Le cardinal Walter Brandmüller, Président émérite du Comité pontifical des sciences historiques, a publié dans la revue Cardinalis une étude sur le célibat des prêtres. En voici un extrait :
Dans le débat sur le célibat des prêtres, qui dure depuis environ deux siècles, les arguments avancés jusqu’à présent concernent presque exclusivement l’utilité ou la faisabilité du mode de vie célibataire. Il s’agit notamment de la pénurie de prêtres, dramatiquement invoquée, qui ne peut être résolue que par un choix « courageux » en faveur de la possibilité pour les prêtres de se marier. On a toujours répondu à de tels arguments par autant d’arguments contraires. Il est tout à fait superflu de les répéter. En fait, rien de tout cela n’est pertinent.
En effet, l’Église n’est pas une entreprise sociale visant à améliorer le monde, elle n’est pas une entité sociale qui peut être mesurée selon des paramètres humains. Elle est – comme l’affirme saint Paul – le corps mystique du Christ. Cela ne peut être compris avec des catégories purement humaines. Par conséquent, ce qui est vraiment pertinent, c’est ce que Jésus-Christ lui-même dit à ce sujet.
Les évangiles de Matthieu, Marc et Luc rapportent les paroles de Jésus à cet égard. Dans Matthieu (19:29), nous lisons :
« Quiconque quittera sa maison, ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, ses enfants ou ses champs, à cause de mon nom, recevra le centuple et héritera de la vie éternelle ».
De même, Marc (10, 29 s.) rapporte :
« En vérité, je vous le dis, il n’est personne qui, ayant quitté sa maison, ses frères, ses sœurs, sa mère, son père, ses enfants ou ses champs, à cause de moi et à cause de l’Évangile, ne reçoive (…) cent fois plus ».
Et Luc (18,29s.) est encore plus explicite :
« Je vous le dis en vérité, il n’y a personne qui ait quitté sa maison, sa femme, ses frères, ses parents ou ses enfants pour le royaume de Dieu, qui ne reçoive beaucoup plus dans le temps présent et la vie éternelle dans le temps à venir ».
Jésus n’adresse pas ces paroles à la foule, mais à ceux qu’il a l’intention d’envoyer pour annoncer son Évangile et la venue du Royaume de Dieu. Pour accomplir une telle mission, il faut donc se libérer de tous les liens terrestres et humains. Comme cette séparation radicale implique la perte de ce qui est naturel, Jésus leur promet une abondante « compensation ».
Certains objectent que ce “tout quitter” n’a valu que pour la durée du voyage effectué pour annoncer l’Évangile et que les disciples sont ensuite retournés dans leurs familles. Rien dans les évangiles ne l’indique. D’ailleurs, les textes évangéliques parlent de quelque chose de définitif en évoquant la vie éternelle.
Les évangiles ayant été composés entre 40 et 70 après J.-C., leurs auteurs se seraient mal vus s’ils avaient mis dans la bouche de Jésus des mots qui ne correspondaient pas à leur propre vie. C’est pourquoi Jésus exige de ceux qu’il associe à sa mission qu’ils s’approprient son mode de vie.
Mais que penser lorsque Paul, dans la première lettre aux Corinthiens (9,1 s.), écrit :
« Ne suis-je pas libre ? Ne suis-je pas apôtre ? (…) N’avons-nous pas le droit de manger et de boire ? N’avons-nous pas le droit d’emmener avec nous une femme croyante, comme le font les autres apôtres et frères du Seigneur et Céphas ? Ou bien n’avons-nous pas, moi et Barnabé, le droit de ne pas travailler ? »
Cela n’implique-t-il pas que les apôtres étaient en route accompagnés de leurs femmes ? Il faut cependant faire attention. La question rhétorique de l’apôtre concerne le droit de celui qui annonce l’Évangile de vivre aux dépens de la communauté, et cela vaut aussi pour ceux qui l’accompagnent. La question est de savoir qui l’accompagne.
