La préannonce de l’élévation de Mgr Léonard au siège de Malines-Bruxelles par le vaticaniste
Andrea Tornielli (Il Giornale), puis la diffusion de la nouvelle sous secret pontifical dans l’Église de Belgique, a provoqué vendredi effervescences et précipitations.
J’ai préféré, pour ma part, garder mon sang-froid et m’en tenir posément la règle professionnelle de l’embargo, en attendant le délai fixé pour l’annonce officielle – depuis quelques minutes – de
cette nouvelle. Ceux qui savent me lire ont compris qu’elle était depuis un certain temps « dans les tuyaux » et qu’elle a mis en grand émoi les « milieux bien informés »
aussi longtemps que la décision ultime du Pape n’a pas été connue (le long secret sur les décisions de nomination est un moyen de gouvernement qui distingue ce pontificat du précédent).
Malgré la pré-rumeur, puis la rumeur préalable orchestrée par Tornielli, la publication officielle de l’élévation de Mgr Léonard reste un coup de tonnerre pour l’Église belge : le Pape fait
Primat d’une Église exsangue « le plus conservateur » des évêques belges.
Mgr André-Mutien Léonard aura 70 ans le 6 mai. Il restera donc archevêque de Malines-Bruxelles
normalement pour 5 ans, jusqu’à 75 ans. C’est à remarquer d’emblée : ce colosse belge-brun, paisible, souriant, sympathique, sera un archevêque « de transition », ce qui peut
d’ailleurs lui faciliter une tâche a priori fort difficile.
J’ai, du haut de mon petit Osservatorio, suivi pour mes lecteurs l’affaire de cette nomination-test
depuis le 20 juin dernier
(« Belgique : un nonce pour nommer un syndic de faillite ! »), ce qui a valu à ce blogue une certaine notoriété en Belgique et Outre-Tibre, comme on dit à Rome pour désigner
le centre nerveux de la Curie romaine.
C’est là, à Rome, que s’est jouée toute la bataille, autour du Pape, avec une dernière phase particulièrement
éprouvante pour les nerfs. Elle a eu lieu entre les partisans de la « continuité » (à la ligne Danneels), qui voulaient faire nommer avec l’appui du cardinal Re, Préfet de la
Congrégation des Évêques, un candidat de « moindre mal » (à défaut du progressiste De Kesel), c’est-à-dire un modéré mou, et les partisans de la « rupture », qui
cherchait à pousser nommer l’évêque belge le plus proche de la ligne Ratzinger qu’est l’évêque de Namur. On pourrait le qualifier de modéré plus dur, car ainsi va la Restauration de
Benoît XVI qui, à force de mutations de degrés, tend vers une mutation de nature.
Cet homme intelligent et humble – ce qui n’exclut pas l’ambition pour la bonne cause–, partageait d’ailleurs avec
le cardinal Joseph Ratzinguer la capacité de se laisser contredire, si c’était de manière argumentée, à propos de prises de position tenant à sa formation non classique. Mais il lui faudra
une volonté de fer et un courage à toute épreuve pour changer les choses à Bruxelles. Il sera au moins un interlocuteur loyal pour les prélats pro-Restauration de la Curie romaine. Et, cardinal
au prochain consistoire, il donnera une voix de plus à leur candidat lors du futur conclave…
Dans mon article du 11
décembre je faisais remarquer que le vaticaniste ratzinguérien Paolo Rodari était entré très significativement en lice dans Il Foglio sur le thème que j’avais
longuement développé : « Le primat Danneels laisse derrière lui un cimetière ». Son but, pas plus que le mien, n’était d’assassiner moralement l’archevêque des Belges avant qu’il
ne se retire, mais de préparer l’opinion en faisant bien comprendre à tous ses lecteurs – notamment ceux de la Curie – qu’il était nécessaire de procéder à une nomination qui tournerait cette
page désastreuse. Ou en tout cas qui tenterait de rectifier ce qui avait été écrit depuis 40 ans. C’est au fond la note dominante du pontificat actuel : sous un pape qui a en fait été élu
« pour sauver les meubles », parce ce que l’Église du post-Concile courait à la catastrophe, il s’agit depuis lors de faire prévaloir – non sans difficultés – les solutions permettant
visant à préserver ce qui peut l’être et à empêcher d’écraser la mèche qui fume encore.
