Un représentant – éloigné – de la fameuse “école de Bologne” (réputée défendre une “herméneutique de rupture” et donc cible de bon nombre de commentateurs ratzinguériens), l’historien Enrico Morini, vient d’intervenir dans le fameux débat autour de la question continuité/rupture à Vatican II. Toute son intervention est à lire attentivement (sur le blogue de Sandro Magister). Elle est extrêmement suggestive, notamment dans sa thèse un tant soit peu provocante:
“Selon moi, il n’est pas vrai qu’il n’y ait pas de ruptures dans la tradition de l’Église. Il y avait déjà eu un hiatus, précisément lors du passage du premier au deuxième millénaire […]. Il ne faut pas s’en étonner : c’est justement parce que l’Église est un organisme vivant que sa tradition est sujette à une évolution, mais aussi à des régressions.”
Mais, pour l’heure, je vous propose de n’en retenir que le passage relatif à la liturgie – qui est, chacun le sait, le point sur lequel le post-concile est davantage apparu comme en rupture avec la Tradition antérieure:
“Un second domaine [après l’ecclésiologie] dans lequel la continuité entre la réforme conciliaire et le premier millénaire est encore plus évidente – dans la mesure où elle est perceptible par tous – est celui de la liturgie, même si, paradoxalement, il s’agit d’un exemple que ceux qui critiquent Vatican II privilégient pour accuser le concile de rupture avec la tradition. Le critère herméneutique que j’ai adopté me permet d’affirmer exactement le contraire, toujours sur la base du postulat d’une pluralité diachronique de traditions. Dans ce cas aussi, il y a eu une rupture évidente avec la liturgie préconciliaire – qui était notoirement une création tridentine, avec des interventions ultérieures – mais précisément dans le but de retrouver la grande tradition du premier millénaire, celui de l’Église d’avant les divisions. Peut-être ne sommes-nous pas conscients que le nouveau missel qui fait l’objet de critiques contient une fantastique reprise d’oraisons tirées des sacramentaires les plus anciens – remontant justement au premier millénaire – le léonien, le gélasien et le grégorien, ainsi que, pour l’Avent, du patrimoine eucologique de l’antique Rouleau de Ravenne, trésors qui sont restés en grande partie en dehors du missel tridentin. On peut en dire autant à propos de la reprise, dans le cadre d’une opportune pluralité de prières eucharistiques, de l’antique anaphore d’Hippolyte et d’autres tirées de la tradition hispanique. En ce sens, le missel “conciliaire” est bien plus “traditionnel” que le précédent.
J’écris cela en posant comme corollaire deux observations que ne partageront peut-être pas les “progressistes”. La première est que, si l’on examine l’état actuel du rite “ordinaire” de l’Église romaine, on constate que cette continuité avec la tradition du premier millénaire, implicite dans la réforme conciliaire, a justement été estompée en partie par bien d’autres développements intervenus au cours de l’après-concile : d’une part, au niveau de base, il s’est produit un malentendu, le concile ayant provoqué un spontanéisme liturgique désordonné et d’autre part l’autorité compétente a procédé à la promulgation de textes créés pour l’occasion – concernant de nouvelles anaphores et de nouvelles collectes – visiblement étrangers, par leur langage aventureusement contemporain et existentiel de façon moderne, au style eucologique du premier millénaire, profondément inspiré par la pensée et par la terminologie des Pères.
Ma seconde observation est que le motu proprio “Summorum Pontificum” – comme on le sait, il autorise l’utilisation du missel tridentin en tant que rite “extraordinaire” – document qui est considéré par beaucoup de gens comme une régression par rapport au concile, a au contraire pour moi l’indiscutable mérite de rétablir dans l’Église latine ce pluralisme liturgique qui caractérise, je le répète, le premier millénaire. Même s’il s’agit d’une pluralité rituelle marquée par la variable du temps et non pas par celle de l’espace géographique, elle a le mérite d’introduire aussi dans l’Église catholique – de manière pacifique et indolore – cette présence “vieux-ritualiste”, qui est un patrimoine de la tradition orthodoxe, même s’il a été acquis de manière violente et traumatisante.”
