356 évêques et laïcs ont voté samedi au Vatican dans le cadre du synode un document de 53 pages, accessible pour le moment en italien, faisant des propositions donnant plus de responsabilités aux laïcs et ouvrant à une décentralisation. Ces mesures ont été acceptées par le pape François. Dans Le Figaro, Jean-Marie Guénois décrypte ces nouveautés :
Le oui de l’Église catholique à la possibilité d’ordonner un jour des femmes diacres a été l’article le plus mal voté, samedi, au Vatican, dans le document final du synode sur la nouvelle gouvernance de l’Église. Il a cependant dépassé la majorité des deux tiers, nécessaire, soit 237 pour et 97 contre. Cet article invite à une pleine reconnaissance du rôle des femmes dans l’Église catholique :
« Cette Assemblée appelle à la pleine mise en œuvre de toutes les possibilités déjà prévues par la législation actuelle concernant le rôle des femmes, en particulier dans les endroits où ces possibilités ne sont pas encore exploitées. Il n’y a aucune raison d’empêcher les femmes d’assumer des rôles de leadership, (« ruoli di guida », « rôle de guide » dans la version de référence en italien) dans l’Église : ce qui vient de l’Esprit Saint ne peut être arrêté. La question de l’accès des femmes au ministère diaconal reste également ouverte. Un discernement plus approfondi est nécessaire à cet égard. »
Des femmes pourront désormais participer à la formation dans les séminaires et au discernement des candidats au sacerdoce.
Deuxième nouveauté de ce synode, ce texte voté samedi va être promulgué, tel que, par le pape François, sans correction de sa part. Il devient instantanément le texte de référence de ce synode.
L’usage voulait en effet que le pape rédigeât une « exhortation apostolique » dans les mois qui suivait la clôture de tous les synodes. Ce document pontifical s’installait alors comme la synthèse de référence, digérée par le pape, et qu’il inscrivait dans son magistère. Il pouvait abandonner des mesures qui avaient pourtant été votées par le synode. Il le fit en février 2020 en laissant tomber dans son exhortation post-synodale, Querida Amazonia, une proposition ouvrant l’ordination d’hommes mariés – pourtant votée – par le synode sur l’Amazonie en octobre 2019.
Samedi soir, dans son discours de clôture devant les membres du synode, le pape François a ainsi justifié sa décision :
« Ce que nous avons approuvé est suffisant, le document contient déjà des indications très concrètes qui peuvent servir de guide pour la mission des Églises […], c’est pourquoi je le mets immédiatement à la disposition de tous ».
Il a expliqué vouloir « reconnaître ainsi la valeur du chemin synodal accompli », sans éluder pour autant « des décisions à prendre à la lumière du chemin synodal ».
François donne l’exemple d’une Église plus démocratique au rebours de la centralisation et d’un fonctionnement hiérarchique pyramidal. Néanmoins « le document voté n’est pas normatif ».
Reste que ce processus ecclésial ouvert où chacun a désormais la parole, implique aussi, troisième nouveauté, un contrôle et des « évaluations » à tous les étages, entendez le contrôle par la base de ceux qui exercent des responsabilités : curés, évêques, nonces apostoliques, conférence des évêques, dicastères romains.
« La transparence et la responsabilité ne devraient pas être exigées uniquement en cas d’abus sexuels, financiers ou autres dit une proposition. Elles concernent également le style de vie des pasteurs, les plans pastoraux, les méthodes d’évangélisation et la manière dont l’Église respecte la dignité de la personne humaine, par exemple en ce qui concerne les conditions de travail au sein de ses institutions ».
Même la diffusion de la « synodalité » dans l’Église va être soumise à évaluation, comme dans les entreprises pour en vérifier « les progrès réalisés » et contrôler les « performances de tous les ministères et missions au sein de l’Église » !
