« L’affaire des seringues » du diocèse d’Albany m’avait, comme je l’ai écrit hier, laissé « pantois ». Quelques
lecteurs de mon blogue ont laissé un commentaire – mais je rappelle qu’americatho n’est pas un forum de discussion ! –, d’autres m’en ont adressés à mon courriel – ce qu’il ne faut jamais faire : vos commentaires doivent être placés
dans les « commentaires » du blogue pour profiter à tous ! Désolé de ces rappels à l’ordre… mais c’est pour le bien de tous.
Le canoniste américain Edward Peters a immédiatement réagi. Dans un article paru ce jour sur son blogue In
the Ligth of the Law, il donne ses « Arguments contre l’autorisation par l’évêque Hubbard [photo ci-dessous] des “programmes seringue” ». M’est avis qu’il dit le droit de l’Église.
En voici la traduction. À lire avec soin.
« La coopération formelle à l’acte mauvais d’une autre personne (c’est-à-dire en entreprenant d’aider expressément une autre personne à accomplir un acte connu pour être mauvais) est de soi-même
un mal. Davis, Moral and Pastoral Theology (1938), I, 341-342. Il n’y a aucune exception à cette règle ; aucune circonstance survenant ne peut jamais faire d’une coopération formelle au
mal un bien.
“L’usage de la drogue [illégale] inflige de très graves destructions à la santé et à la vie humaine […] c’est une faute grave. La production clandestine et le trafic de drogues sont des pratiques
scandaleuses ; ils constituent une coopération directe, puisqu’ils y incitent, à des pratiques gravement contraires à la loi morale.” (Catéchisme de l’Église catholique,
n. 2291, les soulignés et le gras sont de moi). Voyez aussi : Conseil pontifical pour la pastorale de la santé, Charte des personnels de la santé (1995), n. 94.
Je pense que celui qui fournit, sans la prescription d’un médecin, des aiguilles ou des seringues (précisons : à usage unique) à des gens dont on peut raisonnablement estimer qu’ils utiliseront
ces fournitures pour s’injecter des drogues illégales ou en injecter dans le corps d’un autre, encourage ces personnes à des pratiques qui sont gravement contraires à la loi morale, fournissant
en conséquence, selon ce qu’il me semble, une aide directe leur permettant de commettre un acte grave et objectivement mauvais, avec l’intention précise de les aider à commettre cet acte. Cette
conclusion n’est pas conditionnée au fait de savoir si les aiguilles sont propres, ou si elles ont été simplement changées, ou pour tout autre aspect accidentel de ce
programme*. La vraie question est de savoir si donner une seringue à un drogué l’encourage à s’injecter des drogues illégales. Si c’est le cas, alors donner à un droguer une aiguille c’est
coopérer formellement avec le mal spécifique de celui ou de celle qui consomme ces drogues illégales.
Et donc, quand l’évêque Hubbard d’Albany autorise son agence de Catholic Charities à distribuer des seringues a ceux qui semblent être des drogués, il initie
formellement**, selon moi, une coopération au mal grave de la consommation de drogue dans son diocèse.
Je ne puis toutefois pas imaginer que ces observations surprennent les administrateurs d’Albany qui ont passé – combien dites-vous ? cinq ans ? – à élaborer cette proposition. Mais l’inattention
officielle à certaines objections passablement évidentes (au moins dans le matériel que j’ai pu trouver sur cette affaire jusqu’à présent) est terrifiante. Peut-être que les hommes en place
échangeront plus complètement entre eux sur leurs analyses, ou, à tout le moins, pourront-ils nous signaler quelques experts disposés à soutenir leur programme ?
Quoi qu’il en soit, si mon analyse morale est correcte (et j’invite les personnes intéressées à chercher par eux-mêmes et avec soin dans la tradition), alors on ne pourra être que préoccupé par
ce scandale (au sens classique du mot, c’est-à-dire une conduite qui a pour effet d’amoindrir le sens du péché chez l’autre ou de l’encourager à commettre un péché) qui nous est infligé quand,
non de simples catholiques, mais des évêques catholiques approuvent la distribution publique, sous des auspices catholiques, de matériels d’injection à des utilisateurs de drogues
illégales.
En vérité, si un évêque, tenu d’être “un exemple de la sainteté dans la charité” (Code de droit canonique, 1983, canons 387, 893), utilise sa charge pour réaliser la distribution d’aiguilles à
des consommateurs de drogues illégales, n’abuse-t-il pas de son pouvoir ecclésiastique ou de sa fonction et/ou en posant des actes de la puissance ecclésiastique, de son ministère ou de ses
fonctions en nuisant aux autres, ce qui est contraire au canon 1389 ? Si de tels actes sont accomplis par quelqu’un qui est “constituée en dignité ou [par] son autorité ou sa charge » Code
de droit canonique 1983, 1326, § 1 et 2), cela ne rend-t-il pas extrêmement urgent qu’une telle décision soit immédiatement annulée ou, au moins, suspendue et reconsidérée ?
* Pour être parfaitement clair, selon l’analyse morale catholique, il n’existe aucune justification à la coopération formelle au mal, et donc si ces “programmes aiguille” sont des
coopérations formelles au mal, nous n’avons pas à faire un quelconque commentaire sur les différentes justifications alléguées par les avocats des programmes
aiguilles-pour-les-utilisateurs-de-drogues-illégales. On ne peut tout simplement pas faire le mal pour obtenir le bien. On pourra toutefois, si on le désire, voir quelques brefs commentaires du P. Tadeusz Pacholczyk, Ph.D., sur les « lieux d’injection sécurisée ».
** En 1999, la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’est adressée à un hôpital confessionnel australien pour qu’il cesse de mettre à disposition une salle d’injection pour les
toxicomanes à l’héroïne, sur la base qu’une telle aide était “une coopération matérielle extrêmement proche du mal grave de la consommation de drogue [illégale]”. Je ne connais pas tous les
tenants et aboutissants de cette affaire, et je n’ai pas non plus la lettre intégrale de la CDF, mais il est intéressant de noter que la CDF réprouve ce qu’elle ne considère qu’une “simple”
coopération matérielle directe à la consommation de drogue. Alors que j’argumente sur le fait que l’acte de l’évêque Hubbard semble ici constituer une coopération formelle
à la consommation de drogue, et même si ses actes ne pouvaient être considérés que comme une “simple” coopération matérielle à la consommation illicite de drogue, ils continueraient à se
placer sous le feu de sérieuses objections morales. »