Suite à l’article de Christophe Geffroy dans La Nef, dans lequel il s’étonnait de la persécution subie par les Missionnaires de la Miséricorde divine, article que nous avions commenté ici, Jean-Pierre Maugendre écrit cette réponse sur le site de Renaissance catholique :
Ainsi donc après deux années de patience, et bien des palinodies des autorités ecclésiastiques, six séminaristes de la Société des Missionnaires de la Miséricorde Divine (SMMD) seront, enfin, ordonnés diacres par Mgr Touvet, évêque-auxiliaire de Fréjus-Toulon le 1er décembre prochain selon le rituel d’ordination réformé mais au cours d’une messe célébrée selon la forme traditionnelle du rite romain. Directeur du mensuel catholique La Nef, Christophe Geffroy se réjouit de cette nouvelle dans son éditorial de novembre mais il avoue son incompréhension devant ce qu’il qualifie d’« étrange logique ». En effet il établit une comparaison entre les difficultés qui ont été faites aux Missionnaires pour leurs ordinations alors qu’il juge leur communauté exemplaire car » il n’y a chez eux aucun exclusivisme liturgique puisqu’ils célèbrent la messe de Paul VI à l’occasion » et la bienveillance pontificale dont bénéficierait la Fraternité Saint Pie X (FSSPX). « N’est-il pas quelque peu cynique de sévir contre ceux qui se montrent les plus loyaux comme s’il fallait instaurer un rapport de force pour être pris en considération ? » demande le Directeur de la Nef.
Rappelons quelques faits relatifs à l’histoire de la messe et de la résistance traditionaliste qui a permis, depuis un demi-siècle, la survie du rite traditionnel.
L’Histoire de la Messe interdite
Dès son institution le rite réformé a eu vocation à prendre la place du rite ancien qui devait disparaître. Ainsi la Documentation catholique du 4 juillet 1971 notait, commentant une notification de la Congrégation pour le culte divin : « En France, le Nouvel Ordo Missae est obligatoire depuis le 1 janvier 1970 » et donc la célébration de la messe traditionnelle interdite. Ce que confirmera Paul VI lors du consistoire du 24 mai 1976 : « L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles. (…) Le Nouvel ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien ». Les prêtres et les fidèles qui ont continué, après 1970, à célébrer ou à assister à la messe selon le rite traditionnel et dont Benoit XVI a vanté dans son motu proprio du 7 juillet 2007 « l’amour et l’affection » pour « les formes liturgiques précédentes » l’ont fait à l’encontre de la volonté clairement affichée du pape.
Après le décret, encore très restrictif, de la Congrégation du culte divin du 3 octobre 1984 Quatuor abhinc annos, (destiné, aux dires du cardinal Lustiger, à la Chine !) le motu proprio de Jean-Paul II Ecclesia Dei afflicta du 2 juillet 1988 a opéré une première étape significative du processus de libération de la messe. Le pape y demandait aux évêques un « accueil large et généreux » des fidèles attachés aux « traditions spirituelles et liturgiques de l’Eglise ». Trois jours plus tôt, le 30 juin, NNSS Lefebvre et de Castro-Mayer, évêque émérite de Campos au Brésil, avaient procédé au sacre épiscopal, sans mandat pontifical, de quatre évêques pour la FSSPX. Il faudrait être bien naïf pour ne pas voir dans cette soudaine libéralité romaine les conséquences d’un « rapport de force » devenu défavorable à Rome par la pérennité, humainement assurée, de la FSSPX grâce à la présence, en son sein, d’évêques pouvant procéder aux nécessaires ordinations sacerdotales.
On notera, en complément, que les créations des communautés attachées à la messe traditionnelle qui sont advenues dans le cadre de l’application du motu proprio Ecclesia Dei ont généralement été accordées en référence au protocole d’accord signé entre le cardinal Ratzinger et Mgr Lefebvre le 5 mai 1988 et dénoncé par celui-ci dès le lendemain. Or, ce protocole prévoyait la consécration d’un évêque pour la Fraternité Saint Pie X. Evêque que, presque quarante années après les faits, et faute, semble-t-il, d’un rapport de forces favorable, les communautés dites ex Ecclesia Dei attendent toujours.
