Les évêques amér
icains en corps ou individuellement viennent de passer à la contre-attaque visant les deux projets de loi élaborés par la Chambre des Représentants et le
Sénat pour réformer le système de santé des États-Unis. Des projets de loi extrêmement dangereux – bureaucratisation et rationnement des soins, financement de l’avortement voire de l’euthanasie, etc. – qui
font dire à de nombreux analystes – dont l’opinion est désormais partagée par 54 % des Américains – qu’il vaudrait mieux garder le système tel qu’il est, avec toutes ses imperfections, que d’en
adopter un pire cette année. Une position de bon sens que partage aussi, et exprime, l’évêque de Sioux City (Iowa), Mgr Ralph Walker Nickless (photo) dans son dernier éditorial que vient
de mettre en ligne, avant-hier, le site du diocèse.
L’évêque né en 1947 – excellente année et pas seulement pour les vins –, a été l’une des premières nomination épiscopale de Benoît XVI aux États-Unis (10 novembre 2005). La réflexion très
structurée que nous offre l’évêque de Sioux City méritait d’être traduite, et je crois que vous trouverez de l’intérêt à la lire parce que ce qu’on y découvre vaut aussi pour la France. C’est une
des meilleures contributions épiscopales sur la question.
« Le débat en cours sur la réforme du
système de soins médicaux devrait tous nous concerner. Il y a beaucoup en jeu dans ce combat politique, et beaucoup de confusion et d’informations fausses qui sont jetées sur la place publique.
Mes frères évêques ont déterminé avec clarté la barrière séparant ce qui est une réforme acceptable de ce que l’on doit rejeter.
En premier lieu, et c’est le plus important, l’Église n’acceptera aucune loi qui obligerait qu’une couverture-santé – qu’elle soit publique ou privée – comprenne l’avortement, l’euthanasie
ou la recherche sur les cellules souches embryonnaires. Nous refusons de devenir complices de ces maux qui, franchement, sont en contradiction avec ce que l’expression « soins médicaux »
signifie. Nous n’accepterons pas que les plans d’assurance-santé paroissiaux, scolaires et diocésain soient contraints d’inclure ces maux. Corollaire de cela, nous insistons également pour une
protection adéquate des droits de la conscience de chacun, patients et personnels de santé, de telle sorte qu’ils ne se rendent pas complices de ces maux. Une prétendue réforme qui nous
imposerait ces maux serait encore pire que de garder en l’état l’actuel système de soins médicaux.
Deuxièmement, l’Église catholique n’enseigne pas que les « soins médicaux », en tant que tels et sans distinction, constituent un droit naturel. Le « droit naturel » aux soins
médicaux c’est la générosité divine qui nous fournit la nourriture, l’eau et l’air sans lesquels nous disparaîtrions rapidement. Cette générosité vient directement de Dieu. Aucun d’entre nous ne
la possède et personne ne peut moralement en priver les autres. Tous les autres soins médicaux tirent leur origine de la politique, pas d’un droit naturel, parce qu’ils proviennent de notre
créativité, de notre compassion et de nos efforts humains. En tant que droit politique, les soins médicaux devraient être fournis en fonction des besoins et non selon notre capacité de les payer
de notre poche ou par une couverture des soins. Nous rejetons le rationnement des soins. Ceux qui sont le plus malades devraient obtenir le plus de soins, indépendamment de l’âge, de l’origine
sociale ou de la richesse. Mais comment arriver à cela ? Voilà qui n’est pas évident. Les décisions que nous devons collectivement prendre quant à la manière d’administrer les soins médicaux
relève donc d’un “jugement prudentiel”.
Troisièmement, dans cette catégorie de jugement prudentiel l’Église catholique n’enseigne pas que l’État devrait directement fournir les soins médicaux. Hormis une préoccupation
prudentielle comme la défense nationale pour laquelle le monopole de l’État est objectivement bon – il limite à la foi la violence généralisée et empêche les abus évidents dont sont susceptibles
les armées privées –, les soins médicaux ne devraient pas être l’objet d’un monopole fédéral. Préserver le choix du patient – à travers un secteur privé florissant – est la seule manière
d’empêcher que le monopole des soins de santé refuse arbitrairement les soins, comme nous l’avons appris du système HMO 1 dans un passé récent. Bien que ce monopole étatique ne
soit pas motivé par le profit, il serait motivé par de tels standards bureaucratiques comme les quotas ou la définition des “meilleures procédures”, c’est-à-dire hors du contrôle de la
plupart des citoyens. Le rôle exact de l’État est de réglementer le secteur privé afin de susciter une saine concurrence et de réduire les abus. Par conséquent, toute loi qui sape la viabilité du
secteur privé est suspecte. Les hôpitaux privés ou religieux, les maisons de retraite devraient, tout particulièrement, être protégés parce ce que c’est dans ces établissements qu’on offre avec
le plus d’énergie de vrais soins de santé aux plus pauvres des pauvres.
