Le dernier livre du cardinal Philippe Barbarin, L’Église est une servante, vient de paraître. Voici un extrait concernant la politique :
Pour renouveler la société, il faut des femmes et des hommes nouveaux, ou plus exactement qui acceptent de se laisser eux-mêmes renouveler par Dieu et par les appels qui viennent jusqu’à eux, en particulier des plus pauvres. Là aussi, on a d’abord besoin de serviteurs. J’aime entendre les responsables réfléchir à la notion de «service public», ou à celle d’engagement, dans le domaine politique. Certes, il y a une technique, un «métier» de la politique, induit par l’organisation d’un pays. On ne gagne pas les élections sans s’y être préparé attentivement. Mais cela ne doit jamais devenir une logique d’accès au pouvoir qui passe avant le service à rendre et le bien de tous. […]
Le «pouvoir», voilà un mot qui mérite une réflexion et, lui aussi, une «guérison». Son utilisation est devenue étrange, comme sont étranges les expressions qui en découlent : «Prendre le pouvoir», «accéder au pouvoir», «la course au pouvoir»… Ce mot n’a de sens que s’il s’agit du pouvoir de faire quelque chose, d’aider une personne, d’organiser la société et de servir le bien commun. On demandera à quelqu’un : «Pouvez-vous me résoudre ce problème ou me prêter de l’argent» ? On dira à un autre : «Je peux faire cette démarche à votre place ; je peux vous mettre en relation avec un tel qui saura vous conseiller»… Celui qui a été ordonné diacre peut célébrer les baptêmes et recevoir le consentement des époux lors d’un mariage, et le prêtre peut célébrer la Messe et pardonner les péchés. L’Assemblée nationale peut voter une nouvelle loi, le gouvernement peut prendre un décret concernant la santé publique ou l’éducation nationale, etc. Tout va bien tant qu’il y a quelque chose derrière le verbe ou le mot «pouvoir». Mais dès qu’on l’utilise seul, sans complément, alors on est en danger ; le pouvoir risque de devenir une idole. Il est utile et important de montrer la beauté et les exigences de l’engagement politique. Tout ce que peuvent faire les élus et les responsables est indispensable au progrès de la société et à la solidarité entre ses membres. La prière liturgique de l’Église nous invite à intercéder pour eux, afin que le Seigneur les éclaire et les inspire, et qu’ils aient la force et la liberté d’agir, en vue du bien commun. Il est trop facile, et surtout injuste de critiquer les hommes politiques avec des slogans qui sont plutôt des insultes. C’est souvent la jalousie qui s’exprime. Qu’on manifeste des exigences à l’égard de ceux qui exercent des responsabilités, c’est logique, car «à qui on aura donné beaucoup, il sera beaucoup demandé» (Lc 12, 48). Mais qu’on ne se mette pas à discréditer tout le corps des politiques à cause de quelques contre-exemples ou scandales. D’ailleurs, qu’on nous montre un corps social où rien ne soit «pourri» ! La politique est aussi une «bonne nouvelle», et nous sommes heureux de voir des disciples du Christ s’y engager, malgré les combats auxquels elle donne lieu. C’est un message à faire passer aux jeunes : «Si tu en as le désir et si tu t’en sens la force, n’hésite pas à t’engager dans la vie politique. Écoute les avertissements et sois conscient des dangers qui guettent ces responsabilités, mais sache que c’est un service nécessaire et un témoignage attendu.» Le service à accomplir, le bien de tous sont assez importants pour que l’on ne craigne pas d’affronter ces inévitables obstacles.
Le pape Pie XI a bien exprimé la pensée de l’Église en ce domaine, en disant de la politique qu’elle est la forme suprême de la charité. Jean-Paul II et maintenant Benoît XVI ne manquent pas une occasion d’encourager les chrétiens à prendre des responsabilités dans la vie politique. Au chrétien qui s’engage sur cette voie, on montrera la dimension spirituelle de la vie politique. Les solutions à trouver et à mettre en oeuvre sont concrètes, humaines, financières…, mais il ne faut pas se tromper sur le renouvellement dont la société a besoin. Un meilleur cadre, de meilleures conditions de vie, c’est important et souvent nécessaire, mais ce n’est jamais un bien ultime. Le chrétien qui se met au service de la vie sociale et politique ne portera du fruit que s’il reste humble. Il sait que le véritable renouveau vient d’ailleurs, du Christ lui-même, comme le dit saint Irénée : «Omnem novitatem attulit, seipsum afferens. C’est en s’offrant lui-même qu’il [le Christ] a offert toute nouveauté.» […] Sur toutes ces questions et dans tous ces domaines, il me semble que l’Église a offert un excellent instrument de travail en publiant il y a quelques années le Compendium de la doctrine sociale. Est-il connu, étudié, consulté ?