Le motu proprio Traditionis custodes publié le 16 juillet 2021 par le pape François renoue désormais avec la volonté d’éradication du rite romain traditionnel voulue dès l’origine par les initiateurs de la réforme liturgique. Dans ce nouveau contexte, la position des Missionnaires de la Miséricorde ne doit pas sa nature précaire à leur esprit, bon ou mauvais, à leur enthousiasme ou à leurs réticences à l’égard du magistère postconciliaire, mais au fait qu’à la différence de la majorité des communautés ex Ecclesia Dei, cette association de prêtres n’est pas de droit pontifical mais de droit diocésain. Et cela, dans un diocèse dont l’évêque titulaire, Mgr Rey, a été mis sous contrôle d’un auxiliaire, Mgr Touvet, chargé d’y réduire le poids des communautés traditionnelles. Au fait, donc, que le rapport de force lui soit devenu défavorable.
Qui est responsable de la persécution de la messe traditionnelle ?
Dans sa méditation sur le sort fait par les autorités vaticanes aux prêtres et aux fidèles attachés à la messe traditionnelle, Christophe Geffroy en vient, en outre, à attribuer une part éminente de la responsabilité de leur persécution à Mgr Lefebvre, déplorant que celui-ci, ayant fait de la messe un « combat violent et polémique », aurait rendu ainsi impossible au pape, sans donner l’impression de capituler de « laisser faire l’expérience de la Tradition ». Il nous invite dès lors à tourner le dos à son exemple et à « abandonner toute idéologie » sur ces questions.
Historiquement, on fera amicalement observer à Christophe Geffroy que ce qu’il dit est complètement faux. Car Mgr Lefebvre n’a jamais fait le choix volontaire de faire de la messe un étendard. Rappelons la chronologie des événements. En 1970, au moment de l’interdiction de la célébration de la messe traditionnelle, Mgr Lefebvre est peu connu du grand public. Il travaille alors, en toute discrétion, à la fondation de la FSSPX, qui sera érigée canoniquement le 1 novembre par Mgr Charrière, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg. Parti pris de réserve qui incitera Mgr Lefebvre à ne pas collaborer au numéro spécial de la revue Itinéraires : Le Saint Sacrifice de la Messe (sept-oct 1970) qui marquait la décision de prêtres (père Calmel (o.p.), père Guérard des Lauriers (o.p.), abbé Dulac) et de laïcs (Madiran) de rester fidèles à la messe romaine traditionnelle. Mgr Lefebvre s’était dans le même temps, gardé de donner suite aux objurgations de l’abbé de Nantes, qui l’incitait à user de sa qualité de membre de l’Eglise enseignante pour mettre en cause publiquement les orientations du pontificat de Paul VI (« Frappe à la tête ! »). Il entendait bien plutôt obtenir qu’on le laisse faire, paisiblement, « l’expérience de la Tradition ».
Or, cette prudence ne détournera pas les évêques de France de refuser d’emblée de donner le moindre ministère aux prêtres qui seraient formés par l’ancien archevêque de Tulle dans un séminaire qualifié de « sauvage » par le père Marcus, alors supérieur du séminaire des Carmes à Paris, lors d’une réunion de prêtres. Elle n’empêchera pas les autorités romaines, d’entamer, en novembre 1974 avec une visite apostolique hostile, le processus qui débouchera en mai 1975 sur le retrait de l’approbation canonique d’Ecône et donc l’interdiction d’ordonner des prêtres, par Mgr Mamie, successeur de Mgr Charrière, puis en juin 1976 sur la suspense a divinis du prélat qui avait passé outre à l’interdiction des ordinations. La démonstration reste dès lors à faire que l’acceptation de la réforme liturgique aurait « peut-être » permis de laisser faire l’expérience de la Tradition. La réalité de l’observation de l’enchaînement des faits manifeste plutôt que c’est grâce à une résistance ferme et argumentée, reposant principalement sur une société de prêtres non soumise aux dérives modernistes romaines – la Fraternité Saint Pie X- face à un abus de pouvoir pontifical tendant à couper l’Eglise de sa Tradition liturgique et doctrinale que, peu à peu, a été reconquise la liberté de célébration de la messe traditionnelle, aujourd’hui de nouveau mise en cause.
Où est l’idéologie ?