En pratique, la meilleure manière de tendre à cet équilibre entre les rôles du public et du privé, c’est d’étendre la couverture et le coût des soins de santé au plus grand nombre de gens. C’est
le principe sous-jacent des contributions fiscales aux programmes Medicaid 2 et Medicare 3, par exemple. Mais ce principe implique que le nombre des
travailleurs imposables soit suffisamment grand par rapport à celui de ceux qui vont profiter des aides, pour que la charge financière soit supportable et juste. Cette hypothèse est à la racine
de l’hypothèse pro-vie ! En vérité, nous étions encore dans une culture de vie quand ces programmes ont commencé. Ce n’est que si nous soutenons une culture de vie que nous pourrons poursuivre
cet acte de justice économique qui consiste à imposer les travailleurs pour payer les soins médicaux des pauvres. Sans un nombre croissant de jeunes, notre population croissante de retraités
excédera les capacités
de notre système de redistribution. Dans la culture de mort qui est la nôtre, imposer pour redistribuer afin de couvrir les frais médicaux devient une chose à la fois injuste et non viable.
Quatrièmement, les soins préventifs constituent une obligation morale de l’individu envers Dieu, sa famille et ceux qu’on aime, et non un droit à exiger de la société. Le don de la vie ne
vient que de Dieu, dédaigner ce don en maltraitant sa propre santé constitue une faute morale. Les soins préventifs les plus efficaces pour la plupart des gens ne coûtent pratiquement rien : une
bonne alimentation, un peu d’exercice et suffisamment de sommeil. Mais les soins prénataux et postnataux sont des exemples de soins préventifs qui exigent un savoir-faire médical et qui ont donc
un coût, et tous devraient, et le plus possible, accéder à ces soins.
À l’intérieur de ces limites, l’Église n’a cessé depuis des décennies de défendre l’idée que les soins médicaux doivent être rendus accessibles à tous, et tout spécialement aux pauvres. Le projet
de loi sur la réforme du système de santé atteindra-t-il ces objectifs ?
Le projet de loi de réforme de la Chambre des Représentants, le HR 3200, ne répond pas au premier et au quatrième standard. Comme l’a écrit le cardinal Justin Rigali au nom du
secrétariat des Activités Pro-Vie de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis, ce projet de loi contourne l’amendement Hyde (qui interdit que des fonds fédéraux soient utilisés
pour payer des avortements) en tirant des fonds de sources autres que celles déterminées par l’amendement Hyde et en manipulant avec beaucoup d’imagination la manière dont les fonds
fédéraux relevant de l’amendement Hyde peuvent être comptabilisés. Il prévoit aussi une “option d’assurance publique” dépourvue de limites convenables, de telle sorte que les petits
patrons, notamment, seront financièrement incités à pousser leurs employés vers cette assurance publique. Cela retiendra efficacement ces employés d’opter pour un quelconque plan d’assurance
maladie privé. Cela grèvera les classes laborieuses d’impôts supplémentaires au nom d’un droit inefficace et immoral. Le projet de loi du Sénat, du HELP 4, est meilleur que
celui de la Chambre des Représentants, pour autant que je l’ai compris. Il finance les soins pour les pauvres plutôt que de viser au monopole des soins. Mais il détermine la limite pour l’option
au système d’assurance public à quatre fois le niveau de pauvreté fédéral, ce qui inclut encore plus de la moitié de l’ensemble des travailleurs. Cela affecterait la vitalité du système privé. Il
ne répond pas non plus au premier standard en n’excluant pas explicitement la couverture avortement obligatoire.
Je vous encourage tous à faire entendre votre voix à nos élus du Congrès. Dites-leur qu’ils doivent nous écouter : il vaut mieux pas de réforme du système de santé qu’une mauvaise
réforme du système de santé. Insistez pour qu’ils ne se permettent pas de s’engager dans l’ornière actuelle de propositions de soins médicaux trop onéreuses et pro-avortement. Insistez pour
qu’ils soutiennent les propositions qui respectent la vie et la dignité de toute personne humaine, tout spécialement celles qui sont à naître. Et, par-dessus tout, priez pour eux et pour notre
pays.
Allez visiter le sites de la Conférence des évêques de l’Iowa
www.iowacatholicconference.org
et de la Conférence des évêques catholiques des États-Unis
www.usccb.org/healthcare
pour plus d’informations. »
1. Health Maintenance Organisation (HMO), système fondé en 1973 aux États-Unis, dans lequel cette organisation de gestion
de soins remboursant une couverture des soins médicaux donnés par les personnels et établissements de santé qui ont passé un contrat avec cette organisation, contrat où sont précisées les
directives et les restrictions auxquelles les contractant sont astreints.
2. Programme financé conjointement par les États particuliers et par l’État fédéral, et destiné à procurer une assurance maladie aux personnes ou aux familles à faibles revenus. C’est une forme
de sécurité sociale pour les plus pauvres.
3. Medicare est un système fédéral d’assurance santé, remboursant une partie des frais médicaux de traitements ou d’hospitalisation, auquel peuvent prétendre, essentiellement, les
personnes (et leurs conjoints) de plus de 65 ans et qui ont cotisé pendant au moins dix ans.
4. Acronyme de la commission sénatoriale « Health, Education, Labor & Pensions » (santé, éducation, travail et retraites), à l’origine de la rédaction du projet de loi.