Agnieszka Fromme, docteur en théologie, a étudié de près les différences entre les deux lectionnaires. Plusieurs de ses observations ont déjà été faites, mais son étude est systématique. Le blog New Liturgical Movement a publié l’article qui comporte le relevé qu’elle a fait. Ce relevé est précédé d’une introduction narrant l’histoire du lectionnaire et rappelant les fondements de la théologie catholique, et suivi d’une conclusion qui synthétise ses observations. Yves Daoudal a traduit ce relevé :
La première indication donnée après le jour liturgique est celle de la lecture dans la liturgie traditionnelle, elle est suivie de l’emplacement dans la néo-liturgie, ou de la péricope modifiée, entre parenthèses. On se souviendra que lorsque Agnieszka Fromme parle d’« omission », il s’agit à proprement parler d’une censure de la parole de Dieu. Et il faut souligner que la traduction soi-disant liturgique (en tout cas en français) aggrave singulièrement le problème (par exemple en supprimant les mots pénitence et repentir, ce qui exprime carrément une autre religion.)
Septuagésime Mt 20:1-16 (25e dimanche ordinaire). Le verset 16 est raccourci par l’omission de la seconde moitié : « Car nombreux sont ceux qui sont appelés, mais peu sont les élus ».
Mercredi des cendres Mt 6:16-21 (Mt 6:16-18). L’Évangile a été raccourci. L’accent mis sur la prière et le jeûne en secret – qui est souvent utilisé comme argument contre le culte public – reste présent. Cependant, l’appel à accumuler activement des trésors dans le ciel a été omis.
2e dimanche de carême 1 Thess 4:1-7 (un jour de semaine). Une omission particulièrement frappante dans les lectures du dimanche : Paul souligne clairement dans ce passage l’enseignement catholique selon lequel la sanctification est un processus qui dure toute la vie et exige de tendre vers une perfection toujours plus grande, et que même les chrétiens risquent de succomber à des désirs peccamineux. Dans l’ensemble, cela constitue un contrepoint très fort aux doctrines protestantes de la « sola fide » et du « une fois sauvé, toujours sauvé ».
Saint Joseph Sir 45:1-6 Mt 1:18-21 (2 Sam 7:4-5a.12-14a.16 ; Rom 4:13.16-18.22 ; Mt 1:16.18 – 21.24a). Les nouvelles lectures mettent l’accent sur différents aspects de la vie de saint Joseph, mais les péricopes sont sensiblement censurées : dans 2 Samuel, le châtiment de Dieu en tant que Père a été supprimé ; dans Romains, la vieillesse d’Abraham est omise, reflétant le scepticisme moderniste à l’égard des miracles.
3e dimanche de carême Eph 5:1-9; Lc 11:14-28 (1 Cor 10:1-6.10-12 ou Rom 5:1-2.5-8 – 19e dimanche ordinaire Lc 11:14-23). Les versets omis de 1 Corinthiens parlent de la fornication et de son châtiment, soulignant une fois de plus le danger que même ceux qui sont devenus chrétiens peuvent retomber dans le péché. L’ancienne péricope d’Éphésiens 5 souligne ce danger et la nécessité d’une vie sainte.
5e dimanche de carême Hebr 9:11-15 (deuxième lecture de la Fête Dieu ; remplacé ici par Rom 8:8–11; Heb 5:7–9 ou Phil 3:8–14). Dans la péricope tirée de l’épître aux Hébreux 5, le verset 10 est omis – ce verset parle de Jésus comme prêtre selon l’ordre de Melchisédech, ce qui renvoie au caractère sacrificiel de la Sainte Messe.
Rameaux Phil 2:5-11 (Phil 2:6-11 : le 26e dimanche ordinaire : versets 1-11) Le dimanche des Rameaux, le verset 5 a été omis : « Ayez en vous le même sentiment dont était animé Jésus-Christ. » Il ne reste que la description de la kénose du Christ, sans l’exhortation à l’imiter.
Messe chrismale Ja 5:13-16; Mc 6:7-13 (24e dimanche ; à la place : Isa 61:1-3a.6a.8b-9 Apoc 1:5-8 Lc 4:16-21). Jacques parle ici de l’onction des malades, tandis qu’Isaïe se concentre uniquement sur la mission messianique du Christ. La péricope de l’Apocalypse met l’accent sur le sacerdoce universel. Dans Marc 6, nous trouvons l’envoi des Douze avec l’autorité de Jésus (autorité apostolique, sacerdoce ministériel), tandis que Luc 4 reprend essentiellement le contenu d’Isaïe. Ce passage très notable des sacrements au sacerdoce universel se reflète également dans l’oraison de cette messe.
Jeudi saint 1 Cor 11:20-32 (Ex 12:1-8.11-14; 1 Cor 11:23-26). Une autre omission très frappante et profondément troublante : dans la péricope de 1 Corinthiens, les versets 27 à 32, qui contiennent une mise en garde explicite contre la réception indigne de l’Eucharistie, ont été supprimés. Cette mise en garde ne se trouve nulle part dans le nouveau lectionnaire, pas même pour la Fête Dieu.
On ajoutera cette note de la première partie :
Dans la messe de mariage du rite romain traditionnel, l’Évangile est toujours Matthieu 19 – sur l’indissolubilité du mariage. Aujourd’hui, ce passage n’est plus qu’une des dix lectures en option – tout comme l’indissolubilité du mariage elle-même semble être devenue une option. Dans les liturgies funéraires, en revanche, la célèbre séquence Dies irae a disparu. L’encyclopédie allemande Wikipédia le dit avec une remarquable franchise : « Le Dies irae n’est plus utilisé dans la liturgie de la forme ordinaire du rite romain selon le nouveau Missel, en raison de l’image d’un Dieu courroucé (« Jour de colère… ») que la séquence véhicule. Il est toutefois autorisé lors du grand Requiem du jour des morts afin de préserver le trésor de la musique sacrée. » En clair : elle a été supprimée parce qu’elle n’est plus adaptée à notre époque, mais afin de ne pas la perdre musicalement, elle peut être chantée une fois par an, le jour de la Toussaint. C’est-à-dire un jour de semaine où peu de gens assistent à la messe, puisque la plupart des visites au cimetière ont déjà lieu le jour de la Toussaint. Mais certainement pas lors des messes funéraires ordinaires, où l’on risquerait de confronter des fidèles non pratiquants ou sécularisés à l’idée d’un « Dieu en colère ».
Voici la conclusion de l’article.
De nombreux textes bibliques ont été modifiés dans le nouveau lectionnaire, révélant une tendance claire vers une théologie plus alignée sur les interprétations protestantes et modernistes. L’omission ou le raccourcissement de nombreux passages qui soulignent des doctrines catholiques fondamentales est particulièrement frappant. Un exemple frappant est la suppression des versets soulignant la nécessité d’une participation active à la sanctification et à la responsabilité morale.
Des passages importants, tels que la mise en garde contre la réception indigne de l’Eucharistie ou l’enseignement selon lequel la sanctification est un processus qui dure toute la vie, ont été soit entièrement omis, soit considérablement affaiblis. Au lieu de mettre l’accent sur le caractère sacrificiel de l’Eucharistie et le rôle des sacrements, l’accent est de plus en plus mis sur un sacerdoce général, reflétant les perspectives protestantes.
Ces changements dans le nouveau lectionnaire représentent un glissement vers une théologie qui met l’accent sur l’expérience personnelle et subjective et sur une compréhension « simplifiée » de la grâce, tandis que l’enseignement catholique traditionnel sur l’interaction entre la foi, les œuvres et l’ordre sacramentel est de plus en plus dilué.