Le blogue Rorate Coeli a réalisé un portrait fouillé et intéressant du nouveau pape. En voici quelques extraits :
[…] Une poignée d’excellents analystes ont su suivre l’évolution de Prévost et le compter parmi les papabile depuis qu’il a été nommé cardinal il y a moins de deux ans, peu après avoir été nommé nouveau préfet du Dicastère des évêques. Avant 2023, presque personne n’avait entendu parler de lui. Puis, François l’a soudainement nommé nouveau préfet, en remplacement de Marc Ouellet, qui était en poste depuis que le pape Benoît l’avait nommé en 2010.
M. Ouellet était à l’origine un « conservateur » modéré et l’un des rares prélats de ce type à avoir pu rester longtemps en fonction sous François. Malgré ce traitement « généreux », François a progressivement érodé son autorité « de facto », en nommant son propre loyaliste, le Brésilien Ilson de Jesus Montanari, comme nouveau secrétaire fin 2013, qui a servi de représentant de François avec une influence démesurée.
Des sources ont indiqué que François voulait que Montanari devienne le nouveau préfet depuis des années, mais qu’il ne voulait pas du poste. En tant que tel, Prevost n’était pas le premier choix de François, et peut-être même pas le deuxième ou le troisième, pour être le nouveau préfet (la même rumeur a circulé pour Fernandez en tant que nouveau préfet du Dicastère de la Doctrine de la Foi), puisque des initiés ont suggéré que Cupich, et peut-être même McElroy, étaient envisagés pour le poste.
Montanari est resté secrétaire et, selon les rumeurs, il avait une influence considérable. En outre, les alliés américains de François ont continué à contourner le nonce apostolique pour les États-Unis afin de promouvoir les évêques radicaux directement auprès de François.
C’est pourquoi il est étrange de voir Prevost blâmé pour la nomination de McElroy à Washington, alors que ce sont les cardinaux libéraux Cupich et Tobin qui ont exercé un lobbying féroce en sa faveur. Si Prévost était un progressiste radical, n’aurait-il pas fait pression pour de telles promotions sans que Cupich ait besoin de rencontrer François ?
Il semble évident que Prévost a été promu dans la phase finale du pontificat de François, lorsque plusieurs prélats puissants luttaient pour leur influence, et qu’il a agi avec modestie et professionnalisme. Lorsque François s’est rétabli temporairement, après sa sortie de l’hôpital et qu’il n’a pu rencontrer qu’occasionnellement des prélats comme Prevost, et non Cupich, deux nouveaux archevêques ont été nommés aux États-Unis (McKnight et McGovern) qui ont tous deux un profil modéré-conservateur plutôt que moderniste.
De même, la persécution de l’évêque français pro-traditionalistes Dominique Rey de Fréjus-Toulon a été lancée et soutenue par Ouellet et poussée par certains évêques français hostiles, ainsi que par Parolin. Prévost a hérité de ce problème.
Enfin, le limogeage de Mgr Strickland, à l’occasion d’une visite apostolique en juin 2023, est sans doute le seul exemple où Mgr Prévost a pu jouer un rôle important. Les sources varient sur la question de savoir si c’est le pape François qui a ordonné la visite ou Mgr Prevost, mais ce dernier n’avait probablement pas beaucoup de choix puisqu’il était très nouveau dans sa fonction et que Mgr Strickland avait parfois critiqué sévèrement le pape François sur Twitter. M. Strickland lui-même semble satisfait, ou du moins pas mécontent, de l’élection de M. Prevost.
Le pape Léon XIV aurait été élu grâce au soutien du bloc conservateur, en particulier du cardinal Dolan, bien qu’il ait également rencontré le cardinal Burke en préparation du conclave (un journaliste du Corriere della Sera l’a vu en personne à l’extérieur de l’appartement de Burke). Cette rencontre est toutefois restée relativement cachée au monde extérieur. Dans un premier temps, la rumeur a couru que le cardinal hondurien Maradiaga, criblé de scandales, faisait pression en faveur de sa candidature, mais Maradiaga a ensuite quitté les lieux plus tôt que prévu. On a prétendu qu’il était contrarié par le fait que des dizaines de cardinaux nommés par le pape François trahissaient le pape défunt.
Ensuite, on a prétendu que Prévost était soutenu à la fois par le moderniste radical Cupich et par le conservateur modéré Pierre. Cet étrange mélange de soutiens illustre parfaitement le profil mystérieux de Prévost.
Alors que Pierre est considéré comme un anti-traditionaliste depuis quelques années, il est en fait un conservateur qui s’est toujours opposé à la contraception, aux unions civiles pour les homosexuels, à l’implication du clergé dans la politique de gauche et à la nomination d’évêques libéraux. Il a commencé à exercer ses fonctions de nonce aux États-Unis en 2016 et n’a manifesté aucune hostilité à l’égard du traditionalisme pendant au moins cinq ans. Même après la publication de Traditionis Custodes, il n’a pas été le premier à l’appliquer avec sévérité et, à la fin de 2022, il a fini par agir principalement au nom de Rome.
Pierre et Cupich ont été des adversaires constants, notamment en ce qui concerne la nomination d’évêques américains, mais les deux prélats ont soutenu Prévost, peut-être parce qu’il s’agissait d’un ancien collègue avec lequel ils avaient tous deux bien travaillé.
