Pieter Vree signe un article dans the New Oxford Review intitulé « Déconnexion française », dans lequil il revient sur la promotion par Mgr de Kerimel d’un prêtre condamné pour viol sur mineur :
Le philosophe George Santayana a écrit un jour : « Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter. » On peut se demander si Guy de Kerimel, archevêque de Toulouse, se souvient du passé, car il semble déterminé à le répéter.
Toulouse est une ville du sud de la France, un pays aux prises avec les conséquences d’un rapport publié cet été, qui révèle des aspects sombres, meurtriers, voire démoniaques de son passé. Ce rapport est le fruit d’une enquête de cinq mois sur la prévalence des violences envers les élèves dans le système éducatif français. Commandée par le Parlement français, elle examine plus de 270 établissements scolaires, mais se concentre principalement sur les établissements catholiques sous contrat avec l’État, notamment ceux proposant des internats. La présidente de la commission, Fatiha Keloua Hachi, a qualifié l’enquête de « plongée au cœur de l’impensable ».
La commission a été créée suite aux révélations d’abus commis à Notre-Dame de Bétharram, un internat catholique des Pyrénées-Atlantiques. Ces abus auraient duré plusieurs décennies, des années 1950 aux années 2010, au cours desquelles des prêtres, des enseignants et des membres du personnel auraient soumis les élèves mineurs dont ils avaient la charge à de graves violences physiques et sexuelles. Les victimes ont décrit des actes d’une « gravité sans précédent » et d’un « sadisme absolu », et les législateurs français ont qualifié l’établissement d’« exemple classique » du dysfonctionnement structurel de l’État.
Alain Esquerre, 53 ans, ancien élève, a écrit un livre sur son expérience à l’école, intitulé Le Silence de Bétharram , paru ce printemps. Ses mauvaises notes lui ont valu quatre gifles et un coup de pied au ventre alors qu’il était allongé sur le sol du bureau du « préfet de discipline ». Il raconte avoir subi des coups, une quasi-inanition, des frictions d’orties sur les jambes nues (pour punir les retards) et des injections sous-cutanées à l’aide de seringues remplies d’eau, provoquant d’atroces ampoules. Un autre élève a souffert d’hypothermie après avoir été contraint de rester dehors, à moitié nu. Deux autres ont reçu des gifles si violentes qu’elles ont eu les tympans brisés. D’autres se sont souvenus d’incidents de voyeurisme, d’agressions sexuelles et de viols. Selon un ancien élève, « Bétharram était un refuge idéal pour les pédophiles » – une forme particulièrement sadique de pédophilie.
En février dernier, Damien Saget, préfet de discipline de l’établissement, était l’un des trois anciens employés placés en garde à vue pour viol aggravé, agression sexuelle aggravée et violences aggravées. Malgré les nombreuses accusations portées contre lui, Saget a été libéré pour prescription. Il est libre. Un autre accusé l’est également, et pour les mêmes raisons. Le troisième a été mis en examen pour « viol par personne ayant autorité » et attend son procès.
Autre échec judiciaire : l’ancien directeur de Bétharram, le père Pierre Silviet-Carricart, a été arrêté en 1998 et inculpé pour viols répétés sur un élève de dix ans, dont une fois le matin des funérailles de son père. L’affaire contre le prêtre a été classée sans suite après le suicide de Silviet-Carricart en 2000. Malgré les accusations – il fait l’objet de 24 plaintes pour agressions physiques et sexuelles – et le suicide, il a été enterré dans l’enceinte de l’école.
Comme on pouvait s’y attendre, ces horreurs, et d’autres encore, ont été perpétrées sous le sceau du silence officiel. Mais dans ce cas précis, la dissimulation s’étend jusqu’au sommet de la hiérarchie politique française. Parmi les personnes impliquées figure l’actuel Premier ministre français, François Bayrou, qui a envoyé trois de ses propres enfants à Bétharram. Son épouse, présente aux funérailles du Père Silviet-Carricart, y enseignait le catéchisme. Le juge chargé de l’affaire Silviet-Carricart a admis, des décennies plus tard, que Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, avait plaidé en faveur de l’école, dont il tenait à protéger la réputation, et du prêtre accusé, qu’il qualifiait d’« homme intègre ».
