Dans la dernière lettre de Paix Liturgique (n°1275), Christian Marquant revient sur la volonté exprimée par le Pape Léon de rencontrer les fidèles traditionalistes pour mieux les connaître.
Il fait le constat que depuis une dizaine d’années la Curie mais aussi une partie de l’épiscopat français ont fermé leurs portes à tout dialogue avec les fidèles attachés à la tradition liturgique. Nous partageons totalement ce constat !
Dans livre d’entretien avec Elise Ann Allen Léon XIV, ciudadano del mundo, misionero del siglo XXI (Penguin Peru, 2025) le pape Léon s’exprime sur la liturgie traditionnelle et ses défenseurs (Le pape Leo s’entretient avec Elise Ann Allen de Crux sur les questions LGBTQ+ et la liturgie | Fond). Il déclare qu’il ne nous connaît pas bien et qu’il n’a pas encore eut l’occasion de rencontrer des fidèles de notre sensibilité.
Nous avons demandé à Christian Marquant président du Cœtus Internationalis Summorum Pontificum, qui organise chaque année en octobre un pèlerinage à Rome, de nous faire part de ses réflexions et de ses expériences dans les domaines du dialogue avec les autorités de l’Église tant au Vatican qu’en France avec la CEF ou les soi-disant « synodes diocésains »
Paix Liturgique – Cher Christian, comment comprenez-vous la remarque du Saint-Père ?
Christian Marquant – D’abord il faut remercier le pape Léon de s’intéresser à nous et à cette question. Ensuite, si vous permettez, il nous faut revenir à la réalité actuelle.
Paix Liturgique – Quelle est cette réalité ?
Christian Marquant – C’est très simple : tout est fait dans l’Église pour nous rendre inaudibles et faire croire que nous n’existons pas… Malheureusement les ennemis de la paix font cela depuis longtemps, mais particulièrement depuis quatre ans, car auparavant, même si la situation n’était pas idyllique elle nous permettait de conserver un lien direct et réel avec les autorités de l’Église.
Paix Liturgique – Pouvez-vous précisez ?
Christian Marquant – Prenons un exemple : depuis 1988 et jusqu’en 2021, il existait à Rome la Commission Ecclesia Dei. Théoriquement elle avait pour mission de « faciliter la pleine communion ecclésiale » des prêtres, des séminaristes, communautés religieuses, qui avaient des liens avec la FSSPX ». Visée un peu étroite, qui faisait dire à la FSSPX que c’était une machine à « ralliement »… En fait, elle était compétente pour les communautés traditionnelles. Mais concrètement, elle était aussi devenue pour nous laïcs un authentique lieu de rencontre et de dialogue très libre.
Paix Liturgique – Comment cela ?
Christian Marquant – Les laïcs pouvaient s’adresser à elle par courrier et, de passage à Rome, en rencontrer les chefs et les membres pour leur soumettre nos difficultés.
Paix Liturgique – L’avez-vous fait ?
Christian Marquant – De multitudes de fois ! Que ce soit au temps du Cardinal Mayer, qui fut Président de la Commission, ou des Secrétaires de la Commission, Mgr Perl qui était un grand homme d’écoute, toujours très ouvert, de Mgr Pozzo, de Mgr Descourtieux et bien sûr de toutes leurs équipes.
Paix Liturgique – Est-ce fini ?
Christian Marquant – Depuis le 19 janvier 2019 la Commission a été supprimée.
Paix Liturgique – Mais il existe d’autres interlocuteurs possibles à Rome ?
Christian Marquant – Il existait autrefois une habitude bien catholique et bien charitable de recevoir dans les dicastères, pour nous dans celui pour le Culte Divin.
Paix Liturgique – Dont les responsables vous accueillaient ?
Christian Marquant – Amicalement, on peut le dire. C’est ainsi que depuis une trentaine d’années je pense avoir été reçu par tous les Préfets du culte divin tant le cardinal Medina, que le cardinal Arinze, que le cardinal Cañizares, et que le cardinal Robert Sarah, pour leur soumettre nos difficultés.
