est assuré que l’islam participe au dessein de Dieu et en même temps il est dans une ignorance consentie sur sa place exacte, ignorance qui a valeur heuristique. Foi et ignorance se conjuguent alors pour l’entraîner sur les chemins de la rencontre. En effet, il ne s’agit pas de s’installer paresseusement dans cette ignorance mais, à cause d’elle, de s’engager dans le dialogue pour entrer plus avant dans le mystère de Dieu et son dessein prodigieux d’unité du genre humain. De Chergé ne souhaite pas corseter trop vite la réflexion théologique dans des théories, mais veut laisser l’espace largement ouvert afin que Dieu puisse écrire avec nous une nouvelle page de l’histoire de l’humanité.
On retrouve ici cette confusion lancinante entre islam et musulmans : l’Eglise, selon Nostra Aetate, regarde avec estime les musulmans et non la religion islamique. C’est pourquoi, parler de la place de l’islam dans le plan de Dieu, c’est un peu comme si on réfléchissait sur la place du système communiste dans le dessein divin !
A travers cet article, c’est aussi le positionnement religieux du prieur Christian de Chergé qui pose problème. Certes la sincérité et l’héroïcité de ce dernier et des moines qu’il a menés dans l’acceptation de leur sort ne soulèvent que le respect. Mais elles n’impliquent pas d’accepter sans réflexion une conception des rapports de la foi dans le Christ avec l’islam quelque peu en contradiction avec la doctrine catholique. Par exemple, le père Charles de Foucauld aimait les musulmans de tout son cœur et de toute son âme et il priait donc, témoignait et agissait pour les libérer de l’islam.
Enfin, cette curieuse interprétation des textes du Concile Vatican II m’incite à répercuter l’appel lancé par Mgr Schneider, évêque auxiliaire de Karaganda, tenu lors du colloque intitulé «Concile Vatican II, un concile pastoral – Analyse historique, philosophique et théologique», le 16 décembre à Rome. Au cours de sa communication sur le thème du culte de Dieu comme fondement théologique de la pastorale conciliaire, il a dénoncé l’interprétation erronée du Concile dans la période postconciliaire, et a suggéré la rédaction d’un Syllabus condamnant infailliblement «les erreurs d’interprétation du Concile Vatican II».