Le blog Messa in Latino, le site traditionnel le plus lu en Italie, a été supprimé peu après la publication d’une interview du père Nicola Bux, liturgiste expert et ancien consulteur des anciennes Congrégations pour la doctrine de la foi, le culte divin et la discipline des sacrements, et les causes des saints.
La majeure partie de l’interview portait sur le nouveau livre du père Bux, coécrit avec l’auteur italien Severino Gaeta, La Liturgia non e uno spettacolo (« La liturgie n’est pas un spectacle »).
Publié jusqu’à présent uniquement sous forme numérique en italien, le livre contient des détails complets sur l’enquête menée en 2020 par le Vatican auprès des évêques du monde entier, qui, selon le pape François, l’avait convaincu « de la nécessité d’intervenir » et de publier Traditionis Custodes, son motu proprio restreignant le rite romain traditionnel.
Le décret du pape a été publié, le 16 juillet, il y a quatre ans.
Les détails cruciaux de cette enquête, révélés pour la première fois par la journaliste Diane Montagna dans un reportage explosif le 1er juillet, ont montré de manière convaincante que les justifications avancées par François pour supprimer l’ancienne forme du rite romain étaient contraires à l’évaluation globale de l’enquête par le Vatican. Selon le rapport de la CDF, la majorité des évêques avaient répondu à l’enquête en déclarant que modifier la lettre apostolique Summorum Pontificum du pape Benoît XVI de 2007, qui libéralisait le rite romain traditionnel, « ferait plus de mal que de bien ».
Le Vatican a depuis révélé que d’autres « rapports confidentiels » ont influencé la décision du pape, mais il ne les a pas encore divulgués et n’a fourni aucune indication sur la manière dont ils différaient de l’enquête de la CDF.
Dans son interview avec Messa in Latino, le père Bux partage sa réaction aux révélations des résultats de l’enquête, discute de son appel, lancé dans son livre, au pape Léon XIV pour qu’il lève les restrictions sur la messe traditionnelle, et partage ses idées sur la manière dont la paix liturgique peut être rétablie dans l’Église :
Père Bux, vous décrivez la réforme liturgique postconciliaire comme un écart manifeste par rapport aux intentions authentiques de Vatican II et de Sacrosanctum Concilium. Selon vous, quelle a été l’erreur la plus grave dans la mise en œuvre de la réforme ?
Le fait de placer la participation des fidèles – désormais considérée comme un « droit » – au-dessus des droits de Dieu, qui, par sa présence, nous permet d’entrer en relation avec lui. Il s’agit du culte divin, qui cultive notre relation avec le Seigneur. La liturgie est « sacrée » pour cette raison ; sinon, elle devient une simple cérémonie publique, soumise à l’étalage, au spectacle ou au divertissement – ce qu’on appelle en Amérique le « litur-tainment ».
Vous dites que la liturgie est devenue un « champ de bataille ». Pensez-vous que ce conflit va persister, ou envisagez-vous une paix possible dans la vie liturgique de l’Église ?
L’article 22c de la Constitution liturgique de Vatican II avertit que personne, pas même un prêtre, ne peut ajouter, supprimer ou modifier quoi que ce soit. Nous devons abandonner l’idée que la liturgie sacrée est à notre disposition ; elle vient d’en haut et doit être servie, et non « animée » – c’est le Saint-Esprit qui l’anime, pas nous. Il doit y avoir un « code liturgique », déjà prévu dans la réforme préconciliaire, avec des sanctions précises en cas d’infraction. Le chercheur Daniele Nigro a écrit à ce sujet dans I diritti di Dio « Les droits de Dieu » (Sugarco 2012, avec une préface du cardinal Burke). Ceux qui prônent les déformations du Novus Ordo ne sont pas sans péché, mais ceux qui défendent le Vetus Ordo et n’adhèrent pas à la dernière édition du Missel romain de 1962, comme le prescrit le motu proprio Summorum Pontificum de Benoît XVI, ne le sont pas non plus. Ce n’est qu’en respectant l’ordre que la paix peut venir, y compris la paix liturgique.
Dans votre livre, vous parlez de la présence réelle du Christ en termes dogmatiques traditionnels : « vraie, réelle, substantielle ». Selon vous, quelle est aujourd’hui la plus grande menace pour la croyance des fidèles en ce mystère central ?
Ce n’est pas seulement une menace, mais une réalité très répandue : la réduction du sacrement – très saint – à un symbole convivial ou à un aliment ordinaire. Lui, le Seigneur, est « le remède de l’immortalité » et doit être adoré avant d’être consommé. Les médicaments délicats ne sont pas pris, mais reçus avec le plus grand soin. Cela est essentiel à la foi en l’Eucharistie, plus important que la catéchèse sur la communion.