Le terme grec nécessite une explication. Adelphe signifie sœur. Ici, il s’agit d’une sœur dans la foi, d’une chrétienne, tandis que gyne, en général, peut signifier femme, vierge, épouse et aussi fiancée : bref, un être féminin. Vouloir prouver par-là que les apôtres étaient accompagnés de leurs femmes n’est pas possible. Si c’était le cas, cela n’expliquerait pas pourquoi adelphe, c’est-à-dire sœur, chrétienne, est expressément mentionnée. Et en rejoignant le cercle des disciples de Jésus, l’apôtre avait abandonné sa femme.
Pour rendre justice au texte, il convient plutôt de rappeler le chapitre 8 de l’Évangile de Luc, où il est écrit :
« Il y avait avec lui (Jésus) les Douze et quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et d’infirmités : Marie, appelée Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons ; Jeanne, femme de Cusa, intendant d’Hérode ; Suzanne et beaucoup d’autres, qui les servaient de leurs biens ».
On peut donc supposer que, par la suite, les apôtres ont également suivi l’exemple de Jésus en la matière.
En outre, il convient de rappeler la recommandation insistante de l’apôtre Paul de vivre le célibat ou la continence dans le mariage (1 Co 7, 29 ss.) :
« Je vous le dis, frères : le temps est court ; désormais, que ceux qui ont des femmes vivent comme s’ils n’en avaient pas » et « ceux qui ne sont pas mariés s’occupent des choses du Seigneur, de la manière de plaire au Seigneur ; ceux qui sont mariés, au contraire, s’occupent des choses du monde, de la manière de plaire à leurs femmes, et ils sont divisés ! ».
Il est évident que ces paroles de Paul s’adressent tout particulièrement aux évêques et aux prêtres. D’ailleurs, il a lui-même vécu un tel idéal. Pour prouver que Paul ou l’Église de l’époque apostolique ne connaissaient pas le célibat, beaucoup citent également les lettres à Timothée et à Tite, dites lettres pastorales. En fait, la première épître à Timothée (3:2) mentionne l’évêque marié. Souvent, le texte original grec est traduit par « que l’évêque soit un homme et une femme », ce qui est compris comme un précepte.
Toutefois, une modeste connaissance du grec suffit pour traduire correctement : « Il faut donc que l’évêque soit irréprochable, mari d’une seule femme (mari d’une femme), sobre, prudent… ». Cette indication vise à empêcher qu’un homme soit ordonné évêque-prêtre si, après la mort de sa femme, il s’est remarié (bigamie subséquente). Outre le fait que le remariage d’un veuf était généralement mal vu, dans le domaine ecclésial, on considérait également qu’un tel homme ne pouvait garantir qu’il serait en mesure d’observer la continence attendue d’un évêque ou d’un prêtre.
À l’origine, le célibat consistait donc pour le prêtre ou l’évêque ordonné à poursuivre sa vie de famille, mais pas la communion matrimoniale. C’est pourquoi les hommes consacrés étaient de préférence des personnes âgées. Les auteurs de l’Église, comme Clément d’Alexandrie et le Nord-Africain Tertullien, qui vivait vers l’an 200, témoignent qu’il s’agissait d’une tradition ancienne et sacrée remontant aux apôtres. En outre, l’appréciation de la continence par les chrétiens en général est attestée par un certain nombre de récits édifiants des apôtres, notamment les Actes apocryphes des apôtres, composés au IIe siècle et largement diffusés.
Puis, au IIIe siècle, les preuves littéraires de la continence des clercs sont devenues plus nombreuses et plus claires, surtout en Occident. Ainsi, par exemple, un paragraphe de ce que l’on appelle la Didascalie syriaque indique que l’évêque « doit être examiné au moment où il reçoit l’imposition des mains, (…) s’il est chaste (…) et s’il a élevé ses fils dans la crainte de Dieu ». Le grand théologien Origène d’Alexandrie (†253/250) connaît également le célibat chaste obligatoire, qu’il explique et approfondit théologiquement dans plusieurs de ses écrits. Bien entendu, d’autres témoignages pourraient être cités, pour lesquels l’espace manque ici. […]