Pendant une huitaine de jours – du 11 au 18 août –, je serai absent de Paris pour des vacances peut-être imméritées mais rendues nécessaires par les fatigues accumulées (et pas seulement du
fait de ce blogue…). Je vous propose donc une petite “série estivale” qui sera consacrée à des prêtres français missionnaires aux États-Unis au XIXe siècle. C’est un sujet que j’ai
beaucoup travaillé, mais c’est une tâche rendue très difficile par le très grand nombre de prêtres, de religieux et de religieuses français, des centaines et des centaines, partis de chez eux,
c’est-à-dire de chez nous, pour aller aider là-bas à édifier le catholicisme. Le livre que je caresse de leur consacrer depuis des années risque bien de ne jamais paraître en raison de
l’énormité du travail qu’il requiert. Mais j’ai déjà rédigé de nombreuses notices. Autant vous en faire profiter ! Dans cette série, je me limiterai aux prêtres du XIXe siècle et aux
personnalités les moins connues. Je vous souhaite une pieuse découverte de ces prêtres français aux États-Unis.
L’abbé Joseph-Pierre Picot de Limoléan de Clorivière (1768-1826) : agent de Cadoudal et co-fondateur de la Visitation de Washington
Né le 4 novembre 1768 à Broons en Bretagne (commune aujourd’hui située dans le département des Côtes d’Armor). Il étudie au collège de Rennes. Quand éclate la
Révolution, Joseph-Pierre de Clorivière (portrait) est officier dans les armées du Roi. Après que son père fut guillotiné, il prend part à la contre-révolution « pour Dieu et le
Roi » dans l’Ouest. Il doit se réfugier en Angleterre, et ne revient en France qu’en 1799. Agent royaliste, il participa à Paris, sous le commandement de Georges Cadoudal, à l’attentat de
la rue Saint-Nicaise, le 24 décembre 1800, contre Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul. Il est le seul à échapper au coup de filet de la police et à la mort, encore qu’il soit condamné
à la peine capitale par contumace. Après s’être caché en Bretagne, grâce à son oncle, le P. Pierre-Joseph Picot de
Clorivière, s.j. (futur serviteur de Dieu), il quitte la France en 1803 pour les États-Unis, emportant de lui son
ouvrage Considérations sur l’exercice de la prière et de l’oraison (Paris, 1802, rééd. 1961). Il va s’établir à Savannah, en Georgie, où il gagne sa vie en s’occupant des propriétés de
son beau-frère et en peignant des minatures de très belle facture, qu’il signe Picot, P. de Clorivière ou Guitry, et dont plusieurs sont désormais dans les collections de
musées américains (notamment au Gibbs Art Museum de Cincinnati, Ohio). En 1808, il entre au St. Mary’s Seminary, fondé par les Sulpiciens français à Baltimore, et sera ordonné
prêtre en 1812 par Mgr John Carroll, alors archevêque de Baltimore et qui l’envoie, comme prêtre visiteur, à Charleston (Caroline du Sud) et à Fayetteville (Caroline du Sud). On sait qu’en
1815, au début de la Restauration, il se rendit en France et qu’il reçut de Louis XVIII une décoration pour son soutien à la monarchie. À son retour aux États-Unis, le successeur de Mgr
Carroll au siège archiépiscopal de Baltimore, Mgr Leonard Neale, le nomme, pour y mettre de l’ordre, vicaire d’une paroisse « à problème », St. Mary of the Annunciation, à
Charleston (Caroline du Sud), pourtant la première église catholique des deux Carolines (Nord et Sud) et de Georgie, fondée le 24 août 1789. Son curé, depuis le 1er septembre 1793, est
l’abbé Simon Gallagher, un Irlandais d’origine, brillant orateur mais particulièrement porté sur la bouteille et plutôt querelleur, ce qui lui avait déjà valu d’être suspendu de son
ministète par Mgr Carroll. La communauté catholique est divisée entre les « Irlandais », qui sont, par ailleurs, les trustees (autrement dit, les fideicommissaires) de la
