Désolé ! Encore un papier trop long et si long, même, que je vais le couper en deux : ci-dessous la première partie
(L’affaire Michael Teta) et demain la seconde partie (L’“affaire” Levada et ma conclusion sur l’Associated Press Paris).
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Samedi dernier, le fil en anglais de l’agence américaine Associated Press (AP) a
consacré un nouvel article à de soi-disant négligences de celui qui était alors le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans des affaires
ayant impliqué deux prêtres du diocèse de Tucson (Arizona), et un article stigmatisant de semblables négligences mais visant, c’est une grande première !, le cardinal William
Levada, actuel préfet de la Congrégation, dans une affaire relative à un prêtre de Portland (Oregon), diocèse dont il était alors l’évêque (de 1986 à 1995). Ce même samedi, le fil
français de l’Associated Press a lui aussi consacré un article à l’affaire de Portland mais qui n’est pas qu’une simple traduction de la dépêche américaine – comme ont eu le
culot de me l’affirmer les journalistes/traducteurs de l’agence samedi après-midi. Le dernier paragraphe de cette dépêche, rédigé par le bureau parisien de l’AP, fera l’objet de
mon dernier commentaire.
Première partie : l’affaire Michael Teta (diocèse de Tucson)
Pour l’affaire de deux prêtres de Tucson, l’AP écrit qu’elle « a jeté un nouveau doute sur l’insistance de l’Église catholique [à dire que] le pape Benoît
XVI n’a joué aucun rôle dans la protection des pédophiles avant qu’il devienne pape ». Traduit en français courant, l’AP doute de moins en moins que le cardinal
Ratzinger a protégé des prêtres “pédophiles”. Ni plus, ni moins. D’ailleurs, pour ceux qui douterait de ma “traduction” du français au français, trois paragraphes plus bas
l’AP enfonce bien le clou : « Les détails de ces deux cas arrivent au moment où émergent d’autres suppositions que [le pape] Benoît – comme cardinal au
Vatican – participait d’une culture d’étouffement [des scandales] et de secret. »
Le traitement de l’affaire de l’un des deux prêtres – l’autre ne serait que redite –, celle de Michael Teta, est tout à fait emblématique des manières “journalistiques” de
procéder de l’AP sur ce douloureux scandale des abus sexuels de membres du clergé sur des mineurs : l’à peu près, l’insinuation, l’ignorance de la manière dont fonctionne
l’Église, les oublis…
Le cas Teta n’est pas extraordinairement documenté, que ce soit dans la dépêche de l’AP ou dans la réponse du P. Federico Lombardi de samedi
dernier. Heureusement, nous avons des informations beaucoup plus précises dans un entretien accordé par Mgr Gerald Kicanas, l’actuel évêque du diocèse de Tucson, au quotidien
Arizona Daily Star (qui lui aussi s’est pris à faire la danse du scalp autour du poteau de tortures…).
Voici les faits tels que l’on peut les reconstituer.
L’autorité diocésaine informée d’abus sexuels commis par Michael Teta, le mit en congé administratif en 1989, puis ayant su en 1990 que Teta aurait bien pu se
rendre coupable de crimes de « sollicitation au péché » lors de confessions (canon 1387), l’évêque de l’époque Mgr Manuel Moreno (décédé en 2006) le frappa de suspense. Il
convient encore de noter que ces « sollicitations au péché » de Teta était adressées à des adultes de sexe masculin – elle est où la “pédophilie” là-dedans ? bis !
L’évêque Moreno écrivit la même année au pape Jean-Paul II pour savoir comment traiter de cette affaire. C’est le nonce qui lui répondit en lui disant qu’il
revenait au diocèse d’ouvrir un procès canonique sur l’ensemble des allégations. Le procès se déroula de 1990 à 1997. En 1992 toutefois, on sait que le cardinal Ratzinger, en
qualité de préfet du Saint Office, reçut début 1992 un recours de Michael Teta, que le Tribunal suprême de la signature apostolique avait fait suivre à son dicastère – les crimes
de « sollicitation au péché » lors d’une confession relevant du Saint Office depuis l’instruction Crimen sollicitationis de 1962. Le 8 juin 1992, le cardinal Ratzinger
écrit à l’évêque Moreno pour lui signaler la réception du recours :
-
« Nous croyons comprendre que le Père Teta est actuellement objet d’un procès devant votre tribunal
sur une allégation d’avoir commis un acte de sollicitation au confessionnal (…) une accusation de sollicitation est une grave affaire réservée à ce dicastère et le règlement de tels cas est
gouverné par ses normes. À cet égard, nous apprécierions beaucoup que vous nous confirmiez que le procès du Père Teta se poursuit effectivement et en conformité à l’
“Instructio” de ce Dicastère, dont vous trouverez ci-jointe une copie pour votre commodité. Les normes de procédure de cette “Instructio” sont toujours en vogueur même si
certains ajustements sont nécessaires relativement au nouveau code de droit canonique [1983] (…) Quand votre tribunal diocésain aura rendu son jugement définitif dans le cas en question, Votre
Excellence voudra bien avoir l’amabilité de faire parvenir à ce dicastère une copie du jugement ainsi que toutes les pièces du procès. »
Il n’y a là aucune mesure dilatoire ou visant à « retarder » la réduction à l’état laïc de ce prêtre. Les journalistes
de l’AP qui ont tendance à juger avant d’étudier devrait se rappeler que dans les pays civilisés un verdict ne se rend qu’après un procès en bonne et due forme. C’est dans les
pays totalitaires qu’une sentence est exécutée après un simulacre de procès voire sans procès du tout. Get it guys ?