Si ce n’est pas un argument en faveur de la séparation de l’Église et de l’État, je ne sais pas ce que c’est.
Les conclusions du Parlement français font suite à une précédente enquête, tout aussi accablante, publiée en octobre 2021 : un rapport de 2 500 pages, commandé par les évêques français, sur l’histoire des abus sexuels commis par des prêtres au cours des sept dernières décennies. Cette enquête exhaustive a révélé que depuis 1950, des prêtres en France ont abusé sexuellement de quelque 216 000 enfants – un chiffre astronomique. Le nombre de victimes s’élève à environ 330 000 si l’on prend en compte les abus commis par des laïcs, comme les instituteurs paroissiaux. Environ 3 000 auteurs d’abus sexuels sur mineurs – dont les deux tiers étaient des prêtres – ont œuvré dans l’Église française au cours des 70 dernières années. La commission indépendante a qualifié ces abus de « systémiques ».
Ces deux rapports révèlent l’ampleur extraordinaire, voire extrême, des abus sexuels commis sur des enfants par des prêtres et des membres du personnel catholique français. Pourtant, certains se demandent encore pourquoi le catholicisme est en train de mourir en France, autrefois « Fille aînée de l’Église ».
Aussi grave que cela puisse être, vous vous demandez peut-être quel est le rapport avec l’archevêque de Toulouse ?
C’est dans ce contexte de mal pur et dur que de Kerimel a nommé Dominique Spina chancelier de son archidiocèse cet été. Pourquoi est-ce remarquable ? En 2006, le père Spina a été condamné à cinq ans de prison pour de multiples chefs d’accusation de viol sur un adolescent dans les années 1990, alors qu’il était aumônier dans une école de Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques. Cette école ? Notre-Dame de Bétharram. Nota bene : Spina n’a pas seulement été accusé de viol sur mineur ; il a été reconnu coupable et a purgé une peine de prison. La protection, voire la promotion, des pédérastes de l’école par les autorités progresse à un rythme soutenu.
Ah, mais selon l’archevêque de Kerimel, la nomination du père Spina ne peut « en aucun cas être comprise ou présentée comme une promotion ». Pourquoi pas ? Parce que Spina est et reste un « homme de l’ombre », a-t-il dit (utilisant une expression plutôt maladroite), et qu’il n’a « aucun rôle dirigeant » dans l’archidiocèse. C’est un peu tiré par les cheveux. Le père Spina avait été vice-chancelier les années précédentes. Je peux me tromper, mais n’est-il pas illogique de prétendre que passer de vice-chancelier à chancelier ne constitue pas une promotion ? Qui l’archevêque pense-t-il duper ?
Il ne trompe pas ses ouailles, qui (bien sûr) ont accueilli avec inquiétude la nouvelle de la promotion (oui, appelons-la ainsi) d’un violeur condamné au poste de chancelier. Face à l’examen public, de Kerimel a fait ce que d’autres prélats avant lui ont fait : il a défendu sa décision en invoquant des idéaux et une autorité supérieurs, et en posant des questions rhétoriques.
« Est-il possible de faire preuve de miséricorde envers un prêtre qui a commis un péché grave il y a trente ans et qui a depuis fait preuve d’abnégation et d’intégrité dans son service et ses relations avec ses supérieurs et ses confrères ? » s’est interrogé l’archevêque à voix haute. « La miséricorde ne s’oppose pas à la justice, mais elle va plus loin. Sans miséricorde, nous sommes bien malheureux, car il n’y a de salut possible pour aucun d’entre nous. Ne pas faire preuve de miséricorde, c’est enfermer l’agresseur dans une mort sociale ; c’est rétablir une forme de peine de mort. »
Ainsi, ne pas promouvoir un violeur d’enfants au poste de chancelier revient à le condamner à une mort sociale – et met en péril toute l’économie du salut. Qui l’eût cru ?
L’utilisation par de Kerimel de termes ecclésiastiques à la mode – mort sociale et miséricorde , chers au pape François – est impressionnante. Un fait à ne pas manquer : c’est sous le pontificat de François que l’enseignement catholique sur la peine de mort a été révisé. Il n’est donc pas surprenant que de Kerimel ait fait appel au défunt pape pour justifier sa décision. « François a dit que Dieu est Miséricorde, c’est son nom », a entonné l’archevêque. « Et nous, chrétiens, sommes témoins de la miséricorde de Dieu. »
Si vous vous opposez à sa gestion du personnel de l’archidiocèse, dit de Kerimel, vous vous opposez à Dieu lui-même.
