Jean-Marie Guénois, connaisseur de la vie de l’Église et du Vatican, journaliste au Figaro, a publié un essai sur le pape François. Il a été longuement interrogé dans La Nef du mois de décembre. Extrait :
[…] François a décomplexé la fonction papale en prenant le risque de la désacraliser et la personnaliser au point d’écraser l’institution par la puissance d’un charisme rare mais qui a fini par s’épuiser. Comme toute institution, l’Église a besoin d’un charisme fort et d’une structure solide. Certes, François a rendu l’Église plus accessible, plus lisible, plus sympathique pour le monde, mais il a découragé une partie des catholiques les plus fidèles, prêtres, évêques, en ne cessant de les critiquer, qui plus est au moment où l’Église traversait l’une des pires crises, celles des abus sexuels. Autrement dit, beaucoup de forces vives, des générations Jean-Paul II et Benoît XVI, ont souffert et sont tentées par l’indifférence et l’amertume vis-à-vis de la papauté. Ce qui peut être aussi une étape de maturité des catholiques, notamment français, vis-à-vis du pape, qui n’est pas Dieu sur terre. Beaucoup ont trop attendu du pape. Un phénomène que l’on ne rencontre pas en Italie, en Allemagne, en Espagne.
Second aspect après l’homme, son programme axé sur l’application du concile Vatican II: si François a voulu clarifier des ambiguïtés par une stratégie de rupture avec la tradition, et il le fallait sur plusieurs points, il n’a pas pris de gants et a blessé beaucoup de gens sans faire avancer la cause. Il se trouve que l’Église réelle n’est pas au Vatican mais dans les paroisses et les diocèses dans le monde entier. Et de ce point de vue, la lente digestion du concile Vatican II est en partie terminée, elle est une évidence, pas une idéologie ou un programme, ses branches mortes tombent d’elles-mêmes, ses branches vives – en général ancrées sur la foi eucharistique et la sainteté ordinaire et non sur des théories ecclésiales – porteront un fruit discret et pérenne. C’est l’Église invisible, celle des saints modestes, dont je parle beaucoup dans le livre et que François appelle « le saint peuple de Dieu » – mais il en fait une catégorie en l’opposant au clergé pour légitimer sa lutte contre le cléricalisme. Mais l’immense majorité du clergé, et non le petit pourcentage d’abuseurs en tout genre, appartient aussi au « saint peuple de Dieu ».
Troisième aspect de la réponse, la transmission. Voilà le vrai rendez-vous et le vrai bilan du pontificat. Comme toujours dans l’Église, ce qui est idéologique s’épuisera et périra après le pontificat et ce qui est saint et solide perdurera. L’Église catholique a perdu, sauf en Afrique et en Asie, le sens de la transmission de son trésor spirituel, intellectuel et humain. Comment transmettre quand on est établi dans la honte de soi ? On peut le comprendre, transitoirement, après les scandales, mais le mal n’est pas le tout de l’Église. Qui va rester après la disparition des dernières générations massives d’un christianisme établi dans les pays historiquement chrétiens? Toutes les Églises particulières, pays ou diocèses, qui ont connu des renouveaux, ont tous investi lourdement sur la formation intellectuelle et spirituelle des jeunes, des cadres, des prêtres. Ce fut la priorité de Jean-Paul II et de Benoît XVI, mais cela n’a pas été la priorité de ce pontificat, axé sur la pastorale des marges et périphéries des sociétés, et qui a rappelé l’importance aux catholiques de s’occuper des plus démunis, si tant est qu’elle aurait été oubliée…
Enfin et surtout : qui suis-je pour tirer le bilan d’un pontificat ? Je m’efforce précisément d’expliquer dans le livre combien l’Église n’est pas son apparence et qu’elle s’établit spirituellement, physiquement, architecturalement parlant autour du tabernacle. Là est la clé de son passé et de son avenir, j’en suis convaincu. De là tout découle, spiritualité et action sociale. Si cette foi eu- charistique vacille, l’Église catholique va à sa perte ou deviendra protestante – mais les Églises protestantes, fort honorables, existent déjà. […]