Depuis son élection ai Siège de Pierre, le pape Léon XIV avait laissé le Dicastère pour les évêques sans chef. Il vient d’y nommer Mgr Filippo Iannone, O. Carm. canoniste (comme le pape) napolitain, jusqu’alors préfet du Dicastère pour les textes législatifs.
Homme de droit et d’équilibre, Iannone a appris sous François à prendre du recul : à encaisser les coups, à se taire. Non pas par désaccord personnel avec le pape régnant, mais parce qu’à cette époque, parler de normes et de droit risquait de faire passer pour un corps étranger. « Rien n’est arrivé ici », était-il souvent contraint de répondre aux demandes de clarification, qu’elles émanent du Vatican ou de l’Église catholique dans son ensemble. Même les textes des nouveaux décrets – constamment modifiés, parfois du jour au lendemain – ne parvenaient jamais à l’examen du Conseil pontifical. L’aversion du pape argentin pour les codes, les structures et les procédures était bien connue. Ainsi, Iannone, malgré sa promotion à la tête du Conseil pontifical pour les textes législatifs, resta sur la touche, confiné à un secteur que le pape considérait comme secondaire, presque ornemental. Aujourd’hui, cependant, les cartes sont redistribuées. Léon XIV a choisi de confier à un canoniste, non pas un étranger mais un initié de la Curie, la responsabilité d’identifier pour le pape les futurs évêques. C’est un geste fort, révélateur d’un style de gouvernance.
Filippo Iannone prendra ses fonctions le 15 octobre 2025 , assumant la direction du Dicastère pour les évêques et de la Commission pontificale pour l’Amérique latine. Parallèlement, Léon XIV a confirmé ad aliud quinquennium l’actuel secrétaire du Dicastère, Mgr Ilson de Jesus Montanari, ainsi que Mgr Ivan Kovač, qui restera sous-secrétaire. Cette décision reflète également le style de Prévost. Ses relations avec Montanari n’ont jamais été simples : pendant son mandat de préfet, le secrétaire le contournait souvent, préférant faire appel directement à Sainte-Marthe pour obtenir ce qu’il voulait. Avec François, Montanari entretenait des relations plus harmonieuses qu’avec Prévost. Il n’est donc pas surprenant que, lorsque Léon XIV sortit de la chapelle Sixtine , Montanari ne portait pas le zucchetto rouge d’un cardinal fraîchement créé – et personne n’en fut surpris.
Contrairement à son prédécesseur, Léon XIV n’est pas guidé par la rancune ou la vengeance. Sa ligne est différente : agir avec calme, sans bouleversements brusques. On change d’abord le préfet, les autres suivront.
Pour comprendre l’importance de cette nomination, il faut s’intéresser au parcours de Iannone. Né à Naples en 1957, il est entré jeune chez les Carmes, a étudié à l’Université du Latran et à la Rote romaine, et est un canoniste au sens le plus pur du terme – un homme formé au milieu des codes et des tribunaux ecclésiastiques. Défenseur du lien, vicaire judiciaire, professeur de droit canonique, avocat de la Rote : son CV est un condensé du monde juridique de l’Église. Mais parallèlement à cela, il a également une expérience pastorale : évêque auxiliaire de Naples, puis évêque de Sora-Aquino-Pontecorvo, puis vice-gérant du diocèse de Rome. C’est un homme qui connaît à la fois les difficultés de l’Église et les défis de la gouvernance. Sous Jean-Paul II et Benoît XVI, il a été remarqué et promu. Jean-Paul II l’a nommé le plus jeune évêque d’Italie en 2001. Benoît XVI l’a appelé à Rome comme vice-gérant. Puis, sous François, vint la présidence du Conseil pontifical pour les textes législatifs, qui, sous Praedicate Evangelium, devint un dicastère à part entière. Pourtant, à cette époque, dominé par l’idée que le droit devait céder le pas aux préoccupations pastorales, le rôle de Iannone demeura flou, à peine visible. Pourtant, Praedicate Evangelium avait assigné une lourde mission à sa charge : interprétation authentique des lois, vigilance face aux pratiques illégitimes, promotion du droit canonique, assistance aux conférences épiscopales. Autant de tâches cruciales, mais souvent mises de côté, le pape préférant décider seul.
Avec Léon XIV, le paysage change radicalement. Le choix de confier le dicastère pour les évêques à un canoniste n’est pas un hasard : le message est clair comme de l’eau de roche. Fini l’improvisation, place aux règles. Dès le départ, le nouveau pape a clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas reproduire la « méthode Bergoglio ». Lors de la sélection des évêques, le processus est rétabli : le préfet, avec l’aide du personnel du Dicastère, mène des enquêtes, recueille des avis, écoute les prêtres des diocèses d’origine et de ceux susceptibles d’accueillir de nouveaux pasteurs ; enfin, il présente les noms au pape. Le pape, quant à lui, n’est plus le marionnettiste qui choisit au gré de ses envies, mais le dernier à évaluer et à décider. Ceci marque la fin d’une époque d’improvisations et de pratiques douteuses, où la simple proximité de Sainte-Marthe suffisait à obtenir un diocèse. F
Le dicastère que Iannone s’apprête à diriger est l’un des plus délicats. Les normes de Praedicate Evangelium le décrivent précisément : il supervise la constitution des diocèses, la nomination et la formation des évêques, soutient les pasteurs dans leur gouvernement, organise les visites ad limina , veille à l’unité et au bon fonctionnement des Églises particulières et implique même le peuple de Dieu dans la sélection des candidats. Autrement dit, c’est le cœur battant de la Curie. C’est ici que se décident ceux qui dirigeront les communautés catholiques du monde entier. Et c’est donc aussi ici que se décide l’avenir de l’Église : s’il y aura des évêques attentifs à la doctrine ou enclins aux compromis, s’ils seront des pères bienveillants envers leurs prêtres ou des administrateurs despotiques, s’ils seront des pasteurs de prière ou des administrateurs diocésains, s’ils feront preuve d’un courage prophétique ou s’installeront dans la médiocrité.
La nomination d’aujourd’hui n’est donc pas un détail bureaucratique, mais un acte programmatique. Car tout dépend de la qualité des évêques : catéchèse, liturgie, vie sacramentelle, gestion des ressources, proximité avec les pauvres, défense de la foi. Un épiscopat faible engendre des communautés désorientées. Un épiscopat fort, juste et profondément enraciné devient au contraire un signe d’espérance. À une époque où l’Église apparaît perdue, fragmentée, parfois même soumise aux modes, le choix de placer un homme de loi à la tête des nominations épiscopales apparaît comme une réponse précise : le salut ne vient pas de l’improvisation, mais du sérieux, de la compétence et du respect des règles .