Alors que le débat sur l’euthanasie a tendance à tourner autour de la question du droit de disposer de son propre corps et de sa propre vie, un intéressant éclairage vient d’être apporté par un médecin de famille et gérontologue néerlandais, Ester Bertholet, dans le quotidien chrétien Trouw. Le « droit de disposer de soi-même » cache surtout le désir de la famille de voir mettre fin à la vie de leur proche, à un moment où la notion est volontiers mise en avant aux Pays-Bas pour justifier l’euthanasie sur des personnes devenues incapables d’exprimer leur propre volonté.
« La pression de l’entourage qui insiste pour obtenir le “suicide” des personnes âgées qui deviennent inutiles (et pesantes) ne doit pas être sous-estimée », observe Esther Bertholet :
« J’accompagne quotidiennement des personnes âgées dont la santé se dégrade – rapidement. Je suis à chaque fois étonnée de voir combien leur capacité d’adaptation est grande. Je les entends régulièrement dire que pour l’instant, ça va, mais que ça ne servira à rien d’insister s’ils vont encore moins bien : s’ils devaient utiliser un déambulateur, ne plus conduire, devenir déments ou encore – cas de figure le plus redouté – être transférés vers une maison de soins. Mais la frontière se déplace à chaque nouvelle étape. De même qu’un jeune de 20 ans ne peut pas s’imaginer survivre à un weekend sans internet et sans téléphone, de même un patient de 60 ans peut-il avoir du mal à imaginer que l’incontinence puisse être une épreuve surmontable. Jusqu’au moment où elle se présent vraiment. »
Le Dr Bertholet observe ainsi que ce sont souvent les proches, les membres de la famille qui s’imaginent que leur père ou leur mère subit des souffrances intolérables. Et ils sont sûrs qu’il vaudrait mieux l’en délivrer : « On pique bien les chiens ? », entend souvent Esther Bertholet.
Ces proches sont en proie à des sentiments d’« impuissance, de peur, peut-être de honte », estime le médecin, qui n’entend « pour ainsi dire jamais » une telle remarque de la part du malade lui-même. Et ce point de vue a tendance à peser précisément sur le malade, selon le médecin :
« Mais si en tant que société, et en tant que soignants, nous nous associons à cette vision de la vieillesse, et que nous exprimions auprès des personnes âgées le fait qu’ils n’auraient jamais voulu vivre comme cela, je pense que beaucoup de ces personnes âgées se laisseront convaincre et finissent par accepter une procédure qui rapproche activement leur fin. »
Il nous est certes difficile de nous imaginer comme dépendants, différents de ce que nous sommes aujourd’hui, ajoute-t-elle. Mais elle s’insurge :
« Pourquoi voit-on les personnes âgées qui n’ont plus de perspectives comme des personnes sans valeur ? La vieillesse et ses manquements font partie de la vie. Nous devrions justement entourer et dorloter ces personnes âgées. Pour ma part je commencerais à avoir peur à l’approche de ma propre vieillesse si je savais que l’assistance au suicide était une option au moment où je n’apporterai plus rien à la société et que je n’engendrerai que des coûts. J’aimerais bien mieux pouvoir espérer trouver des soignants qui réfléchiraient avec moi de manière créative et professionnelle pour pouvoir maintenir au meilleur niveau possible ma qualité de vie. »
Et de noter que bien des médecins ne connaissent pas les moyens qui permettent d’empêcher ou de retarder la dégradation de l’état du malade, ou de rendre acceptable le handicap. L’urgence, dit-elle, est de les y former.
Elle note aussi qu’en phase terminale, la peur concerne souvent la manière dont se passera le décès. Et c’est cette peur, dit-elle, qui suscite bien des demandes d’euthanasie. Là encore, assure Esther Bertholet, il est souvent possible d’amoindrir les problèmes pour les rendre acceptables, que ce soit la douleur, la difficulté respiratoire ou la perte de contrôle.
« Et si cela ne réussit pas, le malade peut être plongé dans un sommeil par le recours à des médicaments pour faire diminuer la souffrance. Mon expérience est qu’après avoir été rassuré sur ce point quasiment aucun patient ne demande plus l’euthanasie. Il s’agit bien plus de vouloir savoir qu’une réponse existe pour soulager la souffrance, que de désirer véritablement la mort. »
J'adhère totalement à l'intervention de ce médecin. Moi-même, en tant que généraliste( Belgique), j'ai fait des constats similaires. Quand je pense à ce que mes enfants, mon entourage pourraient souhaiter et décider pour moi, en fin de vie, cela me donne des frissons. Mais je remarque qu'un certain nombre de confrères voient comme inutile, dégradant, honteux,voire même cruel de laisser des personnes dans cet”état” de dépendance et de souffrance. Et trouvent dans l'euthanasie une solution idéale. J'entends parfois des gens dire:” On est plus “humain” avec les animaux: quand ils risquent de souffrir trop, on les piquent”!…Moi, j'y vois là surtout la différence.
Mais ce qui est juste, c'est que nombreux thérapeutes ne sont pas très à l'aise avec leur propre souffrance, maladie, dépéndance, leur propre mort( qui l'est?!). De plus,ces intervenants médicaux ne prennent pas nécessairement le temps d'accompagner réellement leur patient.
Gene