Dans le Chardonnet n°379 (juillet-août 2022), l’abbé François-Marie Chautard, FSSPX, évoque cette période estivale et le repos qui va avec nous invitant à rester tourner vers Dieu :
C’est très facile. Il n’y a rien à faire. Tout est là, dans un abandon rembourré et confortable où l’on se satisfait de se laisser aller, de veiller doucement à ne pas se fatiguer, tout en se berçant de velléités d’activités systématiquement conjuguées au futur. Au soleil et au bord de l’eau, sur le seuil d’un effort entrevu mais négligemment repoussé sans se hâter ni s’énerver.
Bien moins remuant que la colère, bien moins fatigant que la luxure, la paresse est un défaut moelleux, bon marché, et peu risqué, apparemment. De quoi contenter bon nombre de fils d’Adam qui n’en demandent pas tant. Surtout pendant les congés payés.
L’Écriture Sainte a délicieusement peint ce travers si humain :
« Le paresseux dit : Il y a un lion dehors ! Je serai tué au milieu des places. »
« La porte tourne sur ses gonds, ainsi le paresseux sur sa couche.
Le paresseux met sa main dans le plat, et il a de la peine à la porter à la bouche.
Le paresseux est plus sage à ses yeux que sept conseillers prudents. »
« Va vers la fourmi ô paresseux ; considère ses voies et deviens sage. Elle qui n’a ni chef, ni inspecteur de travaux, ni souverain, elle amasse en été de quoi manger, elle recueille pendant la moisson sa nourriture. Jusques à quand, ô paresseux, seras-tu couché, quand te lèveras-tu de ton sommeil ? Un peu de sommeil, un peu d’assoupissement, un peu croiser les mains sur son lit. Et ta pauvreté viendra comme un voyageur, et ta disette comme un homme en armes. »
Éloge de la paresse
Mais peut-être que le paresseux qui sommeille en tout lecteur « qui s’abandonne à la douce paresse de la lecture » (Talleyrand) trouve le propos quelque peu sévère.
Aussi faut-il avant tout donner un bref et reposant éloge de la paresse. Imaginons un instant que Napoléon eût été paresseux et le monde n’eût pas été fatigué de ses conquêtes ! Et si le démon était indolent, ne serions-nous pas toujours dans un jardin de délices à cueillir les fruits savoureux qui s’offraient aux mains de nos premiers parents ? Les Italiens, avec leur dolce farniente, ne savent-ils pas mieux vivre que les Américains tout affairés ? Divine paresse. Comment peut-on en dire tant de mal alors qu’elle est à la source de tant d’inventions, de progrès, de délicatesse ? Ne soyons pas injustes envers un défaut si humain ! La paresse conduirait le lecteur à clore ici la lecture et la réflexion si l’auteur de ces lignes avait fait l’effort d’abréger son propos au lieu de laisser sa plume couler.
Le vrai visage de la paresse
Ce visage est triste, blasé, désabusé, accablé, désespéré. Le paresseux est triste de l’effort à produire. L’effort l’ennuie, le rebute.
L’effort physique, sans doute. Le réveille-matin se fait entendre. Le paresseux, d’un bras malhabile, l’éteint et rejoint l’inaction à peine quittée. Sa mère l’appelle pour un service de rien du tout. Pétrifié, le paresseux fait le mort.
L’effort moral. Il doit passer un coup de fil un peu délicat, reprendre un fils, ranger la maison, prendre des nouvelles de sa belle-mère. La lumière jaillit dans son esprit ; un mot magique s’empare de son âme, un mantra qu’il aime à répéter en se persuadant qu’il y croie lui-même : demain !
L’effort spirituel. Une page de lecture spirituelle l’accable. Il peine à l’achever. C’est trop dur et Dieu n’en demande pas tant. Une dizaine de chapelet lui semble une montagne. Le chapelet ? C’est l’Everest. Un coup de fil d’une demi-heure à un bon ami est tellement plus facile.
La tristesse et la peur. Car le paresseux qui se réfugie derrière son écran est un grand peureux. Tout savoir sur l’astronomie en 10 leçons ne l’effraie pas, quoiqu’il y ait quelque chose d’effrayant à enfermer l’univers dans un si petit volume. Mais mettre de l’ordre dans ses papiers, répondre à ses mails… Quant à faire une retraite de cinq jours ! Une torpeur s’empare de lui à l’idée de remonter la pente. Au-delà de la paresse de la couleuvre, il y a celle de la cigale : elle s’active mais ne fait pas son devoir ; elle est d’autant plus excitée qu’elle ne fait que ce que lui plaît (même au prix de sacrifices et de renoncements).
L’activisme est une issue de secours à destination des paresseux. Donner et se donner l’illusion qu’on ne l’est pas parce qu’on s’affaire à tout autre chose qu’on devrait faire. « Qu’est-ce qu’un paresseux ? se demande T. Bernard. C’est celui qui a le courage de ne pas faire semblant de travailler. »
Prier au lieu d’étudier, étudier au lieu de passer la tondeuse, aider sa jeune voisine au lieu d’écouter sa vieille tante qui vous met de la grisaille dans le cœur. La paresse est une fuite et la marque d’une faiblesse, d’une impuissance.
Les filles de la paresse
Les vices capitaux, dont fait glorieusement partie la paresse, sont des parents prospères. La paresse ne compte plus ses enfants, elle en a tellement ! L’oisiveté n’est-elle pas la mère de tous les vices ?
Inutile d’accuser leur diable de père, elle reconnaît son propre visage en eux.
Le mensonge né de la paresse en porte la marque. C’est un mensonge craintif qui masque les vrais motifs de l’inaction : « Je n’ai pas fait ce travail, je n’ai pas eu le temps ». Évidemment, à force de le laisser perdre en ses doigts.
Telle une mauvaise herbe couvrant une terre à l’abandon, l’impureté coule des jours heureux. À peine son plaisir suave, facile et peu coûteux pointe à l’horizon, le paresseux s’abandonne à elle, sans vraiment combattre, quoique déçu par après de s’être laissé dominer. Pourquoi chercher des joies élevées et achetées au prix d’un effort persévérant alors qu’on peut profiter d’un vil plaisir à bas prix ? Ainsi raisonne la paresse.
Le découragement, voire le désespoir, procèdent de la même mère. À force (sic) de ne rien faire, d’aller de défaite en défaite, de reculade en reculade, on ne sait plus se dominer, se vaincre, accepter une difficulté. Le trou noir du découragement guette le paresseux. Il s’y laisse choir et déchoir.
Une fille de la paresse semble pourtant plus aimable, en apparence : le bavardage. Remuer la langue est peu fatigant et même plaisant. On commence par des futilités, puis, n’ayant plus rien à dire d’intéressant et guère de courage pour abréger, on se découvre des talents de conteurs de la vie d’autrui, et la paresse s’épanouit dans l’injustice de la médisance ou de la calomnie.