paroisse, et les « Français » dont la communauté s’augmente de plus de 500 réfugiés de Saint-Domingue secouée par les révolutions de 1791 à 1804. Ce qui ne veut pas dire que tous ces réfugiés
français soient de fervents monarchistes comme le prouve le ton nettement anti-royaliste du journal Le Patriote français qu’ils publient à Charleston. La tension locale est amplifiée par
une tension nationale : les « Irlandais » considérant les « Français » comme sur-représentés dans l’épiscopat de la jeune Église catholique aux États-Unis. À Charleston, l’antipathie de
Gallagher pour Clorivière atteint des sommets. Les « Français, déclare Callagher, veulent établir le régime despotique de l’Église gallicane, conformément aux
règlements de son clergé et à ceux du gouvernement despotique de ce pays sous les Bourbons ». Des vues quelque peu exagérées que ne saurait admettre le très royaliste Clorivière. En
outre, il consacre une grande partie de son apostolat en faveur des Noirs ce qui n’est pas vraiment du goût des trustees qui, après avoir été à deux doigts d’expulser le curé
Galagher de sa paroisse (on en viendra même aux mains…), feront alliance avec lui contre l’intrus français.
Au plus fort de la tension qui l’opposait à ses compatriotes trustees irlandais, et empêché par eux d’exercer son ministère, l’abbé Gallagher, sans l’accord de l’archevêque
Neale, avait fait venir un prêtre régulier irlandais de Georgie, le R.P. Augustin Robert Browne. Mgr Neale en exige le départ et nomme donc l’abbé de Clorivière à
Charleston. Non seulement le R.P. Browne refuse d’obtempérer, mais avec l’aide du curé Gallagher réussit à fomenter une rébellion des trustees contre le vicaire français.
Mgr Neale suspend les deux prêtres et menace de frapper d’interdit la paroisse St. Mary of the Anunciation. Ces graves sanctions canoniques agravent la situation. La désobéissance
dégénère en schisme : le curé Gallagher, le R.P. Browne et les trustees (estimant que c’est à eux de nommer leur curé), veulent instituer une église “indépendante” de la
hiérarchie, au motif que « le droit canon est inapplicable » à Charleston, menaçant même de se rattacher aux églises vieilles catholiques de l’union d’Utrecht et cherchant un évêque qui n’aurait
pas été nommé par le Pape…
Peu de temps avant son décès (le 18 juin 1817), Mgr Neale sachant l’abbé de Clorivière lassé de cette situation, nomme le prêtre directeur spitrituel du couvent de la
Visitation à Georgetown (District of Columbia) qu’il avait créé en 1789 et dont il avait lui-même été le premier directeur spirituel. Il y arrive le 13 janvier 1818 et va dès lors, et
jusqu’à sa mort, se consacrer à l’œuvre de ces religieuses. Il vend tous ses biens en Bretagne au profit du couvent auquel il consacre aussi toute sa pension, fait reconstruire la chapelle des
religieuses (la première chapelle dédiée au Sacré-Cœur aux États-Unis) qu’il fait orner d’un maître-autel que Charles X lui a offert, aide de toutes les manières l’internat fondé par les
religieuses (la première école ouverte dans le District of Columbia, le 24 juin 1799). En 1819, il lance une souscription pour la création d’une nouvelle école qui sera inaugurée en 1823. Il
offre, enfin, par testament, les 175 livres de sa bibliothèque personnelle aux Visitandines : il est à noter que ce sont, essentiellement, des ouvrages de dévotion privée et d’oraison (depuis
1992, tous ces livres ont été transférés au département des collections spéciales de la Lauinger Library de l’Université de Georgetown [DC]). On comprend qu’aujourd’hui encore, l’abbé
de Clorivière soit considéré comme le second fondateur de la Visitation de Georgetown.
Il décéda en 1826 et fut inhumé derrière l’autel de la chapelle de la Visitation, où sa tombe existe toujours.