Je serais beaucoup moins affirmatif que Morini sur le caractère traditionnel des prières tirées des sacramentaires les plus anciens. D’abord, parce qu’il me paraît toujours douteux que le canon d’Hippolyte soit effectivement une prière traditionnelle (je ne suis pas du tout un expert de la question, mais les quelques auteurs que j’ai lus sur cette fameuse base de la deuxième prière eucharistique du nouveau rite ne parvenant pas à se mettre d’accord, j’aurais tendance à me méfier…). Ensuite, et surtout, parce que cette volonté affichée de revenir à un premier millénaire de l’ère chrétienne mythifié me semble être tout sauf traditionnel. Il me semble que c’est exactement de l’archaïsme – et l’archaïsme est le contraire de la Tradition. J’ajoute que la portée oecuménique annoncée de ce prétendu retour au premier siècle me semble extrêmement faible, pour ne pas dire plus. Je note, en particulier, que nous n’avons jamais été plus prêts d’une union véritable avec les orientaux séparés que depuis que l’Eglise romaine semble remettre sa propre tradition à l’honneur.
Bref, je ne suis pas d’accord avec Morini sur des sujets fondamentaux.
Cependant, je constate que son goût du paradoxe et sa science historique font jaillir quelques traits de lumière intéressants. En particulier, celui selon lequel redonner une partie de ses droits à la liturgie romaine traditionnelle n’est pas une “régression” (au sens progressiste du mot), mais qu’au contraire, cela rétablit un sain pluralisme liturgique que les XIXe et XXe siècle, en particulier dans l’immédiat après-Vatican II, avaient perdu de vue (il est évident que l’on ne peut parler de sain pluralisme liturgique pour décrire la période d’anarchie liturgique des années 1970 et suivantes!).
Le pluralisme liturgique (et concomitamment les autres pluralismes) voilà ce que je n’arrête pas de réclamer, si j’ai le droit de réclamer quelque chose ! On va inévitablement vers un pluralisme généralisé, surtout avec le processus oecuménique engagé, et en bonne voie d’aboutir si je me fie aux derniers échanges publiés entre le Vatican et le Phanar. Le rite Paul VI, le rite tridentin, le rite anglican,les rites orientaux,les rites africains qui, de fait, se sont créés en Afrique avec l’assentiment du Saint-Siège, voila, n’est-ce-pas, beaucoup de rites et beaucoup de pluralité.
Nonobstant la pluralité théologique, spirituelle et mystique, exégétique même, qui ne manquera pas de suivre comme un corollaire. Ca vous effraie ?
Qui a dit que l’Eglise était une, mais non pas uniforme ?
J’ai également pu lire des critiques fortes à l’encontre de la “Prière eucharistique II”, basées (si je me souviens bien) sur l’hypothèse selon laquelle l’anaphore d’Hyppolite serait apocryphe ! Je ne sais plus du tout où j’ai lu cela mais ce serait peut-être dans “Une Histoire de la Messe” écrite par un moine de Fontgombault.
Il serait intéressant de creuser le sujet et d’y consacrer un post, car si la PE II est apocryphe, ça en fout un coup aux tenants de l’archéologisme liturgique et prouve que les réformes postconciliaires ont bien suivi une herméneutique de la rupture.
Réponse à Maurice. Sans être du tout un spécialiste de la liturgie (appel discret du pied à plus instruit que moi), je pense que vous vous trompez : c’est l’inverse.
La prière eucharistique N° II a été rédigée selon l’hypothèse que l’anaphore d’Hippolyte était authentique, mais des chercheurs récents auraient remis en cause cette authenticité. Ce doute aurait rejailli sur l’opportunité de cette deuxième prière.