La sentence de culpabilité de Teta ne fut rendue par le tribunal diocésain qu’en 1997, après huit années de procédure ! Un délai qui pourra sembler long, trop long aux
journalistes de l’AP à qui je ne ferai pas l’injure de penser qu’ils aspirent à des solutions plus expéditives du type « Massacre de Septembre »… L’évêque
Kicanas en donne les explications :
-
« L’allongement de ce procès a pour raisons la lente accumulation des preuves, le temps nécessaire pour auditionner
les témoins et un manque d’expertise canonique local » 1.
L’évêque Moreno adressa le 28 avril 1997 au cardinal Ratzinger une copie du jugement
et toutes les pièces du procès, comme ce dernier le lui avait suggéré cinq ans plus tôt, et estimait dans sa lettre d’accompagnement que Teta devait être renvoyé de l’état
clérical pour sollicitation mais aussi pour deux autres motifs relevant l’un du § 1 du canon 1395 (clerc qui « persiste avec scandale dans une (…) faute extérieure contre le sixième
commandement », ce qui sous-entend des relations sexuelles avec une ou plusieurs adultes, en l’espèce aussi des séminaristes) et l’autre du § 2 du même canon (pareils actes mais commis soit
avec violence soit avec « un mineur de moins de seize ans »).
Toutefois le prêtre indigne fit appel de la sentence au tribunal de la Congrégation, c’est-à-dire, sans doute au promoteur de justice du Saint Office, mais comme le signale le P.
Lombardi :
-
« cet appel arriva au tribunal de la Congrégation pendant une période où la révision des normes canoniques
anciennement en vigueur venait de commencer. Les appels furent alors mis en suspens en attendant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation en 2001. »
À partir de cette année là – qui voit aussi tous les dossiers d’abus sexuels du clergé passer sous la compétence du
Saint Office (motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela de Jean-Paul II, 30 avril) – les dossiers vont connaître un traitement plus accéléré, enfin relativement… Je
m’explique. Beaucoup de mes confrères journalistes, sans doute influencé par la littérature de gare, s’imaginent le Vatican comme une énorme machine. Le Saint Siège “tourne” avec 4 000 employés
(46 000 fonctionnaires rien que pour la Ville de Paris !) dont seulement 2 500 travaillent à la Curie, et son budget de fonctionnement est sept fois moins important que celui, par exemple, de
l’Université de Harvard aux États-Unis…
Encore que placé “sur le haut de la pile”, le dossier Teta, « du fait que son volume de documentation était particulièrement important », explique le P.
Lombardi – en vérité, 2 500 pages de documents… –, ne fut traité qu’en 2004 : la sentence du tribunal diocésain de Tucson fut confirmé « in totto » (entièrement) et le
vil prêtre renvoyé de l’état clérical. Notons, en passant, que depuis son congé administratif (1989) jusqu’à sa réduction à l’état laïc (2004), le diocèse de Tucson assura à Teta
de quoi vivre, paya son assurance auto et sa couverture santé, et même finança ses déplacements pour venir répondre à Tucson aux interrogatoires du tribunal. Si cet ancien prêtre a eu des
comportements que l’on pourrait qualifier d’inhumain, l’Église, elle, l’a toujours considéré comme un être humain, sujet du droit, et traité comme tel, tout coupable qu’il fût.
Mais, encore une fois, en quoi, dans l’affaire que je viens d’évoquer, le cardinal Ratzinger aurait-il
« protégé » un pédophile ou utilisé des mesures dilatoires pour repousser sa réduction à l’état laïc ?
1. Le « manque d’expertise canonique » de l’évêque est amplement démontré par sa lettre de 1990 à… Jean-Paul II pour lui demander ce qu’il fallait faire… Il n’y
avait aucun ecclésiastique compétent en droit canon dans le diocèse de Tucson (pourtant érigé en 1897…), si bien qu’il fallut faire venir un prêtre canoniste de l’archidiocèse de Chicago pour
présider le tribunal ! L’évêque Moreno ne semblait d’ailleurs guère plus « expert » en droit canon qu’en droit civil puisque – comme ne nous l’apprend pas
l’Associated Press – il ne dénonça pas avant 2000 – année où la Conférence épiscopale rend les dénonciations obligatoires – à la police ou à la justice les crimes de ces deux
prêtres coupables.