Stupeur
« Ooooh !… Mais vous avez quel âge ?… vous êtes si jeune ! » Quel jeune lévite fraîchement ordonné n’a pas eu droit à cette remarque (quelque peu indiscrète) lors de ses allers et venues dans le monde ? Elle peut également se décliner en « mais quel gâchis ! » ; ou « ça se fait encore de nos jours ? »… Ces commentaires spontanés varient selon les humeurs et les tendances, mais toujours ils dénotent un étonnement voire une stupéfaction. Nos contemporains comprennent de moins en moins le mystère d’une vocation.
Cette curiosité n’est pas nouvelle et elle est toujours aussi paradoxale : « le monde manifeste, vis-à-vis des prêtres, une grande curiosité, mais il ne montre, hélas !, que peu d’estime pour leur état privilégié. » (Fr. Patrick Peyton) On cherche, mais on ne veut pas vraiment avoir la réponse. Cela emmènerait trop loin. Peut-être même serait-on obligé d’admettre une transcendance derrière tout cela ! Alors on préfère se contenter de réponses superficielles, bien plus confortables. Des réponses qui permettront à l’homme du monde de dénigrer l’état et les fonctions de ces hommes qui se démarquent des autres par leur mode de vie à contre-courant.
Réponses superficielles
La première réponse est celle de la folie. La religion a poussé ces jeunes à une névrose maladive et la crainte du péché est devenue chez eux une sorte de phobie, ne leur laissant d’autre choix que de quitter le monde, de peur d’en être contaminé. Ou alors cette folie serait celle du fanatisme, où l’obsession du ciel inculquée dès le plus jeune âge les déséquilibre totalement au point de les jeter dans cette voie impossible.
La deuxième explication est celle du conformisme social, certes un peu plus difficile à utiliser de nos jours où la prêtrise n’est plus vraiment à la mode. Mais certains s’y risquent. Si ce jeune homme devient prêtre, pense-t-on, c’est parce que sa famille, ses amis, son environnement social, tout l’a poussé à cela. Il fut conditionné pour entrer au séminaire et il a suivi cette voie toute tracée pour lui, sans y réfléchir vraiment. Ce n’est pas un acte libre, cela s’est imposé à lui. De plus, c’était beaucoup plus facile pour lui de passer d’une bulle bien protégée (l’environnement familial avec l’école catholique) à une autre (le séminaire) plutôt que d’affronter le monde hostile.
Une troisième tentative serait de considérer cette voie comme un choix par défaut. Il est entré au séminaire puisqu’il n’avait vraisemblablement aucun avenir dans le monde. Avec son asociabilité, son manque d’intelligence et son physique difforme, il n’avait absolument rien pour réussir quoi que ce soit dans le monde. On comprend donc pourquoi il a choisi la voie des ordres…
Bonne intuition
Ces tentatives mondaines de percer le mystère des vocations sont bien sûr insuffisantes. Si une vocation se reconnaissait dans l’une ou l’autre de ces raisons, il serait au contraire nécessaire pour elle d’arrêter là sa marche vers le sacerdoce. Généralement, c’est ce à quoi servent les cinq années de séminaire préparatoires à l’engagement définitif du sous-diaconat. C’est aussi le rôle des supérieurs de séminaire qui doivent discerner les aptitudes et les motivations des candidats qui se présentent à l’ordination. On ne devient pas prêtre par phobie ou par névrose, on ne devient pas prêtre pour faire plaisir à ses parents et on ne devient pas prêtre parce qu’on a raté sa vie…
Mais le monde a raison sur un point : la vocation est une folie.
