Suite communiqué de la CEF proposant aux fidèles une prière à l’approche des élections législatives, l’historien Paul Airiau signe une tribune dans La Croix dans laquelle il souligne que les évêques n’ont pas le choix :
il leur faut tirer les conséquences du changement d’équilibre en cours au sein de l’électorat catholique. À partir du moment où les partis nationalistes et non les partis conservateurs ou centristes sont en tête parmi les catholiques ayant voté, et ce même chez les pratiquants, ce qui est une nouveauté, il devient fort compliqué de prendre des positions tranchées. La situation épiscopale est déjà suffisamment difficile, entre la perte de crédibilité partielle liée au traitement plus ou moins efficient des questions d’agressions sexuelles, la réduction accélérée du personnel, le recul du nombre de fidèles et la diminution tendancielle des ressources, pour ne pas vouloir rajouter un problème aux autres.
Bref, pour reprendre Michel Audiard, « quand la protection de l’enfance (assumer le rapport de la Ciase) coïncide avec la crise du personnel (la vidange du corps sacerdotal), faut plus comprendre, faut prier ». Dont acte : les évêques appellent à la prière. De toute façon, ça ne mange pas de pain, et il n’a pas encore été montré que cela faisait du mal à qui que ce soit. Le Conseil permanent agirait donc comme Lacordaire à l’Assemblée constituante en 1848, en choisissant « le plafond » plutôt que la droite ou la gauche.
Pourtant, se situer au plafond n’est pas si insignifiant que cela, et ne veut pas dire que les évêques soient politiquement aussi incapables que le restaurateur de l’ordre des prêcheurs en France (qui démissionna au bout de quatorze jours de mandat). Le plafond épiscopal a en fait toujours été politique, comme celui des papes, le sous-texte politique de leurs déclarations étant souvent assez facilement compréhensible.
Et c’est bien le cas ici. Car rares furent les élections ayant suscité des appels à la prière plutôt que des communiqués, et ce n’est pas uniquement dû aux déplacements du vote catholique. Il faut le relever, le communiqué du Conseil permanent juge fort sévèrement la situation de la France. Personne n’est épargné : le président dissolvant, les politiques responsables d’une partie de la situation, les citoyens ne pouvant se défausser sur les gouvernants quoi qu’ils en veuillent. La mise en cause va jusqu’à celle de la structuration même de la société, en mettant en accusation le primat de la rationalité économique et les désaffiliations sociales.
Et, ce qu’on n’avait point vu depuis fort longtemps, surgit in fine « l’effacement de Dieu dans la conscience commune ». In cauda venenum : on croirait lire Léon XIII au meilleur de sa forme, ou tous les Pie des XIXe et XXe siècles, du numéro VI au numéro XII, sans oublier Léon XII, Grégoire XVI et Benoît XV, qui tous n’ont cessé de marteler sous toutes les formes que l’occultation ou la négation sociale et institutionnelle de Dieu conduit aux malheurs collectifs et individuels.
Il y a là une forme de retour de l’intransigeance (cette contestation du libéralisme politique, philosophique, économique, culturel…), et dans sa pente décadentiste, qu’on ne peut pas ne pas noter, ne serait-ce que parce qu’elle débouche dans la crainte plus ou moins explicite d’une fragmentation de la nation suscitant la violence physique, voire la guerre civile.
Mais il faut nuancer l’idée que ce serait une nouveauté absolue. En fait, le Conseil permanent de la CEF développe cette musique critique et inquiète depuis 2016. Sans doute l’a-t-on oublié, la déclaration « 2017, année électorale : quelques éléments de réflexion » et la longue réflexion « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique » étaient tout aussi sévères sur les évolutions françaises.
Sans que le ton ait été apocalyptique, vindicatif, vitupérant, vaticinant ou incisif, les analyses y étaient en fait acides et désenchantées. Le communiqué du 20 juin ne fait que les synthétiser abruptement, considérant que rien n’a fondamentalement changé, ce qui est en fait une manière implicite de juger assez négativement les résultats de l’exercice macronien du pouvoir.
Derrière l’elliptique appel à la prière se trouve donc une mise en cause des gouvernants en place, et finalement une manière d’abandonner la politique moderne à elle-même, à ses compromissions, ses incapacités, sa violence, à la petitesse de ses enjeux à l’aune de l’espérance eschatologique. Le tout se fait au nom du politique, dont l’Église se présente de nouveau comme la meilleure garante : le service du bien commun, l’amitié sociale sont ici opposés à la politique, comme en 2016, et toujours au nom de « l’espérance du règne de Dieu ».
Fort intransigeant donc que ce communiqué, qui revendique discrètement mais nettement la primauté du spirituel. Là se trouve sans doute une vraie nouveauté : la confirmation d’une inflexion ayant déjà au moins sept ans – l’âge de raison… –, qui montre que la confrontation avec la modernité libérale, croissante depuis la chute de l’URSS, devient de plus en plus explicitement la logique de fond de l’Église institutionnelle en France – pour les fidèles, c’est une autre question : mais ça, ce n’est pas neuf du tout.