Lors du tout récent colloque romain “Summorum Pontificum, una speranza per tutta la Chiesa” un des conférenciers était le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens. Personne à ma connaissance n’a relevé une affirmation assez énorme dans le discours du prélat suisse. Exposant la thèse bien connue selon laquelle ce serait uniquement une mauvaise interprétation (de rupture) du concile Vatican II qui serait responsable du marasme liturgique et non ce concile lui-même, Mgr Koch a plaidé pour une herméneutique de continuité de la constitution liturgique Sacrosanctum Concilium. Jusque là, c’est un discours bien connu.
Là où j’ai franchement sursauté, c’est quand le cardinal a poursuivi en disant que cette thèse
« a été démontrée en profondeur, en particulier par [le liturgiste Alcuin] Reid »
(voir le site Paparatzinger , qui reprend l’édition italienne de l’Osservatore Romano du 15 mai, laquelle tronque toutefois opportunément le texte du cardinal quand celui-ci critique la célébration vers le peuple).
Le diacre australien Alcuin Reid n’a jamais prétendu démontrer la continuité de la constitution Sacrosanctum Concilium avec la tradition liturgique, pour la simple raison qu’il n’a jamais abordé cette question. Dans sa conférence, le porporato suisse ne donnait d’ailleurs aucune référence pour étayer son affirmation. Pour cause.
A la réflexion, Kurt Koch faisait probablement allusion à The Organic Development of the Liturgy, (Ignatius Press 2005) l’œuvre majeure d’Alcuin Reid à ce jour. Seul ennui pour le cardinal suisse, cet ouvrage s’arrête précisément à la veille de Vatican II. C’est à se demander si l’archevêque a lu la pièce maîtresse d’un auteur qu’il prétend rallier à sa cause. Dans The Organic Development, Reid énonce le principe que toute évolution de la liturgie doit se faire de façon organique, c’est-à-dire par croissance interne, sans rupture. Mais il ne prétend pas que les choses se soient effectivement toujours faites ainsi. C’est tout le contraire de l’ancien évêque de Bâle, qui exonère a priori le concile Vatican II de toute rupture. Au contraire, dans l’introduction à The Organic Development, Reid annonce :
« Je démontrerai qu’il y a eu des réformes liturgiques, mises en oeuvre parfois par l’autorité, qui ne répondent pas à ce principe [de développement organique] et qui, soumises à un tel examen, échouent à remplir ce critère »(p. 17).
Répétons que l’auteur australien ne parle pas de Vatican II. Mais il n’écarte pas la possibilité que la constitution liturgique de ce concile soit tombé dans ce travers, puisqu’il épingle certaines réformes anciennes (en particulier, le bréviaire Quiñonez (1536) qui reste un exemple type de fabrication en bureau) qui, après avoir été promulguées, furent rapidement considérées comme des ruptures avec la tradition, et abolies. Qui plus est, il pointe les écarts grandissants avec la tradition dans les réformes liturgiques qui se sont succédé dans la liturgie latine au XXe siècle, de Pie X à Jean XXIII. Il n’y a donc rien qui permette de mettre à priori Vatican II à l’abri des mêmes travers. Et répétons qu’Alcuin Reid n’a rien publié qui prétende trancher cette question.
Encore une fois, on se demande si le cardinal Koch a lu Alcuin Reid ou s’il a pensé, sans même ouvrir The Organic Development of the Liturgy, que le titre était à comprendre comme un principe a priori. Pour ne rien vous cacher, l’abbé Reid pépare justement actuellement une étude qui aura pour titre “Continuity or Rupture? A Study of the Liturgical reform of the Second Vatican Council”. Les résultats de cette recherche seront bienvenus pour élargir une discussion qui commence à peine et qui, visiblement, comporte encore bien des préjugés.