Rodari savait au reste que les ratzinguériens influents en matière de nominations n’avaient guère le choix :
pour enlever la décision, ils ne pouvaient que pousser la candidature de l’évêque de Namur. Le coup porté par cette nomination va d’ailleurs dépasser de loin ce qu’elle représente
réellement : dans l’état où se trouve l’Église de Belgique, Mgr Léonard, prélat classique et au fond très prudent, passe ni plus ni moins pour un ayatollah intégriste ! N’avait-il pas
osé, en 2007, parler « d’anormalité » au sujet de l’homosexualité ? Ce qui avait déclenché dans tout le Royaume un lynchage médiatique inouï, que l’éventualité de son accession au
siège primatial a d’ores et déjà réactivé. Les affaires d’Église deviennent d’ailleurs à ce point surréalistes qu’il n’est pas impensable que certaines autorités publiques belges se donnent le
ridicule de manifester leur désaccord vis-à-vis de la nomination d’un prélat « intégriste ». Un certain nombre de médias le traitent ni plus ni moins de « nazi »… parce ce
qu’il a exprimé des réserves à propos de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels.
Cette démagogie inepte des autorités belges (cf., l’incroyable vote de protestation de la Chambre des
Représentants, le 2 avril 2009, contre les propos tenu par le Pape au sujet du préservatif dans l’avion qui le menait en Afrique) est d’ailleurs devenue le grand atout en faveur de la nomination
de Léonard : la diplomatie vaticane, pourtant peu portée à « faire des vagues », ne pouvait qu’être tentée de « donner un coup sur le museau » des élites du Royaume. La
règle informelle de l’alternance linguistique sur le siège primatial (à un francophone – en fait un Bruxellois –, Suenens, succède un néerlandophone, Danneels, et ainsi de suite) a fait le
reste.
Mais surtout, le peu de vitalité catholique qui reste encore en Belgique, où entre autres énormités on a vu la
vénérable université de Louvain prendre des positions scandaleuses en matière de morale de la vie, ne se trouve-t-il pas dans le diocèse de Namur ? Je rappelle que, né dans le diocèse dont
il devait devenir évêque, en 1940, André-Mutien Léonard, étudiant à Rome durant le Concile, prêtre en 1964, enseigna à Louvain-la-Neuve, devint recteur du Séminaire Saint-Paul, membre de la
Commission théologique internationale, pour accéder enfin, en février 1991, à l’évêché de Namur. Pour le reste, je renvoie à mon article du 2 novembre. Mgr Léonard, qui fut l’ami du cardinal
Lustiger – mais un lustigérien qui entretient d’excellents rapports avec les traditionalistes –, est incontestablement le plus catholique des évêques belges aujourd’hui en fonction : d’où le
fait que les séminaires de son diocèse comptent une trentaine de séminaristes (contre 6 à Malines-Bruxelles) sur 70 environ dans toute la Belgique. De la formation des vocations André Léonard
s’était fait une spécialité sous le pontificat de Jean-Paul II (le recteur du séminaire Saint-Paul avait réussi ce à quoi étaient parvenus un temps Guy Bagnard à Ars, puis Jean-Marie Lustiger à
Paris) et son leitmotiv était qu’une vie « équilibrée » et « épanouie » est possible dans l’Eglise du Concile. Mais il faudrait aujourd’hui se tourner vers des solutions plus
neuves que celle d’un réformisme qui semble avoir fait son temps.
On peut, me semble-t-il, tirer deux grandes leçons ou faire deux prospectives à partir de cette nomination.
La première est qu’il est impossible qu’elle soit isolée. Par d’autres désignations aux diocèses belges à pourvoir
dans le futur, le Saint-Siège ne pourra que soutenir la ligne qu’il voulu marquer par la nomination de Mgr Léonard. Un des premiers actes de ce prélat sera d’ailleurs de demander le choix d’un
nouvel auxiliaire de Malines-Bruxelles pour le Brabant flamand, puisque Mgr Jan De Bie, en charge de cette fonction, a donné sa démission il y a déjà un an pour raison de santé. Cette désignation
– celle d’un évêque néerlandophone – sera particulièrement importante, car il est impossible que Mgr Léonard puisse gouverner seul un diocèse que son prédécesseur, aidé de son progressiste
auxiliaire Mgr De Kesel, a pour ainsi dire « miné ».
Le second enseignement est que, dans cette désignation comme dans quelques autres moins importantes, le pouvoir du
cardinal Re s’est révélé chancelant : il apparaît que le tout puissant « vice-pape » de la dernière partie du pontificat de Jean-Paul II n’est plus qu’un Préfet en sursis à la
tête de la Congrégation des Évêques. En attendant d’être remplacé dans les mois à venir, il doit compter avec le nouveau Secrétaire de la Congrégation, le Portugais, Manuel Monteiro de Castro,
qui a désormais autant de poids que lui.
Ce qui ne veut pas dire que les réseaux anti-Restauration de la Curie romaine soient démantelés, bien loin de là.
Pour décrire d’un mot une situation romaine extrêmement complexe au terme des péripéties de la difficile nomination de Malines-Bruxelles, je dirais qu’en la cinquième année, ou presque, du
pontificat du Pape Ratzinguer, il n’est toujours pas évident que les ratzinguériens gouvernent la Curie, mais il est devenu patent que les anti-ratzinguériens ne la dominent plus.