La messe du Jeudi Saint a une importance particulière, c’est la solennité commémorative de la dernière Cène. Cette messe est tout à fait saisissante et touchante. Dans l’esprit de la liturgie, nous ne devons pas nous contenter d’être des spectateurs, nous devons participer au drame. Nous devons nous sentir les disciples de Jésus. Nous sommes rassemblés au Cénacle, autour du Maître qui nous lave les pieds et nous donne, de sa propre main, son corps et son sang en nourriture. La messe présente une double impression, une impression de joie et une impression de tristesse. C’est d’abord une impression de joie. L’autel est orné ; la croix du maître-autel est voilée de blanc ; le prêtre monte à l’autel en ornements blancs ; on chante le joyeux Gloria qu’on n’a pas entendu depuis si longtemps ; pendant le Gloria, on sonne, pour la dernière fois, les cloches. Ensuite, les cloches se taisent. Il est peu de jours dans l’année qui touchent notre cœur autant que celui-là Pourtant, sur cette fête joyeuse, qui est consacrée à l’institution du Sacrement de l’autel, s’étend un voile de profonde tristesse. Aujourd’hui, dans toutes les églises, une seule messe est permise. Le prêtre le plus digne remplace le Christ ; les autres sont, pour ainsi dire, les Apôtres et reçoivent de ses mains la sainte Communion ; la messe est, en effet, la célébration de la Cène. Mais la messe devrait être une véritable fête de famille et de communauté. Le curé, ses auxiliaires et toute la paroisse autour de la table du Seigneur ou, pour mieux dire, le Christ avec ses disciples ! L’église de station est Saint-Jean de Latran, l’église paroissiale du père de la chrétienté. Ainsi, dans l’esprit de la liturgie, toute la famille de l’Église romaine est rassemblée pour célébrer la Cène.
A l’Introït, nous chantons la fière parole de saint Paul : « Nous devons nous glorifier dans la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ… » Nous voyons devant nous tout le bonheur de la Rédemption. Nous oublions presque l’amertume de la Passion pour voir déjà la Résurrection. La pensée de la Résurrection, que nous entendons déjà dans l’Introït, se poursuit dans l’Oraison et le Graduel (« c’est pourquoi Dieu l’a exalté »). La messe appartient donc déjà à la solennité pascale.
L’Oraison fait ressortir deux pensées nouvelles qui se rattachent à deux personnes, le bon larron et Judas. Le bon larron représente les pénitents qui sont réconciliés aujourd’hui. C’est pourquoi l’Offertoire chante en leur nom : « Je ne mourrai point, mais je vivrai et raconterai les œuvres du Seigneur ». La pensée de Judas et de sa réprobation occupe aujourd’hui la liturgie en quelques passages ; dans l’Épître (tout au moins, par allusion, quand elle parle de la communion indigne) ; dans l’Évangile (« alors que le diable avait déjà inspiré à Judas Iscariote la pensée… ») ; au Canon, remarquons le contraste : « le jour où Notre-Seigneur Jésus-Christ fut livré pour nous (traditus) » : — « à cause du jour où Notre-Seigneur Jésus-Christ livra à ses disciples la célébration des mystères de son corps et de son sang (tradidit) ».
L’Évangile nous rapporte l’acte d’humilité de Jésus dans le lavement des pieds et le précepte de charité fraternelle qu’il nous donne. Les deux lectures sont un testament du Maître au moment de son départ. Il nous donne son corps et son amour.
Aujourd’hui, on omet le baiser de paix. Les liturgistes donnent comme raison le baiser de Judas. Ce ne doit pas être le vrai motif, car on omet également le baiser de paix le Samedi Saint. C’est donc une règle pour tout le triduum.
La Communion unit le souvenir des deux grandes preuves d’amour données par le Seigneur en ce jour : l’Eucharistie et le lavement des pieds. C’est le lavement des pieds qui fait l’objet de l’antienne. Il y a là un sens profond. Nous ne pouvons pas imiter le don eucharistique, mais nous pouvons et devons imiter l’exemple donné dans le lavement des pieds : la charité et le service de nos frères. Cette charité est l’expression et la conséquence de notre union avec le Christ fondée dans l’Eucharistie.
Après la messe, on emporte l’hostie consacrée pour le lendemain, ainsi que la sainte réserve, dans une chapelle latérale éloignée. D’après la conception religieuse actuelle, cela signifie : l’Époux est enlevé, l’église reste vide. L’ancienne Église, il est vrai, pensait autrement. La procession accompagnant la réserve eucharistique avait lieu après chaque messe. Les saintes Espèces n’étaient pas conservées dans l’église. On ne peut pas dire cependant que l’église est vide. Le Christ est représenté par l’autel, et la maison de Dieu est le séjour de prédilection de la Sainte Trinité.
Dom Pius Parsch
Extrait du Guide dans l’année liturgique
Ces commentaires concernent les offices de la Semaine Sainte d’avant la réforme de 1955 par Pie XII.