Doctrinalement, on se permettra d’observer que c’est une marotte du pape François, devenue par voie de conséquence un tic chez ses laudateurs, que de dénoncer tout attachement un peu ferme à la doctrine comme une dérive de la foi vers « l’idéologie ». Or, ce ne sont pas les traditionalistes qui ont inventé, par raideur intellectuelle et froideur d’âme le fait que dans l’Eglise catholique, les dogmes soient inchangeables, que les papes eux-mêmes leur soient soumis, et que la liturgie qui les exprime et les met en pratique ne peut donc être touchée et réformée que d’une main tremblante.
Le malheur des temps, et les divisions qui leurs sont inhérentes ont en revanche fait apparaitre parmi eux, depuis l’avènement du pape François, deux écoles, avec des nuances et des variantes qui cohabitent ou s’affrontent selon les cas.
Certains affirment en effet qu’il est indispensable de faire des concessions aussi bien pratiques que doctrinales avec les réformes issues de Vatican II. L’herméneutique de continuité n’est plus, pour eux, une démonstration à faire sur chaque sujet litigieux, une réinterprétation à proposer, comme avait tenté de le faire par exemple Benoit XVI sur le Subsistit in de Lumen Gentium (Que voulait dire la formulation selon laquelle l’Eglise de Dieu « subsistait » dans l’Eglise catholique ? Comment l’interpréter sans remettre en cause le dogme selon lequel l’Eglise de Dieu « est » l’Eglise catholique ?), mais un super dogme d’où devaient découler la réinterprétation de la Tradition de l’Eglise à la lumière de Vatican II et l’obéissance aveugle à tous les commandements que la hiérarchie en place édicte en son nom. Christophe Geffroy appartient sans conteste à cette école.
Le problème est que cette stratégie rend difficile toute analyse critique de certains textes du Concile Vatican II et de certaines innovations postconciliaires, comme la réunion d’Assise, la bénédiction des couples homosexuels, l’ouverture progressive au sacerdoce des femmes, l’anarchie doctrinale ou la synodalisation de la liturgie. Elle conduit donc à mettre les questions épineuses sous le tapis, par refus de « dialectiser les échanges », tout débat doctrinal risquant d’être qualifié de « querelle idéologique ». La soumission à la volonté du pape devient pour ses tenants « l’ultima ratio », exercice extrêmement délicat quand les actes du pape ne paraissent pas d’une logique cartésienne implacable, celui-ci, « en même temps », promulguant Traditionis custodes et confortant la Fraternité Saint Pierre et l’Institut du Christ-Roi dans leurs entreprises. D’autres, parmi lesquels se range l’auteur de ces lignes, estiment que l’imbroglio dans lequel se trouve l’Eglise exige une grande prudence et circonspection dans l’acceptation des réformes issues du Concile Vatican II. Cela d’autant plus que l’enseignement post-conciliaire évolue à une vitesse vertigineuse. Nous en sommes ainsi, en moins de cinquante ans, à la troisième version de la traduction du Pater en français et également à la troisième rédaction du paragraphe du Catéchisme de l’Eglise Catholique sur la peine de mort.
La tragédie de l’Eglise
Au fond, le drame de Christophe Geffroy est qu’il arrive trop tard dans un monde trop vieux. Il était fait pour être zouave pontifical, courageux et brave soldat au service de Pie IX, animé par la certitude chevillée au corps que, comme il l’écrit, « l’obéissance dans l’Eglise est toujours porteuse de fruits ». Belle maxime qui claque comme un étendard mais qui fait l’impasse sur le fait que l’obéissance « perinde ac cadaver » est parfois un refuge contre les responsabilités et les décisions personnelles, un oubli qu’elle est une vertu virile associée à la vertu cardinale de justice, et non une servilité.
Il n’est en effet pas certain que Mgr Touvet soit lui-même toujours enthousiasmé par toutes les déclarations du Saint-Père et les directives qui lui sont transmises par Mgr Migliore, nonce à Paris. Son drame est de les appliquer par un sens dévoyé de l’obéissance qui fait du caporalisme une vertu, et néglige le fait que le salut des âmes soit le critère ultime du discernement. Le sort réservé aux Missionnaires de la Miséricorde Divine apparaît, dans ce contexte, comme le révélateur de la tragédie de l’Eglise. Il témoigne d’abord que si idéologie il y a, elle est l’apanage des fonctionnaires ecclésiastiques qui président à ses destinées et qui persistent, contre vents et marées, à appliquer des recettes qui depuis soixante années ont fait la preuve de leur inefficacité alors que chaque jour sont plus évidents les fruits, visibles, de l’utilisation des pédagogies traditionnelles de la foi.