Dans Le Figaro, Jean-Marie Guénois enquête sur le phénomène Bustillo :
[…] Depuis son arrivée sur l’île en 2021, ce prélat semble devenu un phénomène qui toucherait « au-delà des murs des églises » qu’il a d’ailleurs rouvertes. Les jeunes le surnomment « Stromae » pour sa vague ressemblance avec le chanteur. Dans la foule, un peu gênée par son enthousiasme, Sylvie, la jolie cinquantaine, avoue à sa famille : « Moi, je le suis sur Instagram » . « Les trois quarts des Corses le suivent, assure-t-elle, il apporte un renouveau qui n’est pas seulement religieux. Il est très abordable, proche de la population. Il réunit, et pas forcément des catholiques pratiquants. Les gens reviennent à l’Église, il est fédérateur. Ce qui se passe est incroyable. C’est ce qu’il fallait aux Corses. » Un vieux connaisseur de l’île admet : « Avec l’énergie qu’il apporte, il redynamise la Corse. Il est adulé. » Bienveillante mais gardant sa distance d’élue corse, Muriel Fagni, reconnaît : « Il est devenu un personnage central. » […]
Ce religieux serait-il devenu à son insu l’un des nouveaux chefs de file corses ? Serait-il l’homme de la « volta », ce déclic qui dénoue les processions et pourrait aider ce territoire à se libérer de ses passions noires, souvent violentes et meurtrières ? L’intéressé décline la question. Il n’en sait rien et ne veut pas savoir : « J’essaye d’accueillir et d’aimer les gens qui me sont confiés. Je sème. Après, c’est le Seigneur qui fait le reste. » Il est vrai que ce franciscain pragmatique, profondément méditerranéen, est « a casa », comme chez lui, en Corse. Beaucoup de Corses le lui rendent par cette courte phrase qui est un honneur rare : « Il est des nôtres. » Né en Navarre, formé en Italie, il a vécu son sacerdoce à Narbonne, puis à Lourdes. En Corse depuis quatre ans, il a connu une ascension fulgurante en 2024.
[…] Son nom a été parfois cité au conclave, certains l’imaginent même un jour à Paris. Ce pasteur inclassable, invité du journal de 20 heures de Léa Salamé sur France 2 le 9 septembre, vient de publier un petit livre, sobrement intitulé Réparation (Éditions Fayard). Cet ouvrage est le cri d’un homme, d’un citoyen, d’un chrétien. « La suspicion, la méfiance, érigées en principe, deviennent un poison » pour notre société, dénonce-t-il. Il est accéléré par la « lapidation » médiatique : « On ne tue plus, on assassine symboliquement. On ne saigne plus, on salit » avec « la hargne qui broie la réputation d’un être ». Un rien, une « parole maladroite », un « tweet » déclenche l’hallali et « la meute s’en repaît »,« le simple soupçon sert de preuve » . Le téléphone portable se transforme en « arme de destruction massive ». Ces « décapitations symboliques » affadissent l’air sociétal jusqu’à « l’irrespirable ». Elles menacent « la démocratie » parce que « l’on ne sait plus discuter sans blesser ». La « tristesse » s’installe, elle chasse « la paix » intérieure avec des vies « sous pression ou en dépression ».
Pour François Bustillo, « il est urgent de sortir de l’ère de la méfiance. Une époque nouvelle doit advenir, celle de la confiance ». Ce n’est pas pour autant « une apologie de la naïveté ». Il propose dans son livre une série de moyens concrets pour « réparer » nos sociétés, bien certain que « le vivre ensemble n’est pas une utopie. Il peut même devenir un art » . Il suppose aussi une vie spirituelle, « il est urgent d’entreprendre un pèlerinage vers notre intériorité ».
On retrouve dans cet ouvrage accessible la simplicité du pasteur de Corse dans son rôle de berger. Il ne se prend ni pour un prophète, ni pour un politique. Dans cet essai, il demande d’oser faire le bien, de se lancer et de ne pas attendre la messe de funérailles de quelqu’un pour reconnaître « le bien » qu’il a fait. « Essayez », dit-il. C’est exactement ce qu’il tente en Corse. « Nous, chrétiens, devons arrêter de nous plaindre pour incarner l’amour, la générosité, la bienveillance, plaide-t-il . Nous ne réalisons pas à quel point l’Évangile n’est pas connu. À l’image de “Jésus qui passait en faisant du bien”, l’Église doit déborder de son écosystème naturel pour rencontrer gratuitement les gens et créer du lien. C’est une priorité. La population attend quelque chose des hommes de Dieu que nous sommes mais il faut recréer un terrain de confiance. Quant au temps de la moisson, il appartient à Dieu. Dans la vie, chacun va à son rythme. » […]
Le premier danger pour lui serait l’écart sur la laïcité. Sa personnalité et sa stature de cardinal évêque, dans un pays profondément catholique qui n’a jamais connu la réforme, pourraient lui conférer une influence politique. Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse, n’est pas inquiet : « On peut être attaché à la laïcité sans méconnaître le caractère extrêmement imbriqué, en Corse, de la vie sociale, économique et de la foi religieuse catholique. La Corse est une terre catholique. Une laïcité abstraite coupe le lien entre société, politique et religion. Résultat : on passe à côté des gens ! Le cardinal parle à tous et de façon directe, il touche donc très largement au-delà des frontières habituelles. Cet évêque insiste sur son rôle de pasteur de son “peuple”, il connaît la ligne à ne pas franchir et personne n’y trouve à redire. D’autant qu’il a redonné beaucoup d’estime à notre communauté insulaire. Dans un contexte anxiogène, sa parole est un ferment de concorde et d’unité, elle résonne au-delà des catholiques. »
[…] Mais relancer les « confréries », grand ouvrage ecclésial de l’évêque Bustillo, sans compter le renouveau des vocations avec cinq séminaristes, pourrait être une des voies, modestes et concrètes, de « réparation » de cette société déchirée. Ces confréries regroupent dans les villages des laïcs qui s’engagent au service de l’Église pour les cérémonies. Ils veillent aussi à la solidarité sociale dans les communes. […]