Extrait d’un portrait du cardinal Bustillo dressé par Le Monde :
[…] le cardinal veut connaître tous les milieux, politiques, médiatiques et économiques. « Rencontrer des patrons, je considère que c’est très important », nous confirme-t-il. Il s’appuie sur de jeunes élus qui lui organisent des « réunions d’appartement » avec des chefs d’entreprise. Le 10 octobre, à Ajaccio, lors de la visite de Patrick Martin, président du Medef, à ses adhérents corses, ces derniers ont la surprise de voir François Bustillo les rejoindre pour s’attabler avec eux à la terrasse d’un bar du cours Napoléon.
Le bar en question est aussi le QG de Mossa Palatina, un jeune mouvement politique nationaliste d’extrême droite violemment hostile à l’immigration et soucieux de préserver « l’identité chrétienne » de la Corse. François Bustillo a délégué à son « numéro deux », l’abbé Constant, la gestion délicate de cette jeunesse qui repeuple les églises de la ville. A Bastia, c’est sur Pierre-Jean Franceschi qu’il s’appuie pour le guider dans les paroisses du nord de l’île. Ce laïc très populaire est l’un des seuls à savoir dire des messes d’enterrement en langue corse et, parce qu’il a été aumônier à la prison de Borgo, est au fait de toutes les histoires de voyous. « Pierre-Jean » suit le cardinal à Rome comme à Lourdes, y compris après sa garde à vue, en avril, pour l’emploi non déclaré d’une « femme à tout faire » dans sa propriété de Penta-di-Casinca (Haute-Corse), qui fait office de maison de retraite.
Pas toujours facile, en Corse, quand on veut se faire adopter, de prendre des distances ou de refuser des sollicitations. Le trio est monté plusieurs fois à Venzolasca (Haute-Corse), le village de l’abbé Constant. Le cardinal y a mangé avec son maire, Balthazar Federici, frère du chef des « bergers braqueurs » – détenu depuis 2008 après un sanglant règlement de comptes à Marseille – qui, de leur prison, continuent de tirer des ficelles. « C’est alors le maire que je rencontre », rétorque le cardinal. Même chose pour Michel Tomi, un parrain à la tête d’un empire de jeux en Afrique, et que le cardinal est allé saluer cet été, dans son fauteuil roulant, à Tasso (Corse-du-Sud). « Je suis monté pour des confirmations. D’une manière générale, je n’ai pas l’habitude de réclamer leurs CV aux personnes qu’on me présente avant de les saluer. »
« Mon peuple »
Sa manière de dire « mon peuple » enchante la Corse, à commencer par les nationalistes. « A sa messe d’ordination, il a parlé corse deux longues minutes, alors qu’il venait d’arriver. Il a compris très vite comment fonctionne notre société », souligne l’ancien dirigeant indépendantiste Jean-Guy Talamoni, qui enseigne aujourd’hui l’histoire des idées et de la littérature à l’université de Corte (Haute-Corse). Immédiatement séduit par ce prélat « latin », il discute souvent avec lui de l’influence des Lumières italiennes sur l’île. La petite phrase lâchée en janvier par François Bustillo au site Corse Net Infos, en plein bras de fer institutionnel avec Paris, n’est pas passée inaperçue : « La Corse doit retrouver son autonomie, sa liberté et sa capacité à gérer sa vie politique. » Seuls les derniers « antinatios » de l’île ont bondi, tel l’ancien adjoint aux finances de la mairie de Bastia et agrégé d’histoire Ange Rovere, qui s’est fendu d’une lettre ouverte au cardinal pour lui reprocher « de ne pas rassembler tous les Corses avec de telles prises de position partisanes ». Sans réponse.
« J’aime beaucoup la politique. J’ai toujours aimé, confesse le cardinal, mais je vous assure, je ne suis pas doué pour le pouvoir. » Invité au Laurent, il a fait connaissance avec François Hollande. Il a déjà rencontré Laurent Wauquiez lors des « rencontres franciscaines » qu’il organisait autour de figures politiques dans son diocèse de Narbonne (Aude). Est venu rencontrer Raphaël Glucksmann cet été dans le cap Corse. Vient de débattre à l’université de Corte avec Philippe Guglielmi, l’ancien grand maître du Grand Orient de France, et Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande Mosquée de Paris. En décembre 2023, il a été reçu par Emmanuel Macron pour un discret tête-à-tête. A l’Elysée, on se souvient qu’il avait fallu mettre une voiture à disposition du cardinal pour qu’il puisse rejoindre le boulevard de Montmorency où Vincent Bolloré l’attendait « pour un café », convient François Bustillo. Qui reste par ailleurs au mieux avec la famille Saadé, propriétaire de l’incontournable Corse-Matin, euphorique, comme toute l’île, par l’invitation lancée par « son » cardinal.