Mgr Robert Barron, évêque de Winona-Rochester dans le Minnesota, revient sur le synode, auquel il a participé :
Maintenant que j’ai eu un peu de temps pour reprendre mon rythme normal et pour réfléchir à l’expérience plutôt extraordinaire du mois dernier à Rome, je voudrais partager quelques impressions du Synode sur la synodalité, même si je m’efforcerai de ne pas violer la demande du pape de s’abstenir de parler de participants et de votes particuliers. Je me limiterai donc à commenter le document publié que les membres du synode ont approuvé et mes propres interventions au cours des délibérations.
L’exposé sommaire exprime très précisément le fait que la préoccupation majeure des membres du synode était d’écouter les voix de ceux qui, pour diverses raisons, se sont sentis marginalisés dans la vie de l’Église. Ce motif a été le dénominateur commun de toutes les sessions préliminaires qui ont précédé le synode, et il figurait en bonne place dans le document de travail qui a servi de base à nos discussions. Les femmes, les laïcs en général, la communauté LGBT, les personnes handicapées, les jeunes, les hommes et les femmes de couleur, etc. se sont sentis peu appréciés et, surtout, exclus des tables où sont prises des décisions qui affectent toute la vie de l’Église. Je peux vous assurer que leur demande d’être entendus a été entendue, haut et fort, lors du synode. Et je m’en réjouis. L’Église a pour mission d’annoncer l’Évangile à tous (todos, todos, todos, comme le dit justement le pape) et de les rassembler dans le Corps du Christ. Par conséquent, s’il y a des armées de catholiques qui se sentent exclus, c’est un problème pastoral majeur qui doit être abordé avec humilité et honnêteté. Et je peux dire, en tant qu’administrateur ecclésiastique à plein temps depuis douze ans, que je suis ravi de recevoir les conseils des laïcs sur pratiquement tous les aspects de mon travail. Élargir le nombre et la diversité de ceux qui peuvent aider les évêques dans leur gouvernance de l’Église est une bonne chose, et bravo au synode d’avoir exploré cette possibilité.
Une question que j’ai soulevée à plusieurs reprises dans les conversations en petits groupes, cependant, était de savoir si, dans notre enthousiasme à inclure les gens dans la gouvernance de l’Église, nous oublions que la vocation de 99 % des laïcs catholiques est de sanctifier le monde, d’apporter le Christ dans les arènes de la politique, des arts, du divertissement, de la communication, des affaires, de la médecine, etc. précisément là où ils ont une compétence spéciale. D’une manière générale, je me suis inquiété du fait que l’Instrumentum Laboris et les conversations synodales étaient bien plus préoccupés par l’ad intra que par l’ad extra, et ce malgré le fait que le Pape François ait constamment appelé à une Église qui sorte d’elle-même. À plusieurs reprises au cours du synode, j’ai proposé le modèle de l’Action catholique qui était, dans la période préconciliaire, un moyen si efficace de former les laïcs à leur mission dans le monde.
Un autre thème principal des discussions synodales a été le jeu ou la tension perçue entre l’amour et la vérité. D’une part, nous devons accueillir tout le monde, mais de peur que cet accueil ne se transforme en une forme de grâce à bon marché (pour utiliser le terme de Dietrich Bonhoeffer), nous devons en même temps appeler ceux que nous incluons à la conversion, à vivre selon la vérité. Comme on peut s’en douter, cette question s’est concrétisée autour de l’approche de la communauté LGBT. Pratiquement tous les participants au synode ont estimé que les personnes dont la vie sexuelle n’est pas conforme à la norme doivent être traitées avec amour et respect, et, une fois encore, bravo au synode pour avoir insisté sur ce point pastoral. Mais de nombreux participants au synode ont également estimé que la vérité de l’enseignement moral de l’Église en matière de sexualité ne devait jamais être mise de côté. L’une des interventions que j’ai faites à l’assemblée plénière portait sur ce thème. J’ai fait remarquer que, lorsque les termes sont bien compris, il n’y a pas de véritable tension entre l’amour et la vérité, car l’amour n’est pas un sentiment mais l’acte par lequel on veut le bien d’autrui. Par conséquent, on ne peut aimer authentiquement quelqu’un d’autre que si l’on a une perception véridique de ce qui est réellement bon pour cette personne. Il peut y avoir une tension entre l’accueil et la vérité, mais pas entre l’amour authentique et la vérité.