Au cours de son mandat de préfet, Prévost s’est montré très discret et n’a accordé que peu d’interviews, ce qui n’a permis qu’une compréhension superficielle de l’homme. Il a donné l’impression d’être un partisan de la réforme dans la continuité. Contrairement à Fernandez (préfet de l’ancien Saint-Office), il a clairement travaillé selon la procédure établie et sur la base du consensus, en consultant les autres membres de l’assemblée plénière. François avait déjà nommé trois femmes comme membres du dicastère avant de nommer Prévost comme préfet. Ce dernier a quelque peu minimisé leur rôle.
En ce qui concerne une plus grande implication des laïcs dans la nomination des évêques, il s’est clairement opposé à une véritable démocratisation et a soutenu le rôle traditionnel des nonces, qui se contentent de consulter les fidèles avant de faire des recommandations. […]
Il a ouvertement rejeté les appels à l’ordination de femmes comme diacres et prêtres. En ce qui concerne le débat animé sur l’autorité doctrinale des conférences épiscopales nationales au cours de la phase finale du Synode sur la synodalité en 2024, il s’est exprimé de manière modérée et prudente :
Chaque conférence épiscopale doit avoir une certaine autorité pour dire : « Comment allons-nous comprendre cela [la doctrine] dans la réalité concrète dans laquelle nous vivons ? ». Cela ne veut pas dire que les conférences épiscopales vont rejeter l’autorité du pape en matière d’enseignement, mais qu’elles vont l’appliquer dans le contexte unique dans lequel elles vivent.
« La synodalité ne signifie pas qu’il va soudainement y avoir une manière entièrement démocratique, de type assemblée, d’exercer l’autorité dans l’Église.
« La primauté de Pierre et de ses successeurs, l’évêque de Rome, le pape, permet à l’Église de continuer à vivre la communion de manière très concrète.
« La synodalité peut avoir un impact important sur la manière dont nous vivons dans l’Église, mais elle n’enlève rien à ce que nous appelons la primauté.
Il a même tenté de dissiper la confusion concernant d’éventuelles propositions plus radicales (qu’il a rejetées), soulignant que le texte original parlait d’une « certaine forme d’autorité doctrinale » pour les conférences épiscopales plutôt que d’une forme plus absolue d’autorité doctrinale.
Ironiquement, il n’a pas cité en exemple les prières belges pour les relations homosexuelles ou les diverses applications d’Amoris Laetitia, mais le refus africain de mettre en œuvre Fiducia Supplicans (François et Fernandez voulaient tous deux que l’autorité sur le document soit laissée aux évêques africains individuels).
Il a interprété les enseignements de François sur les migrants de manière nuancée et a reconnu les problèmes causés par leur arrivée dans différents pays, tout en souhaitant rechercher une solution humaine. […]
Entre-temps, en 2011, il a également créé un compte Twitter qu’il a fini par utiliser avec parcimonie. […] Tout au long de 2011 et 2012, il a publié des messages positifs concernant sa rencontre avec le pape Benoît, l’archevêque Chaput et les questions liées à l’ordre des Augustins. Même après l’élection de François, son ton n’a pas changé en 2013 et 2014. Il a retweeté des messages du cardinal Scola, le second conservateur du conclave de 2013, il a retweeté des choses liées au pape émérite Benoît XVI et il a posté des messages concernant le cardinal Francis George. […] Ses tweets témoignent de préoccupations pro-vie constantes, avec un rejet de l’avortement, de l’euthanasie et de la contraception artificielle, y compris le mandat de l’administration Obama en matière de contraception. Il a également reposté des messages de la conférence épiscopale péruvienne critiquant l’idéologie du genre et réaffirmant que la famille se compose d’un père, d’une mère et de leurs enfants. Son seul tweet sur la controverse Amoris Laetitia a été un retweet d’un article du Catholic News Service qui citait le cardinal Schonbörn disant qu’Amoris Laetitia développait la doctrine de l’Église mais ne la changeait pas, une explication brièvement populaire parmi les popesplainers, les modérés et les conservateurs modérés.
Lorsqu’il publiait des articles pro-migrants ou antiracistes, c’était souvent de la part de prélats conservateurs tels que le cardinal DiNardo ou l’archevêque Gomez. Prévost n’a commencé à retweeter des choses de Cupich qu’à la fin de l’année 2016 et même, au début, de manière plutôt sporadique. Dans la période précédant l’élection présidentielle de 2016, il n’a reposté qu’un seul tweet critique concernant Trump, à l’été 2015, et il s’agissait d’un tweet du cardinal Dolan.
Il a retweeté un post d’EWTN, qui reprochait à Hillary Clinton d’avoir ignoré les électeurs pro-vie lors de sa défaite électorale. […] Il a également retweeté un message citant la critique du cardinal Muller à l’égard de l’idéologie du genre. […]
Dans l’ensemble, il semble clairement orthodoxe sur l’avortement, l’euthanasie, la contraception, les LGBT, la nomination des évêques et l’ordination des femmes, tandis qu’il est difficile de connaître avec certitude sa position sur la communion pour les divorcés remariés et le célibat des prêtres. Il semble également s’en tenir à une conception orthodoxe de la foi, qui est immuable, et des évêques, qui en sont de simples serviteurs. Sa position actuelle sur l’immigration semble également quelque peu modérée.