Extrait du Liber Sacramentorum du bienheureux cardinal Schuster (via introibo.fr):
Presque toutes les vérités de la théologie catholique ont leurs martyrs particuliers : saint Jean Népomucène est le martyr du sceau sacramentel, saint Tarcisius est le martyr de l’Eucharistie, saint Pierre d’Arbuès est le martyr du ministère sacré de l’Inquisition. Il fallait aussi qu’un ruthène, c’est-à-dire un représentant des vénérables églises orientales, scellât de son sang l’antique foi de Byzance catholique relativement à la primauté de Pierre sur toute l’Église. Ce martyr est Josaphat Kuncewicz, archevêque de Polotsk, né en 1580 et massacré par les schismatiques le matin du 12 novembre 1623.
Les mérites de ce Hiéromartyr pour la cause de l’union de l’Église ruthène avec l’Église romaine, sont incroyables. Se souvenant d’abord de l’action puissante de l’ancien monachisme pour tenir allumé parmi le peuple le flambeau de l’orthodoxie, Josaphat, après une enfance très chaste torturée par des pénitences volontaires, prit l’habit monastique et, avec l’aide de Benjamin Rutski, se consacra à la restauration de l’Ordre de Saint-Basile, qui était tombé en décadence.
En 1619, alors que déjà autour de lui s’était constitué un groupe de moines zélés, Josaphat échangea le siège d’archimandrite de Vilna pour le trône archiépiscopal de Polotsk.
Si, comme supérieur régulier, le Saint avait purifié ses moines du moindre ferment de schisme, devenu archevêque il poursuivit l’erreur avec tout le zèle d’une charité ardente et éclairée. A l’exemple d’une vie sainte il ajouta le ministère continuel de la parole divine, des catéchismes, des écrits apologétiques ; aussi ramena-t-il un grand nombre de ces schismatiques au sein de l’unité catholique. Cela suffit pour lui mériter de la part de ses ennemis la couronne du martyre, qu’il subit intrépide et serein à l’âge de quarante-trois ans seulement.
En 1642, Urbain VIII l’inscrivit déjà au catalogue des bienheureux ; et Pie IX, le 29 juin 1867, à l’occasion du centenaire des deux Princes des Apôtres, orna du diadème des Saints cet énergique champion de l’unité catholique dans la primauté de l’Église romaine.
Les ruthènes célèbrent sa fête le 16 septembre.
La messe emprunte l’introït, les deux lectures et la communion à la fête de saint Thomas de Cantorbéry (29 décembre) avec qui notre martyr a tant de points de ressemblance.
Le Seigneur a vraiment couronné même sur la terre son fidèle Pontife. Le martyr a reçu un coup de hache qui lui fendit la tête, mais Dieu voulut que sur ce front ensanglanté le diadème liturgique de la canonisation fût déposé par Pie IX en une circonstance solennelle entre toutes, celle du centenaire des Princes des Apôtres, alors qu’entourait le Pape une foule choisie de cardinaux et d’évêques, venus à Rome de tous les pays du monde, même les plus éloignés.
L’antienne pour l’offertoire se rapporte au martyre enduré par le Saint comme faisant partie de sa charge pastorale (Johan., XV, 13) : « Personne ne montre une plus grande charité que celui qui donne sa vie pour ses amis. »
On donne sa vie pour son troupeau, non seulement en mourant pour lui, mais surtout en vivant pour lui de telle sorte que le temps, les forces, toutes les pensées d’un saint pasteur, soient consacrés au bien spirituel des âmes qui lui sont confiées. C’est en ce sens que l’Apôtre définit l’épiscopat : bonum opus, et que, communément, les docteurs scolastiques l’appellent : status perfectionis acquisitae. Il est certain qu’aucun état n’a jamais donné plus de saints au martyrologe catholique que l’état épiscopal.
Sur les oblations. — « Répandez, Seigneur, votre bénédiction sur ces offrandes, et confirmez-nous dans cette même foi que le bienheureux pontife et martyr Josaphat confessa avec son propre sang. »
La première condition d’une vraie sainteté est une parfaite orthodoxie. Les historiens racontent à ce propos que, durant les premières années de vie religieuse de saint Josaphat, le monastère était gouverné par un métropolite schismatique de sentiments, mais hypocrite, qui évitait toute action capable de le compromettre vis-à-vis des catholiques. Dans le monastère il faisait un grand mal, mais il était difficile de trouver une occasion de briser avec un si perfide supérieur. Josaphat et Rutski devaient donc manœuvrer habilement entre l’obéissance due à l’hégoumène, encore qu’il fût schismatique en son cœur, et leur attachement à l’orthodoxie romaine.
Mais un jour vint où l’archimandrite se trahit lui-même. Il célébrait le divin Sacrifice, et Josaphat l’assistait à titre de diacre. Après la consécration, alors que, durant la litanie de la grande intercession, le célébrant doit faire lui-même la commémoration du Pontife romain, l’archimandrite passa outre. Il n’en fallait pas plus : le saint diacre se retira immédiatement de l’autel et ne voulut plus prendre aucune part à ce sacrifice sacrilège du pasteur schismatique.
Après la Communion. — « Que cette nourriture céleste alimente en nous, Seigneur, l’esprit de force qui, pour la plus grande gloire de l’Église, entraîna à la victoire la vie du bienheureux pontife et martyr Josaphat. »
Le Seigneur nous a confié ici-bas une mission redoutable, que nous devons accomplir au milieu de difficultés de tout genre. Nous nous sentons petits et impuissants. Que faire ? Désespérer ? Jamais. Jésus, grâce à l’Eucharistie, s’est mis tout entier à notre disposition. Plus grande est donc notre insuffisance, plus profondes sont nos lacunes, plus grande aussi est la place que nous laissons à la divine grâce pour combler ces lacunes et pour suppléer à cette insuffisance.
On raconte que, durant les premières années de la réforme monastique qui eut saint Josaphat pour promoteur, Satan déchargeait sa fureur en effrayant les moines lorsqu’ils se levaient la nuit pour les saintes vigiles : le Saint voulut mettre enfin un terme à ces bruits affreux, et une nuit, ayant pris entre ses mains la très sainte Eucharistie, il poursuivit le démon et le chassa hors de l’enceinte du monastère. Le fracas fut terrible, mais à la fin Satan dut se déclarer vaincu, et laisser dès lors les moines célébrer en paix leurs offices nocturnes.