Vous citez les paroles de Benoît XVI : « Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste sacré et grand pour nous aussi ». Comment répondez-vous à ceux qui voient dans la liturgie traditionnelle un symbole d’opposition idéologique au pape et au concile ?
L’instrumentalisation par des individus ou des groupes existe, mais elle n’est pas répandue. Au contraire, on assiste à un renouveau du sacré – la présence du Seigneur – dans le cœur des gens (adoration, communion sur la langue, silence, vocations…). Visitez les pays où le motu proprio de Benoît XVI a été mis en œuvre avec prudence et vous le constaterez. La patience de la charité dans l’obéissance à l’Église a prévalu.
Vous parlez dans votre livre de la « Messa spezzatino » (la « messe en ragoût »), résultat de la fragmentation linguistique et symbolique de la liturgie actuelle. Quelles mesures concrètes permettraient de restaurer la cohérence et le sens du sacré dans la messe ?
Avant tout, nous devons nous concentrer sur le Christ, ce qui, dans les liturgies orientales, se fait en se tournant vers l’Orient, d’où Il est venu, vient et viendra. Cette dimension cosmique et eschatologique est essentielle au culte divin. L’orientation du prêtre ad Deum (vers Dieu), vers la Croix, en particulier de l’offertoire à la communion, est cruciale pour restaurer la dimension verticale perdue. L’orientation est plus importante que le latin, même si ce dernier reste essentiel pour la perception du « sacré » dans le culte, en particulier dans la prière eucharistique et les autres prières sacerdotales.
Selon vous, quelle était la mentalité derrière le Motu Proprio du pape François ?
Une contradiction : il a loué le mystère des liturgies orientales, mais a refusé de voir que l’ancien rite romain, le plus grand des rites occidentaux, est parallèle au rite byzantin en Orient et répond aux crises de la foi en Occident, en suscitant l’évangélisation, en résistant aux sectes en Amérique latine, en encourageant les conversions, les baptêmes d’adultes, la vie familiale, la vie religieuse et les vocations. Le pape François a été victime de son propre « anticléricalisme ».
Pourquoi, selon vous, François a-t-il donné de fausses raisons pour publier Traditionis Custodes ?
Préjugés idéologiques, problème psychiatrique ? À Buenos Aires, ils le savent. Sa volonté faisait loi. On trouve toujours des courtisans, mais moins facilement des collaborateurs.
Dans votre appel [au pape Léon XIV], vous demandez le retour à la célébration de la messe traditionnelle sans restrictions, comme le prévoit essentiellement le motu proprio Summorum Pontificum. Comment répondez-vous aux préoccupations selon lesquelles le retour à une messe traditionnelle sans restrictions porterait atteinte à l’autorité papale ou créerait une division dans l’Église ?
L’Église est circumdata varietate (entourée de diversité) : grâce au Saint-Esprit, il existe de nombreux rites, alors pourquoi craindre quoi que ce soit ? Il semble que le pape Léon partage cette vision. L’autorité du pape et de l’évêque réside dans la promotion et la synthèse des charismes pour la mission de l’Église, n’est-ce pas ?
Vous écrivez que « l’Église catholique n’est pas une monarchie absolue ». Comment votre proposition s’harmonise-t-elle avec le principe d’obéissance hiérarchique qui caractérise l’Église ?
Depuis soixante ans, l’ancien rite romain a survécu à toutes les tentatives de suppression : nous devrions appliquer le principe de Gamaliel [tel qu’il est présenté dans le Nouveau Testament (Actes 5, 38-39), ce principe suggère que si un mouvement ou une idée est d’origine humaine, il finira par échouer, mais s’il est d’origine divine, il ne peut être arrêté, et tenter de le faire reviendrait à lutter contre Dieu]. S’il s’agissait simplement d’une œuvre humaine, n’aurait-elle pas déjà disparu ? Et si le Seigneur l’utilisait comme un instrument pour réformer son Église ?
Vous faites référence à la synodalité comme un principe invoqué mais non respecté. En quoi pensez-vous que la transparence et la collégialité ont été trahies dans la gestion liturgique et doctrinale actuelle ?
La synodalité est un style de collégialité – elle met en œuvre les quatre caractéristiques de l’Église : une, sainte, catholique et apostolique, et leur est soumise. L’autorité s’exerce de différentes manières : en dernier ressort, le prêtre dans la communauté, l’évêque dans le diocèse et le pape dans l’Église universelle – sinon, l’Église devient une assemblée parlementaire. Ceux qui ont conçu Traditionis Custodes et ses annexes n’ont pas pratiqué la synodalité. Non seulement cela, mais ils ont également falsifié la synodalité manifestée par les évêques dans leurs réponses au questionnaire. En ce qui concerne les « péchés contre la synodalité », un mea culpa est nécessaire, ainsi qu’un retour progressif à l’état antérieur. L’Église tout entière en bénéficierait.