D’un certain côté, la vocation relève bien de la démence. En effet, il n’est pas aisé de devenir prêtre, il faut renoncer à beaucoup de choses pour s’engager à la suite de Notre-Seigneur dans une voie étroite et rude, selon l’esprit des conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance… Quel homme censé ferait cela sans rien recevoir en échange ? Même saint Pierre s’est inquiété : « Seigneur, voici que nous avons tout quitté pour vous suivre… Quelle sera notre récompense ? » La réponse de Notre-Seigneur l’invite à dépasser son regard terrestre, pour trouver en l’autre royaume la raison d’être de son engagement. Ensuite, il rassure tout de même son disciple en lui promettant le centuple en cette vie. Mais le royaume des Cieux est premier dans sa promesse.
Vraie raison
À la suite de saint Pierre, l’homme du monde est choqué par la vocation et voudrait en comprendre la rentabilité… Autrement, cela semble si absurde !
Mais peut-il la comprendre sans connaître le Christ ? Entreprise difficile, nous semble-t-il ; aussi difficile que de parler des couleurs à un aveugle ou bien de décrire les subtilités de la musique à un sourd. En effet, comment expliquer le but d’une vocation sacerdotale à une personne qui n’a pour horizon de vie que ce qu’il a consommé hier et ce qu’il consommera demain ? Ne lui manque-t-il pas l’essentiel pour comprendre : la dimension surnaturelle ?
La raison d’être du sacerdoce, c’est de continuer l’œuvre de Notre-Seigneur. C’est donc Lui qui est à l’origine de cet engagement d’une vie. Nul ne peut comprendre la vocation sans considérer celui qui appelle. À notre question initiale, « la question est mal posée, objectait Mgr Fulton J. Sheen ; il semblerait que ce fût moi qui aie choisi Dieu. Or je ne désirais rien, mais Lui désirait quelque chose de moi. Comme un crayon est seulement outil obéissant de la main qui écrit, ainsi Dieu me voulait instrument de sa puissance. S’il me fallait expliquer » pourquoi je suis devenu prêtre « , j’oublierais donc les paroles du Seigneur : » Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi, je vous ai choisi. » » Oui, une vocation est la réponse à un appel qui transcende les siècles : celui du Christ prêtre, vrai médiateur entre Dieu et les hommes pour l’éternité. Il n’y a pas simplement une envie du sujet de faire quelque chose de grand dans sa vie, ou de travailler au bien des autres. Il y a une grâce sublime, don de Dieu à l’âme, qui l’amène à donner au Christ sa personne pour qu’il continue à travers son œuvre de Rédemption de l’humanité. C’est là une dimension bien plus haute que des simples raisons psychologiques ou sociales. Une dimension inaccessible à l’esprit qui se refuse à toute forme de transcendance. Mais c’est la seule bonne explication.
Vraie folie
La vocation est donc une folie, mais peut-il en être autrement, dès lors que l’on s’engage à la suite du Christ ? En effet cette folie qui choque tant n’est autre que la folie de la croix, certes, sagesse aux yeux de Dieu, mais folie pour les païens et scandale pour le Juifs selon les mots de Saint Paul. C’est la folie de l’amour de Dieu pour nous. Le Christ nous a aimé d’un amour éternel et absolument fou, jusqu’à l’abaissement de l’Incarnation et l’humiliation des souffrances de sa Passion. Le prêtre qui souhaite devenir un instrument du Christ, une humanité de surcroît, participe nécessairement à cette folie du Christ et est donc lui aussi un scandale pour le monde.
La vocation exige de sa part un renoncement, car elle est une réponse à un amour sacrifié, l’amour de Notre-Seigneur. C’est parce que l’âme rencontre cet amour d’une façon plus personnelle, plus intense, qu’elle se décide à donner sa vie en retour. Cette démarche ne peut donc se comprendre sans la Grâce.
Alors que nous avons ouvert notre mois de mai par une neuvaine pour les vocations, continuons par nos prières redoublées auprès du Cœur Immaculé de Marie à implorer du Ciel de nombreux saints prêtres qui s’engagent à la suite du Jésus crucifié !
Abbé Pierre-Jean Moisan, FSSPX