L’archevêque s’est révélé être un sophiste de premier ordre.
Peut-être que dans son oubli volontaire du passé, de Kerimel a aussi oublié que le pape François a dit un jour ceci :
Les jeunes sont scandalisés par l’hypocrisie des adultes. Ils sont scandalisés par l’incohérence, ils sont scandalisés par la corruption, et ce scandale de corruption s’accompagne d’abus sexuels… Mais même si un seul prêtre a abusé d’un garçon ou d’une fille, c’est atroce, car cet homme a été choisi par Dieu… Dans l’Église, c’est le plus scandaleux, car [l’Église] devrait amener les enfants à Dieu et non les détruire. (Conférence de presse en vol, 15 septembre 2018)
De Kerimel s’inquiète de la « mort sociale » de Spina. Qu’en est-il de l’enfant dont le prêtre a assurément détruit la vie et la foi ? Voilà l’hypocrisie et l’incohérence qui scandalisent les jeunes, sans parler des vieux. Ce type d’abus est, comme l’a dit le regretté pape, atroce , et se définit comme « extrêmement maléfique ».
Il est difficile de se débarrasser du sentiment que les pédérastes et autres pervers constituent – toujours – une classe protégée dans l’Église.
Quant à la corruption , aux abus et aux scandales , ce sont des mots que certains prélats préféreraient étouffer et masquer sous une miséricorde vaguement définie . Car ces mots désignent un thème récurrent dans l’Église catholique depuis plus de deux décennies, une vaste série de crimes dont nombre de ces mêmes prélats sont complices.
L’archevêque de Kerimel a souligné que la couverture médiatique de l’affaire Spina citait une disposition du droit canonique selon laquelle les chanceliers doivent être « d’une réputation irréprochable et au-dessus de tout soupçon ». Oui, c’est un peu gênant. Mais de Kerimel avait une réponse toute prête : « Nous croyons, comme la foi chrétienne et la simple humanité nous y invitent, que la conversion est possible. »
Oui, nous, catholiques, croyons à la miséricorde, au pardon et à la conversion. Mais tout comme la miséricorde ne s’oppose pas à la justice, elle ne l’emporte pas non plus sur elle, même pour les convertis. Le cardinal Timothy Dolan, lorsqu’il était archevêque de Milwaukee, l’a très bien exprimé en parlant du pardon aux prêtres pédérastes. « L’Église pardonne au prêtre, pourvu qu’il demande pardon », a-t-il déclaré. « Pourtant, et c’est là le plus difficile, même si nous lui pardonnons, l’aimons et souhaitons toujours l’aider, nous pensons que nous ne pouvons plus lui permettre d’exercer son ministère » ou d’occuper des postes administratifs importants. « Il y a une grande différence entre pardon et permissivité. Cela signifie que, tragiquement, le péché a de graves conséquences. » L’une de ces conséquences devrait être la suppression des possibilités d’avancement professionnel.
Un plafond de verre pour les prêtres pédérastes ? Oui !
Au moins un archevêque français le sait et n’a pas hésité à le dire publiquement. Mgr Hervé Giraud, archevêque du diocèse de Viviers, a critiqué la promotion du père Spina par de Kerimel, la qualifiant d’« inacceptable et intenable ». Mgr Giraud a demandé : « Qui devrait faire preuve de miséricorde ? Je ne pense pas qu’un évêque puisse faire preuve de miséricorde sans tenir compte des victimes… Ce n’est pas simple, car il faut aussi veiller à l’avenir du prêtre, mais il existe bien d’autres moyens de lui ouvrir un chemin de vie. » L’une de ces voies ancestrales est une vie cachée de prière et de pénitence.
Heureusement, il existe quelques princes raisonnables dans l’Église, dont Hervé Giraud. Mais ils sont largement dépassés en nombre par les victimes des prêtres pédophiles que leurs confrères plus nombreux se sentent obligés de protéger et, bien sûr, de promouvoir. Il est stupéfiant, et pour le moins décourageant, qu’après plus de vingt ans, le scandale des abus sexuels commis par des clercs se répète sans cesse.