Après avoir traité le cas de la prière multireligieuse, le cardinal Ratzinger aborde le cas de la prière interreligieuse :
Tandis que, lors de la prière multireligieuse, on prie dans le même contexte mais séparément, la prière interreligieuse signifie que les personnes ou groupes des différentes appartenances religieuses prient ensemble. Est-ce possible en toute vérité et honnêteté ? En tout cas, trois conditions élémentaires doivent être posées, sans le respect desquelles une telle prière deviendrait une apostasie de la foi :
1. On ne peut prier les uns avec les autres que s’il y a une unanimité sur la question de savoir qui ou qu’est Dieu et sur ce qu’est la prière : un processus de dialogue où je parle à un Dieu capable de m’écouter et de m’exaucer. Autrement dit : la prière en commun nécessite que, fondamentalement, on ait la même compréhension du destinataire et de l’acte intérieur qui lui est adressé. Comme dans le cas d’Abraham et de Melchisédech, de Job et de Jonas, il doit être clair que l’on parle au Dieu unique qui est au-dessus des dieux, au Créateur du ciel et de la terre – à mon Créateur. Il doit être clair que Dieu est une « personne », c’est-à-dire qu’il est capable de connaître et d’aimer ; qu’il a le pouvoir de m’écouter et de me répondre ; qu’il est le bien et la mesure du bien et que le mal n’a pas de part avec lui. À partir de la figure de Melchisédech nous pouvons dire qu’il doit être clair qu’il est le Dieu de la paix et de la justice. Tout mélange d’une compréhension personnelle et d’une compréhension impersonnelle, de Dieu et des dieux, doit être exclu. Le premier commandement est valable aussi dans une éventuelle prière interreligieuse.
2. Partant de la conception de Dieu, il doit y avoir aussi un accord de fond sur la question de savoir ce qui est digne de la prière et ce qui peut devenir contenu de la prière. Ce sont les demandes du Notre Père que je considère comme la norme de ce que nous pouvons demander à Dieu de manière juste pour que la prière soit digne de Dieu : dans ces demandes nous voyons qui et comment est Dieu et qui nous sommes nous-mêmes. Elles purifient notre vouloir, nous montrent avec quelle sorte de désirs nous sommes en chemin vers Dieu et quelle sorte de désirs nous éloigne de Dieu, nous opposerait à lui. Des demandes qui sont contraires à la direction des demandes du Notre Père, pour un chrétien, ne peuvent pas être objet d’une prière interreligieuse, ni d’aucune autre sorte de prière.
3. Le tout doit se faire de manière à ce qu’une interprétation relativiste de la foi et de la prière n’y trouve aucun support. Ce critère n’est pas seulement valable pour les chrétiens, qui ne doivent pas être induits en erreur, mais également pour les non-chrétiens, devant lesquels on doit éviter de donner l’impression que les « religions » sont interchangeables, que la profession de foi chrétienne est relative et donc remplaçable. L’absence d’un tel égarement exige que la prière interreligieuse n’obscurcisse pas aux yeux du non-chrétien la foi des chrétiens en l’unicité de Dieu et en l’unicité de Jésus-Christ, du Sauveur de tous les hommes. À ce propos, le document de Bose évoqué plus haut dit à juste titre que la participation à la prière interreligieuse ne doit pas remettre en cause notre engagement pour l’annonce du Christ à tous les hommes. Si un non-chrétien pouvait ou devait conclure de la participation d’un chrétien une relativisation de la foi en Jésus-Christ, l’unique Sauveur de tous, cette participation ne devrait avoir lieu. En effet, elle indiquerait alors la mauvaise direction, elle ferait reculer au lieu de faire avancer dans l’histoire des chemins de Dieu.