Si on commence à contrôler les performances de nos diocèses, il va y avoir des occasions de s’amuser… Nous allons demander des comptes sur la gestion des finances, sur les abonnements obligatoires à La Croix, sur l’absence de vocations, sur les prêtres défroqués…
Des « laïcs et des laïques », quatrième nouveauté, mis vraiment à l’honneur avec des « ministères laïcs » qui pourraient être créés, selon « la créativité » de chacun en fonction des besoins pastoraux locaux. De même un « ministère de l’écoute et de l’accompagnement » pourrait être inventé, confié à des laïcs pour être à disposition de tous ceux qui auraient besoin d’être entendus.
Des laïcs, enfin, qui pourraient célébrer « des baptêmes et des mariages ». En revanche pour la question de la « prédication » des laïcs, donc des femmes, la possibilité de prononcer des homélies n’a pas recueilli suffisamment de soutiens pour être formalisée comme telle dans le document, mais une étude à son sujet va être lancée par le Vatican.
Les évêques se trouvent d’une certaine façon désacralisés, non pas dans leur responsabilité spirituelle mais quant à leur faillibilité humaine.
« Il est important d’aider les fidèles à ne pas cultiver des attentes excessives et irréalistes à l’égard de l’évêque, en se rappelant qu’il est lui aussi un frère fragile, exposé à la tentation, qui a besoin d’aide comme tout le monde ». « Une vision idéalisée de l’évêque ne facilite pas son délicat ministère, qui est au contraire soutenu par la participation de tout le peuple de Dieu à la mission dans une Église véritablement synodale ».
Enfin,
Cinquième nouveauté, la mise en place de la subsidiarité entre le Vatican et les Églises locales. Ce qui pourrait bousculer à terme, l’équilibre actuel de l’Église catholique, très centralisée au Saint-Siège où beaucoup de choses sont décidées.
Cette idée qui vient du Concile Vatican II a été réactivée par les sept « Assemblées ecclésiales continentales » qui se sont tenues au début de l’année 2023 pour préparer ce synode et qui pourraient devenir un nouveau schéma d’organisation et de niveaux de décision. Le texte adopté samedi stipule :
« Leur statut théologique et canonique, ainsi que celui des groupements continentaux de Conférences épiscopales, devra être mieux clarifié afin de pouvoir exploiter leur potentiel pour le développement ultérieur d’une Église synodale. Il revient en particulier aux Présidents des groupements continentaux des Conférences épiscopales d’encourager et de soutenir la poursuite de cette expérience. »
Une autre proposition du texte va aussi dans ce sens qui rendrait le Vatican dépendant et non plus dominant vis-à-vis des conférences épiscopales. Il est demandé qu’aucun texte romain important ne puisse être adopté sans que les conférences épiscopales aient été consultées :
« Avant de publier d’importants documents normatifs, les Dicastères sont invités à entamer une consultation avec les Conférences épiscopales. »
Enfin, on apprend la création d’une liturgie (encore !) adaptée à la synodalité.
Ce projet va donner lieu à un groupe d’études pour « aider toutes les communautés chrétiennes, dans la pluriformité de leurs cultures et de leurs traditions, à adopter des styles de célébration qui manifestent le visage d’une Église synodale ». Interrogés sur ce point, samedi soir, lors de la conférence de presse, les responsables du synode sont toutefois restés très vagues.
Ce décentrement du Vatican pourrait cependant conduire à un affaiblissement de l’autorité actuelle du Saint-Siège même si le document assure :
«Dans une Église synodale, la compétence décisionnelle de l’évêque, du Collège des évêques et de l’évêque de Rome est inaliénable, car elle s’enracine dans la structure hiérarchique de l’Église établie par le Christ au service de l’unité et du respect de la légitime diversité. Cependant, elle n’est pas inconditionnelle. »
Le texte observe :
« l”évêque de Rome, principe et fondement de l’unité de l’Église, est le garant de la synodalité : c’est à lui qu’il revient de convoquer l’Église en Synode, de le présider et d’en confirmer les résultats. En tant que successeur de Pierre, il a un rôle unique dans la sauvegarde du dépôt de la foi et de la morale, en veillant à ce que les processus synodaux soient fructueux pour l’unité et le témoignage.»
Et pourtant jamais le pouvoir du pape n’avait été aussi central voire dictatorial…