Voici ce que je relève sur un site spécialisé :
« La prière eucharistique numéro 2 : C’est une adaptation récente de la plus ancienne prière eucharistique connue : celle de saint Hippolyte de Rome (vers 215). C’est aussi la plus utilisée, peut-être parce que c’est aussi la plus brève ! « Toi qui es vraiment saint, Toi qui es la source de toute sainteté… »
Pour moi, je dois vous l’avouer, cette ambiguïté ne me gêne absolument pas. La première N° II garde sa beauté, même inauthentique. La liturgie n’est pas un musée. C’est une création vivante.
Elle est authentique au moins depuis Vatican II !
Les partisans de l’immobilisme liturgique devrait refuser le Pater Noster dans la messe.
Il a été introduit dans la liturgie au VIe siècle, début VIIe, par le pape Grégoire le Grand.
Qu’est-ce que c’est que ce pape Grégoire le Grand, je vous le demande. Un révolutionnaire et un moderniste. Il a introduit une rupture profonde dans la liturgie. Il faut réagir.
Ferrand, Saint Gregoire le Grand, il est non seulement un Papa et Docteur, mais il est aussi un Saint Père de l, Eglise. Tout ce qu, il a fait et dit, etablit la Tradition a cause de la antiquitas, sanctitas vitae, doctrina orthodoxa et unanimis consensio. Cela n, on peut dir, par exemple, de Paul VI ou JPII.
Le Cardinal Ranjith a dit que ignorer le deuxièeme millenaire pour mettre sur place le premier, est bleser la Tradition de l, Eglise. Et je ne dout pas de la beautéde la P II d, un posible Psudo Hypolithe, mais a son ambiguitée il faut ajouter le domage de mauveses traductions.
Jean, la question la plus importante n’est pas de savoir si l’anaphore d’Hippolyte est bien d’Hippolyte ou pas (ce sont les liturgistes de saint Anselme eux-mêmes qui le pensent de plus en plus) mais si elle a sa place dans la messe romaine. Elle était peut-être une anti-anaphore, composée par cet anti-pape contre le canon romain. Là encore, ce sont des hypothèses mais on ne joue pas aux hypothèses avec la messe comme un savant expérimente la synthèse d’une nouvelle molécule. La messe n’est pas un musée mais elle n’est pas non plus un laboratoire. Dans ce cas, mieux valait laisser aux savants professeur le soin de disserter dans des colloque sur ce document sur lequel planent tant d’incertitudes, et s’abstenir de l’introdure dans les livres liturgiques.
Je vais vous donner mon avis sur le missel actuel. Il comporte un grand nombre de prières eucharistiques, de préfaces, d’oraisons. Tant mieux. Les paroissiens comme les célébrants y trouveront des richesses adaptées à tous les ages et toutes les circonstances.
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Cette variété me semble bonne. Nous avons 4 évangiles. Chacune avec une sensibilité, un axe, un ton, un rythmes, des détails différents.
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Pour qu’un enfant grandisse et s’épanouisse on le nourrit avec une diversité de plats et d’aliments. Ce n’est qu’ainsi qu’il deviendra gastronome.
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La vraie rupture est quand le prêtre prend systématiquement le PE 2 et chosit l’une des 3 premières prèfaces. Lui permettant de dire une messe basse de façon quasi-automatique en 25-30 minutes.
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J’ai vu par contre célébrer la messe avec une dévotion non feinte, un amour de la liturgie, en ayant conscience de célébrer le mystère pascal du Christ avec des mots hérités des Pères de l’Eglise et qui ont nourri des génération de chrétien.
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Quand la messe est célébrée comme la source et le sommet de la vie chrétienne, de façon digne et belle, je crois que tous les débats historiques, les polémiques de rituel tombent dès lors que nous tombons à nous aussi à genoux pour adorer le Christ s’offrant lui-même sur l’autel.
Causez toujours on verra bien quelle liturgie perdurera…et tout ce progressisme de vatican 2 disparaitra plus rapidement qu’on le pense
Très belle intervention de Benoit à laquelle on ne pet que souscrire!
La mise en perspective historique est toujours intéressante. Elle montre bien que dire que la messe de St Pie V est la seule “vraie” ou “valide” n’a aucun sens.