Dans son éditorial de Tu Es Petrus (n°39, Juillet, Août et Septembre 2023), l’abbé Benoît Paul-Joseph, Supérieur du District de France de la Fraternité Saint-Pierre, revient sur les scandales qui touchent l’Eglise ces dernières années.
La lecture des Actes des Apôtres est toujours rafraichissante et vivifiante spirituellement en ce qu’elle nous parle de la jeune Eglise, de son organisation, de sa croissance … On y voit les Apôtres et les premiers disciples du Christ (que l’on appellera « chrétiens », quelques années plus tard, à Antioche) annoncer l’Évangile avec une force et une fraîcheur qui font notre admiration. C’est la beauté des débuts, l’enthousiasme des commencements que rien ne semble pouvoir arrêter.
Et pourtant, une lecture un peu attentive, nous montre que la première communauté chrétienne, la « Voie » comme l’appelle primitivement saint Luc, auteur des Actes des Apôtres, est aussi sujette à des tensions, des luttes internes et des désaccords. Cela fait partie du tableau général de la primitive Église et doit être regardé en face pour ne pas construire une image idéalisée et déformée de la première communauté chrétienne. Non pas dans le but de se rassurer à bon compte sur les difficultés que pourrait connaître l’Église aujourd’hui, en se disant que, finalement, les dissensions ecclésiales peuvent se prévaloir d’une grande antiquité, qu’elles appartiennent au patrimoine traditionnel de l’Église et qu’il serait donc illusoire de chercher à les dépasser … Certes non ! Comme le dit l’adage, « Ecclesia semper reformanda, l’Église doit toujours se réformer». Simplement, il ne faut pas s’étonner qu’il en ait été ainsi dès le début, que les premiers membres de la communauté chrétienne, marqués comme nous par les blessures du péché originel, aient connu des divergences, par exemple quant aux méthodes apostoliques ou aux usages cultuels. Surtout, il faut voir – et c’est assurément le plus important – que le Seigneur a guidé son Église en dépit des insuffisances de ceux qu’II avait choisis, et que la progression extraordinaire de celle-ci, nonobstant les litiges et les mesquineries liées à la nature humaine, est une preuve éclatante de l’assistance divine du Saint-Esprit.
Ainsi, la première communauté chrétienne s’est-elle à peine formée, que déjà elle est ébranlée par les malversations financières de l’un de ses membres qui, prétendant mettre le fruit de sa vente au service de l’Église, en conserve secrètement une partie, non seulement sans le dire à ses frères mais en laissant croire le contraire (cf. Ac V). Dans sa Première épître, saint Jean avait parlé des trois concupiscences qui rongent le cœur humain : la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l’orgueil de la vie (cf. 1 Jn 11, 16). Et il est tristement remarquable de constater que la première crise qui secoue l’Église est causée par un scandale financier.
Pour autant, la communauté ecclésiale poursuit sa progression, s’accroît, mais se heurte aussi à de nouvelles difficultés : jusqu’à présent, les disciples du Christ étaient tous issus du judaïsme, aussi continuaient-ils à respecter les règles et les coutumes de la loi de Moïse. Mais fallait-il imposer cela aux païens issus du monde grec ? Étaient-ils concernés par la circoncision? Devaient-ils s’astreindre aux restrictions alimentaires de la loi ancienne ? « Je ne suis pas venu pour abolir, mais pour accomplir » (Mt V, 17), leur avait dit le Seigneur. La question n’était pas simple et les avis divergeaient. Averti par révélation spéciale de Dieu que les anciens usages étaient désormais caducs (cf. Ac X, 9-16), Pierre, à plusieurs reprises, prendra la parole avec autorité devant les judéo-chrétiens pour affirmer que, désormais, seule la grâce de Dieu est vecteur de Salut. Mais Pierre va se heurter à Jacques, « frère du Seigneur », premier évêque de Jérusalem, partisan du maintien partiel des antiques coutumes. En résultera, vers la fin des années 40, le premier « concile » de l’Église, l’Assemblée de Jérusalem, où se dessine un compromis entre les deux partis, pour « ne pas tracasser ceux des païens qui se convertissent à Dieu » (Ac XV, 19), mais aussi rassurer les pharisiens convertis qui restaient liés au Temple. Finalement, la question posée est celle du rapport de l’Église avec le monde extérieur. Déclinée de bien des façons durant son histoire, cette problématique est inhérente à une société que son Fondateur a voulu « dans le monde sans être du monde».