Paix Liturgique – Et cela fut utile ?
Christian Marquant – Utilissime ! C’est grâce à ces contacts que nous avons pu être reçus par le cardinal Ratzinger, et bien d’autres cardinaux ou officiers du Curie. C’est aussi ainsi que nous avons pu inviter par exemple le cardinal Cañizares, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin, à célébrer la messe à Saint-Pierre de Rome du premier pèlerinage Summorum Pontificum en 2012, et que nous avons pu évoquer une multitude d’autres sujets.
Paix Liturgique – Mais cela n’est plus possible ?
Christian Marquant – Depuis le départ du cardinal Sarah du dicastère du culte divin il ne m’a plus été possible de rencontrer son successeur, le cardinal Roche.
Paix Liturgique – Avez-vous essayé ?
Christian Marquant – J’ai sollicité le cardinal par courrier et par mèls un grand nombre de fois, je suis passé dans ses bureaux plus fréquemment encore … en vain. Le cardinal Roche est très occupé…
Paix Liturgique – Est-ce fâcheux ?
Christian Marquant – C’est tout simplement dramatique. Nous sommes comme des orphelins. Dans les dicastères et les bureaux, on parle de la liturgie traditionnelle et de ceux qui y sont attachés, mais sans nous connaitre, sans avoir le moindre contact avec nous.
Paix Liturgique – Aucun dialogue ?
Christian Marquant – NON, aucun dialogue, à une époque où celui-ci est mis quotidiennement en avant comme une charité indispensable.
Paix Liturgique – Mais il y a le Synode des Évêques et ses assemblées…
Christian Marquant – Le synode des Évêques à Rome, comme les synodes diocésains, multiplient leurs assemblées, mais nous ignorent comme si nous n’existions pas.
Paix Liturgique – N’exagérez-vous pas un peu ?
Christian Marquant – Je pourrais écrire un vrai livre sur le dernier synode du diocèse de Versailles auquel de nombreux groupes avaient voulu participer mais qui ont TOUS été écartés. Le dialogue n’existe qu’avec ceux qui partagent grosso modo les mêmes points de vue !
Paix Liturgique – Mais au niveau des Conférences épiscopales ?
Christian Marquant – Mon expérience se limite à celle de France, mais là encore nous sommes confrontés à un repli autistique. Alors que de nombreux groupes sont représentés auprès d’elle, il n’existe aucune représentation, fût-elle informelle, pour représenter les fidèles traditionnels auprès de nos évêques, établie un contact avec eux. Ce n’est pas faute d’en avoir fait plusieurs maintes fois la demande. Même pas des contact officieux. Rien. Il n’y a que dans l’Église qu’on voit ça : ce serait inimaginable dans le monde politique ou dans le monde de l’entreprise.
Paix Liturgique – Mais n’existe-t-il pas un groupe de réflexion CEF/ Tradition au sein de l’Église de France ?
Christian Marquant – La CEF ne connaît que les communautés ex-Ecclesia Dei, lesquelles ne parlent qu’en leur nom propre, et il faut voir d’ailleurs de quelle manière cavalière elle les traite. Or, il y a de nombreux prêtres diocésains qui célèbrent la messe traditionnelle. Et il y a surtout la masse des fidèles laïcs qui, pour la CEF, n’existe pas.
Paix Liturgique – Parce que les laïcs forment une réalité particulière ?
Christian Marquant – J’avais cru comprendre que c’était théoriquement le cas depuis le Concile Vatican II. Cela ne doit pas concerner tous les laïcs mais seulement ceux qui adhèrent aux idées nouvelles.
Paix Liturgique – Vous êtes donc orphelins ?
Christian Marquant – Nous sommes orphelins, ignorés et, disons-le, soigneusement écartés de la vie ecclésiale. Au moins les paroles du pape nous laissent espérer que les choses pourraient changer. Ce sera l’objet de nos prières pendant le quatorzième pèlerinage Summorum Pontificum à Rome du 24 au 26 octobre prochain.