Un troisième domaine d’intérêt/de préoccupation pour moi était centré sur la notion de mission. Le terme “mission” a été constamment utilisé dans les textes que nous avons examinés et dans les conversations que nous avons eues. Le fait que l’Église soit une mission, pour reprendre les termes du pape saint Paul VI, a été considéré comme allant de soi par les membres du synode, ce qui représente une appropriation significative et très encourageante de l’enseignement de Vatican II et du magistère papal postconciliaire. L’enseignement infatigable du pape Jean-Paul II sur la nouvelle évangélisation a manifestement fait son chemin dans le cœur et l’esprit de l’Église mondiale. Mais il y avait, du moins à mon sens, une certaine ambiguïté quant à la signification du mot lui-même. À en juger par ce que nous avons lu dans l’Instrumentum Laboris, la mission semblait, le plus souvent, désigner le travail de l’Église en faveur de la justice sociale et de l’amélioration de la situation économique et politique des pauvres. Les références au péché, à la grâce, à la rédemption, à la croix, à la résurrection, à la vie éternelle et au salut brillent par leur absence dans les textes sur la mission, ce qui représente un réel danger. En effet, la mission première de l’Église est de proclamer la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts et d’inviter les gens à se placer sous sa seigneurie. Cette condition de disciple a certes des implications sur la manière dont nous vivons dans le monde, et elle devrait certainement nous amener à travailler pour la justice, mais nous devons garder nos priorités claires. Le surnaturel ne doit jamais être réduit au naturel ; au contraire, l’ordre naturel doit être transfiguré par sa relation avec l’ordre surnaturel.
Un dernier point – et je me trouve ici en franc désaccord avec le rapport synodal final – concerne le développement de l’enseignement moral en matière de sexualité. Il est suggéré que les progrès de notre compréhension scientifique exigeront de repenser notre enseignement sexuel, dont les catégories sont apparemment inadéquates pour décrire les complexités de la sexualité humaine. Le premier problème que me pose ce langage est sa condescendance à l’égard de la riche tradition de réflexion morale du catholicisme, dont un excellent exemple est la théologie du corps développée par le pape saint Jean-Paul II. Il est tout simplement absurde de dire que ce système à plusieurs niveaux, philosophiquement informé et théologiquement dense, est incapable de gérer les subtilités de la sexualité humaine. Mais le problème plus profond que je rencontre est que cette manière d’argumenter est basée sur une erreur de catégorie, à savoir que les progrès des sciences, en tant que tels, requièrent une évolution de l’enseignement moral. Prenons l’exemple de l’homosexualité. La biologie évolutive, l’anthropologie et la chimie peuvent nous donner un nouvel aperçu de l’étiologie et de la dimension physique de l’attirance pour le même sexe, mais elles ne nous diront rien sur la question de savoir si le comportement homosexuel est bon ou mauvais. La réponse à cette question relève d’un autre mode de discours. Il est troublant de voir que certains membres de la conférence épiscopale allemande utilisent déjà le langage du rapport synodal pour justifier des reformulations majeures de l’enseignement sexuel de l’Église. Il me semble qu’il faut s’y opposer.
J’invite tout le monde à continuer à prier pour le travail que nous, membres du synode, devons accomplir dans l’intervalle et au Vatican l’année prochaine.
La meilleure partie du synode a été, bien sûr, d’entrer en contact étroit avec des dirigeants catholiques du monde entier. Dans mes différents petits groupes – et pendant les pauses café très animées – j’ai rencontré des évêques et des laïcs des Philippines, d’Indonésie, de Malaisie, de Lituanie, de Hong Kong, d’Allemagne, du Canada, du Mexique, d’Argentine, d’Autriche, d’Australie, et j’en passe. Les quatre semaines passées à Rome ont été une occasion unique et privilégiée de ressentir la catholicité de l’Église du Christ – et qu’on le veuille ou non, ce genre de rencontre vous change, vous obligeant à voir que votre vision des choses n’est qu’une perspective parmi d’autres.
Toutes ces idées et expériences issues du synode continueront, au cours de l’année à venir, à percoler dans l’esprit de l’Église, en préparation de la deuxième et dernière phase qui aura lieu en octobre prochain. Puis-je inviter tout le monde à continuer à prier pour le travail que nous, membres du synode, devons accomplir dans l’intervalle et au Vatican l’année prochaine ?